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MITHRA (LA RELIGION DE]

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culte de soldats. C’est le plus vaillant, et à certains égards le plus élevé, des cultes antiques. On peut lui accorder cela, sans croire qu’il fut précisément une école de moralité, moins encore une école de continence, comme on a cru, à tort, le lire cliez Tertullien. Son association étroite avec le culte de la Grande mère en dit assez long. Le R. P. Lagrangb écrit très justement, Mélanges d’histoire religieuse, p. 113, Paris, igiS : « Loin de nous la pensée de rabaisser un culte dont la morale fut probablement supérieure à l’immoralité discrète du culte d’Isis. Toutefois, avant de donner à un mithriaque la communion sans confession, demandons-lui quels rapports il enlrelient avec la grande déesse ? S’il n’en fréquente pas les mystères, il y envoie du moins sa femme et ses filles ». Sur la base ruineuse du dualisme persan, la religion de Mitlira constitua un abri temporaire, conforme au goût des légions romaines. C’est son principal mérite

Fussent-ils réels, des exemples isolés de vertus bien rares chez les païens ne constitueraient pas la religion mithriaque dans un état d’opposition violente à l'égard du polythéisme ambiant. Elle s’en distinguait même si peu que le restaurateur olliciel de ce polythéisme après le milieu du iv « siècle, l’empereur Julien, a fait dans son panthéon une place d’honneur à Mithra.

Julien a trouvé de nos jours des panégyristes, qui nous le présentent comme une figure idéale. Ainsi M. Salo.mon REiNACH.dans une conférence du musée Guiræt sur La morale du miiliraisme, reproduite dans Cultes, Mythes et Religions, t. II, p. 220-23. !. Julien est un saint du paganisme ; sur le trône, nul peut-être, sauf saint Louis, ne l’a égalé. Il n’entre pas dans notre dessein de discuter ce jugement, et de rechercher si la vertu de Julien fut sans alliage. Ce qui nous intéresse, c’est son attitude envers le pol3tlicisme. Dans son effort, si toi brisé, pour relever les autels des anciens dieux, l’helléniste couronné ne montra d’aversion que pour le christianisme : n’est-ce point parce que le christianisme seul formait l’antithèse vivante de l’esprit qu’il voulait ressusciter ? Quant à Mithra, il en parle avec l’enthousiasme d’un myste, quand, à la fin de son livre sur les Césars, il se fait dire par Hermès, Reinach, p. 281 : i( Quant à toi, je t’ai fait connaître Mithra, ton père. A toi d’observer ses commandements, afin d’avoir en lui, durant ta vie, un port et un refuge assurés, et que, lorsqu’il te faudra quitter le monde, lu puisses, avec une douce espérance, prendre ce dieu pour guide ».

Ces paroles, écrites par le prince dévot aux dieux de l’Olympe, nous éclairent à la fois sur son étal d'âme et sur la situation de Mithra parmi les dieux honorés dans l’empire romain. Julien n’eût pas si facilement accueilli ce nouveau venu, si, au fond des mystères raitliriaques, n’eût circulé le morne esprit que dans les mystères de la Mère des dieux et dans les autres cultes orgiastiques de l’Orient. Ce n'était pas, tant s’en faut, l’esprit chrétien, et ces cultes n’eussent pas fait bloc contre le seul christianisme, s’ils n’avaient aperçu en lui quelque chose qui le distinguait d’eux tous.

On nous enseigne pourtant que, par le fond de sa morale, ni le mithriacisnie ni aucun autre culle polythéiste alors en vigueur dans l’empire, ne différait profondément du christianisme. On pose même en fait que, dans une société donnée, à une époque donnée, il ne saurait y avoir plus d’une morale en vigueur ; que cette morale, résultante d’aspirations communes et de concessions mutuelles, peut bien emprunter, pour s’imposer à tous, divers vêlements dogmatiques, mais qu’elle demeure, dans son fond.

une cl identique à elle-même. Ni les religions ni les philosopliies ne créent la morale : simple convention sociale, la morale est « la somme des préjugés de la communauté ». M. Anatole France a prêté à l’un de ses personnages ce paradoxe ingénieux (Ae Mannequin d’osier, p. 318-321). On fera bien, croyonsnous, de le laisser aux romanciers, et de ne point l’introduire dans une discussion sérieuse.

C’est là, en effet, qu’on nous permette de le dire, une contre-vérité palpable. Que le commerce de la vie, adoucissant les angles des doctrines les plus contraires, amène dans la pratique bien des compru rais et une certaine fusion de pensées et d’usage entre des hommes divisés par leurs convictions profondes, c’est une loi historique constante, dont il est juste de tenir compte ; mais ce ciment amorphe des sociétés ne constitue pas la morale, il est plutôt fait de l’effacement de la loi morale et des capitulations de la conscience, précisément parce qu’il ne s’accommode pas des dogmes absolus ni des principes arrêtés. La morale proprement dite incline plutôt à réagir contre ce courant qui entraîne la société à la dérive. Dans le cas présent, certaines ressemblances de surface ne doivent pas faire prendre le change sur le fond des choses. Ni les mœurs chrétiennes n'étaient les mœurs païennes, ni la morale évangélique, qui invitait les chrétiens à prier pour leurs persécuteurs, n'était la morale courante qui, hier encore, armait l’Etat contre les chrétiens.

Les Pères de l’Eglise, qui ont flétri si éloquemment le scandale des mœurs païennes, auraient quelque droit d'être entendus ici. Sans les faire comparaître tous, rappelons ce que le plus grand d’entre eux eût pensé de l'équation établie entre le christianisme et le paganisme, au point de vue qui nous occupe. Dans ses Confessions, saint Augustin dépeint la crise d’où lui-même sortit chrétien, comme une crise intellectuelle sans doute, mais en même temps, et plus encore, comme une crise morale, qui le renouvela jusqu’au fond. Et il a écrit la Cité de Dieu pour mettre en lumière cet antagonisme de deux civilisations, l’une héritière des cultes païens, l’autre fille de l’Evangile. Assurément les chrétiens restaient trop souvent, comme individus et comme corps, au-dessous des principes qu’ils professaient. Encore est- il qu’ils les professaient, et que, dans la mesure où ils étaient chrétiens, ils tendaient à y conformer leur vie. Non seulement l’immoralité, qui s'étalait sans pudeur dans toute une littérature profane, soulevait la réprobation de leurs apologistes, mais des habitudes et des actes qui, dans la société païenne, auraient passé inaperçus, dans la société chrétienne étaient montrés au doigt ; une morale nouvelle venait de surgir, et c'était pour le monde antique des exemples bien nouveaux que le martyre d’une sainte Agnès, que la pénitence d’un Fabiola ou celle d’un Théodose. La justice veut que l’on donne acte de tout cela. Au reste, on ne conteste guère qu’il y avait lutte entre deux sociétés animées de tendances si contraires ; on ajoute même, et nous le reconnaissons sans peine, que le christianisme s'était mis hors la loi par son intransigeance, et que cette intransigeance fut la vraie cause des persécutions exercées contre lui.'Ce qu’on oublie plus volontiers, c’est que cette intransigeance ne s’alfirmait pas seulement sur le terrain dogmatique, mais tout autant sur le terrain moral. La loi morale inaugurée par Jésus était détachement, humilité, charité ; le rayonnement de ce divin idéal, bien qu’affaibli par les misères humaines, constituait dans la nuit du paganisme un phénomène hors de pair. Et c'était là, justement, ce qu’on lui pardonnait le moins. Julien, qui poursuivait d’une haine si aveugle la religion par lui reniée, ne laissait pas de