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de cet inspirateur. El d’abord, est-il un être personnel ?

On le voit, nous sommes ici en présence de la notion d’inspiration religieuse, telle que le protestantisme libéral l’entend depuis un quart de siècle. En définitive, l’inspiration d’Isaie ne diffère pas essentiellement de celle de Platon ou du Bouddha.

Que l’inspiration divine s’étende à toute l’Ecriture, et à chacune de ses parties, c’est ce que les conciles de Trente et du Vatican avaient déjà expressément déclaré (D.-B., 784 (666) ; 1877 (1636)j. Depuis, l’Encyclique Providentissimus avait rappelé, avec une autorité incontestable, a qu’on ne pouvait absolument pas restreindre 1 inspiration à certaines parties de l’Ecriture » ; c’est-à-dire à celles qui concernent directement la foi et les mœurs. D’où il suit, disait le même document, qu’il faut s’abstenir d’accorder que l’erreur ail pu se glisser dans un texte inspiré authentique ; l’erreur, si légère qu’on la suppose, étant incompatible avec la parole de Dieu. L inspiration plénière de l’Ecriture, avec l’inerrance qui s’ensuit, est une doctrine catholique très certaine, qu’on pourrait qualifier de proxima fidei (presque de foi). Des théologiens en vue vont plus loin, puisqu’ils parlent ici de dogme et d’hérésie.

La condamnation de la proposition Il a pour but d’assurer ce point acquis : « L’inspiration divine ne s’étend pas tellement à toute l’Ecriture qu’elle préserve de toute erreur toutes et chacune de ses parties. »

Il n’est donc pas permis d’écrire, comme on a pu le lire dans plus d’une publication : « Qu’il vaudrait mieux avouer franchement les erreurs qui sont dans la Bible » ; on encore : « Qu’il y a beau temps que l’on sait à quoi s’en tenir sur l’inerrance biblique. » D’ailleurs, le décret n’a pas la prétention de trancher la question ultérieure, débattue entre exégètes orthodoxes, savoir : la meilleure manière d’expliquer comment la Bible dit toujours vrai. Le principe dogmatique de l’inerrance n’est plus alors enjeu ; il s’agit seulement des régies générales à suivre pour l’interprétation de l’Ecriture, comme aussi des applications particulières qu’il convient d’en faire.

2° Origine et contenu des Evangiles. —

Jusqu’ici on avait pensé que nos évangiles canoniques étaient des documents historiques dignes de foi, capables de nous donner à connaître ce que Jésus de Nazareth avait dit et fait en Palestine, aux jours de sa vie mortelle. Ce sentiment, qui est celui de la tradition chrétienne tout entière, venait de s’affermir encore, ces derniers temps, au spectacle delà déroute complète d’une école, qui, pendant plus d’un demi-siècle, s’était appliquée à établir que ces textes étaient relativement récents. En réalité, les hypercritiques détruisaient d’une main ce qu’ils rétablissaient de l’autre. A. les en croire, loin d’être l’écho fidèle des réalités historiques, les Evangiles avaient réfléchi la foi postérieure de l’Eglise sur le Christ et son œuvre. Leur véritable source était la conscience chrétienne. Or, observait-on, la christologie ne s’est pas formée en un jour ; sous la pression des circonstances, elle s’est dégagée lentement d’un petit nombre défaits primordiaux. Et pareillement l’Evangile s’est fait peu à peu. La vraie loi de sa composition a été celle de tout ce qui grandit en évoluant ; le noyau primitif a fait boule de neige. L’analyse permet d’y démêler l’apport de chaque génération, avec son motivement particulier d’idées. On y ajoutait, au besoin on en retranchait ; toujours on adaptait le texte à des besoins nouveaux. Saint Marc lui-même, qu’on avait estimé le plus primitif des Evangiles, dans l’état où nous l’avons, représente

une seconde, peut-être même une troisième étape de la pensée chrétienne. Saint Luc et saint Matthieu sont plus éloignés encore des sources. Ce travail incessant de rédaction était tendancieux, — la proposition 1/4 nous dit dans quelle mesure ^ ; on y avait beaucoup plus souci de l’utile que du vrai. L’état chaotique des textes aurait duré jusqu’au dernier quart du second siècle, qui est l’époque où l’instinct de la conservation amena les Eglises à s’entendre sur un récit quadriforme ne varietur.

Dans ces conditions, quel contact avec la personne et l’œuvre du Christ peuvent bien avoir gardé des textes, qui furent pendant un siècle le bien de tous ? On nous le dit dans la 15" des propositions condamnées : » Les évangiles se sont augmentés par des additions et des corrections incessantes, jusqu’à l’époque où le canon fat définitivement arrêté : d’où il suit qu’il n’y est resté qu’un vestige léger et incertain de l’enseignement du Christ. »

Ces aberrations, réprouvées aussi bien par une saine critique que par la théologie, n’ont rien de commun avec d’autres théories sur la formation littéraire des évangiles, qui sont défendues par des critiques catholiques recommandables, dans la question dite des « Synoptiques ». Les conclusions de ces derniers, pour autant qu’elles se fondent sur les textes, maintiennent le caractère historique des évangiles, qui restent l’œuvre de « témoins » ou, tout au moins, l’œuvre de ceux qui ont été à l’école des témoins de la première heure, selon l’expression de saint Luc, i, 2. Que ces textes aient été écrits par des croyants et pour des croyants, que chaque évangéliste ait imprimé un caractère personnel à son récit et lui ait donné un but particulier, qu’à cause de cela il ait eu recours à certains procédés artificiels de rédaction, par exemple en ce qui concerne le Sermon sur la montagne ; autant de choses compatibles avec la valeur historique de leur œuvre. A plus forte raison, n’est-il pas interdit de constater et d’expliquer les altérations accidentelles, dont le texte original a souffert au cours des âges.

C’est aux Paraboles surtout qu’on a appliqué la théorie d’un évangile fluide et impersonnel jusqu’à la composition des évangiles synoptiques ou, plus exactement peut-être, jusqu’à la canonisation de ces évangiles, qui a mis fin au travail de rédaction. M. LoisY se chargea de présenter au public français la thèse du professeur Jülicher, sur la nature lies paraboles évangéliques, et il la faisait sienne dans ses conclusions essentielles. « Grâce à l’imperfection des sutures, écrivait-il, on peut distinguer trois moments de la rédaction, qui sont en rapport avec le développement de la pensée traditionnelle, touchant les paraboles : une première relation, orale ou écrite, contenait les paraboles, et notamment le Semeur, sans explications, parce qu’on n’y trouvait encore aucune obscurité ; une seconde rédaction, qui peut être la première de saint Marc, montre les disciples sollicitant et obtenant l’interprétation du Semeur, prouve par là-même que l’on commençait à ne plus saisir nettement le sens historique des paraboles, à y chercher des mystères, et donne aussi à penser que l’on s’est préoccupé, soit du médiocre succès de la prédication évangélique auprès des Juifs, soit plutôt encore de la fragilité de certaines conversions, et que l’on a cru tenir dans la parabole du Semeur l’explication de ce fait ; la troisième rédaction atteste que l’on a creusé plus avant, que l’on a voulu avoir la raison dernière, soit de l’obscurité des paraboles, désormais acquise à la tradition, soit de l’aveuglement et de la réprobation d’Israël, vérifiés par la rupture définitive entre le