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MITHRA (LA RELIGION DE)

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îréatiou mazdéenne : de son sang sortiront toutes les espèces végétales, de son sperme toutes les espèces animales ; son âme divinisée deviendra la gardienne des troupeaux.

Ce mythe un ])eu confus présente des aspects multiples : un heureux choix de traits fera aisément saillir des analogies entre le personnage légendaire le Milhra et la figure historique du Christ. C’est à juoi, dès la lin du xvin" siècle, Dupuis consacrait sien des pages (Origines de tous les cultes, ou Religion u « ire(se//e, i)ar Ddpuis, citoyen français. Paris, 'an III de la République, 3 vol, -l^' avec atlas ; .. II et III, passim). Nous citerons de préférence H. Salomon Reinacu, qui a l’avantage de la noui^eauté, de la précision et de la brièveté. Cultes, Mythes et Heliginns, t. II (Paris, igo6), p. 226.

« Mithra est un jeune dieu, beau comme le.jour, 

[ui, vêtu du costume phrj’gien, a séjourné autrefois jarmi les hommes et gagné leur affection par ses jienfaits. Il n’est pas né d’une mère mortelle. Un our, dans une grotte ou une étable, il est sorti l’une pierre, à l'élonnement des bergers qui seuls issistèrent à sa naissance. Il grandit en force et en ourage, vainqueur des animaux malfaisants qui nfestaient la terre. Le plus redoutable était un taueau, divin lui-même, dont le sang, répandu sur le ol, devait le féconder et y faire germer de magniOques moissons. Mithra l’attaque, le terrasse, lui (longe un couteau dans la poitrine, et, par ce sacriice, assure aux hommes la sécurité et la richesse, 'uis il remonte au ciel, et, là encore, il ne cesse pas le veiller sur les mortels. Ceux qui le prient sont xancés ; ceux qui, dans des cavernes analogues à elles où il a vu le jour, se font initier à ses mystères, 'assurent sa protection puissante, au lendemain de a mort, contre les ennemis d’outre-tombe qui menænt le repos des défunts. Bien plus, il leur rendra m jour une vie meilleure, et il leur promet la ésurrection. Quand le temps fixé par les destins arri’era, iVIithra égorgera un taureau céleste, source de 'le et de félicité, dont le sang réparera l'énergie affai)lie de la terre et rendra l’existence, une existence >ienheureuse, à ceux qui auront cru en Mithra. s

Cette page donnerait aisément, au lecteur non iverti, l’impression d’une légende très riche en rails évangéliqucs. La vérité est que, pour compoer celle mosaïque, il a fallu trier les fragments et es sertir avec beaucoup d’art. On voudra bien nous lispenser d’une contre-épreuve, destinée à montrer a dislance énorme qui séi)are du divin Enfant de Jethléem le « dieu né de la ])ierre », Qio ; ix nirpr/.i (Voir Ai.T Justin, Dial.^ lxx ; Finsiicus Matkunus, De rrore pinfanaram religionum, xx, etc.) Il suffira l’attirer l’attention sur la ténacité de ce polythéisme laluraliste qui demeure au fond des mystères ailhriaques et en détermine le vrai caractère. (Voir ioMONT, Textes et monuments, t. I, p.Sii ; Mgr Du ; hussr, Ifisloire ancienne de l’Eglise, l. I, Paris, igoO, ). 545, 54O). — On peut comparer encore les exposiions indépendantes de M. Gasquet, Essai sur le ulte et tes mystères de Mithra (Paris, iSgy), et de il. T0UTAIN, /. « légende de Mithra étudiée surtout lans les lias-reliefs mithriaqiies. Mémoire présenté lU Congics international d’Histoire des religions,

septembre 1900 (Paris, 1902).

De ce caractère, procède sûrement, pour une large )art, la haute fortune des dogmes persans parmi les lomains de l'époque impériale. Une religion qui livinise toute la nature a facilement prise sur les imes poi)ulaires ; celle-ci les attirait d’autant plus lûrement qu’elle ouvrait à ses adeptes des perspecIves d’apothéose. D’ailleurs le milbriacisræ faisait les recrues par toute sorte de moyens, et dans tous

les rangs de la société. Culte hospitalier entre tous, il paraît aA’oir suivi dans sa propagande une marche directement opposée à celle du chrislianisme. Tandis que celui-ci se devait à lui-même de déclarer la guerre à tous les dieux, le mithriacisme nmltiiiliail les alliances et faisait des avances à tous les sacerdoces. Les innombrables adorateurs du soleil saluaient tout naturellement dans Mithra leur dieu rajeuni, et de nos jours la mythologie comparée a souvent peine à le distinguer de mainte autre divinité solaire, y compris ce Soi imictus qui faillit devenir, sous Aurélien, le dieu oiliciel de l’Etal romain. Le culte de la Mère des dieux, qu’il avait rencontré en Asie, compléta la liturgie du taureau par le rite sanglant du taurobole ; bien d’autres cultes encore subirent son attraction ; la philosophie elle-même ne s’en défendit point, et le stoïcisme mit à son service les ressources de son exégèse mytliique. Mais nulle part le « dieu invincible » ne compta plus d’adorateurs que dans les camps ; les nombreuses dédicaces Z*eo Soli invirto Mithroe attestent sa popularité auprès des légions, tandis que la consécration divine qu’il apportait au pouvoir suprême lui valait la faveur des Césars.

Fort de tant d’appuis, le mithriacisme pouvait marcher hardiment à la conquête du monde. Défait, son influence ne cessa de croître jusqu’au déclin du ui' siècle, époque à laquelle la perte de la Dacie et celle des Champs décuraates la brisèrent sur le Danube et sur le Rhin, et tout concourt à montrer en lui, à ce point de son histoire, l’un des plus notables adversaires qui se dressaient en face du christianisme, la tête la plus formidable peut-être de l’hydre polythéiste.

Tel il apparaît, dumoins, à qui consulte les annales militaires de l’empire : on est sûr de le rencontrer là où des soldats sont réunis en grand nombre. (Voir Renan, Marc-Aurèle, p. 679 ; Paul Allabd, Hevue des Questions historiques, avril 1904, p. 685686). Au reste, le champ reste largement ouvert à la discussion. M. Allard n’est-il pas bien pressé d’admettre qu’au temps des Sévères les sectateurs de Milhra égalèrent en nombre ou même surjjassèrent les chrétiens ? Selon M. Habnack, Die Mission und Aushreitung des Christenlums in den ersien drei Jahrhuiiderten, t. II, p. 270 sqq., le mithriacisme ne fut jamais pour le christianisme un rival sérieux.

En réalité, le mithriacisme n’avait pas pénétré les provinces, surtout en Orient, et tout le domaine de l’hellénisme, Grèce et Macédoine, Syrie, Egypte, lui demeura rebelle. Il sullit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’aùl sur la carie dressée par M. Cumont : elle suggère l’image d’une gigantesque araignée blottie dans Rome et agissant par ses fils aux extrémités. Le jour où sa vie fut frappée au cœur de l’empire, le mithriacisme déclina rapidement. Ce fait, déjà connu, reçoit une confinnalion remarquable des œuvres, récemment mises au jour, de Nicéla, l'évêque de Réraésiana en Dacie, vers l’an 400 (Nicela of Remesiana. liis life and ivorks, by A. E. BuRN, D. D., Cambridge, igoS). Dans cette région danubienne, où le culte de Mithra avait poussé de si profondes racines au cours du siècle précédent, on voit l'évêque missionnaire occupé de prémunir ses néophytes contre diverses superstitions ambiantes ; le nom de Mithra n’est pas prononcé : sans doute ce n'était plus un péril. Après avoir couru aux extrémités du corps romain, la fièvre milhriaque était tombée tout d’un coup. Il n’en restait que le souvenir d’un syncrétisme à la mode, et déjà la donnée persane empruntait le masque d’un pseudochristianisme pour ressusciter sous la forme manichéenne.