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MIRACLE

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a) Jugements de probabilité. — Nous venons d’en montrer l’emploi, à propos de la deuxième opinion examinée. Le miracle, considéré en général, est plus invraisemblable i|ue u’iraporle quel phénomène naturel. Pour qu’il devienne admissible a priori, il faut que des circonstances particulières spéciales, exceptionnelles à leur manière, corrigent cette invraisemblance en un cas particulier. Pour qu’il soit admis, il faut des témoignages entourés de garanties sévères, d’autant plus sévères que les vraisemblances concrètes seraient moindres. Ainsi l’entendent tous les croyants éclairés, et les tribunaux de canonisation discutent les miracles avec un luxe de précautions dont ils se passent, quand il s’agit J’i tablir d’autres traits importants de la vie des saints.

b) Jugements de possibilité. — Ici, la question devient beaucoup plus délicate. Un (ail absolument impossible ne saurait jamais être admis. Tel est le 3as de ce qui est intrinsèquement contradictoire, de 3e à quoi on ne saurait assigner aucune cause capable de le produire, aucune tin capable de le justilier. Que l’on admette Dieu, et les esprits, et les dénions, jn n’est point pour cela fondé à leur attribuer n’importe quoi. Ce ne serait pas logique. Car ces êtres iurnaturels ont aussi leur « nature », qui leur intcrlit certaines actions ou manifestations. Par exemple, ’inepte et l’immoral sont hors du pouvoir de Dieu, foiir juger que le merveilleux d’un conte de fées est rréel, il n’y a pas à chercher sur quels témoignages 1 s’appuie : 1e caractère intrinsèiyue des événements iuffit.T les classer. II en est de même du merveilleux ians frein et sans but, relaté dans certaines légendes eligieuses.

Souvenons-nous seulement que le critère dont nous parlons ne saurait être manié avec trop de circons)eclion. Nous avons vu plus haut quelles sottises ivaient été le résultat de son emploi passionné et jrécipité I. Ne confondons pas l’inexpliqué avec le Hintradictoire, une loi physique dont la nécessité l’est pas absolue, avec une vérité mathématique ou nétaphysique. Songeons que les conseils de Dieu jeuvent nous dépasser et nous déconcerter. Ne proionçons donc le mot impossible que devant l’aLsurlité évidente.

Faut-il poser le cas extrême, où un conflit se deslinerait entre le témoignage et la possibilité intrinièque des faits ? Les deux coellicients peuvent-ils être le sens inverse et s’annuler mutuellement ? Que réioudre, si une attestation excellente avait pour objet ine évidente absurdité ? Conflit beaucoup plus aigu

; l i)lus radical que celui dont nous avons parlé plus

laut, et qui naissait de la simple invraisemblance. 5n définitive, peut-il se produire ? — Il est sûr l’abord qu’un conflit de ce genre ne saurait appartelir à la réalité. Les apparences seules seraient ici en ause, car ce qui ne peut exister ne saurait être îbservé et valablement attesté. Mais de plus, il lemble bien difficile que ces apparences restent inlestructibles aux efl’orts d’un chercheur éclairé et oyal. D’ordinaire, un examen plus approfondi et )lus impartial des questions pliilosopliiques impli[uées dans le jugement de p( ; ssibilité, une considéalion plus attentive des témoignages fera découvrir, ci ou là, quelque faille. Quoi qu’il en soit, et jusqu’à

:e que le problème s’éclaircisse, le devoir du critique
: st certain : se garder du concordisme pressé et

lésireux d’aboutir à tout prix ; ne supprimer aucun les termes de l’énigme, etla laisser subsister entière, lans y toucher.

1. Col. 561. Cf. plusieurs exemples dans V Introduction, >. 270, note 2.

Sectioa II. Règles particulières aux diverses espèces de critique

§ I. — Critique textuelle ; critique de provenance ; critique d’interprétation.

Nous serons brefs sur ces premières opérations de la critique, non pas qu’elles n’offrent point de difficultés à l’égard du merveilleux, mais parce que ces difficultés sont des difficullcs d’application, impo^- «  sibles à bien entendre sans des détails et des exemples, dont la place n’est point en ce résumé.

1" La critique textuelle, qui consiste à établir la teneur exacte d’un document, peut être influencée par des préoccupations relatives au merveilleux : telle lecture du texte l’y introduit, telle autre le supprime.

a" A propos de la critique de pruvenance, qui recherche l’origine du document, son auteur, ses sources, etc., il convient de rappeler deux lois de psychologie générale, très importantes pour le sujet qui nous occupe. — « ) Les données historiques, non encore fixées, sont sujettes à se transformer à proportion du nombre des intermédiaires qui les transmettent : celle transformation se fait surtout dans le sens du grossissement et de l’embellissement. — t)Plus les faits sont éloignés dans le temps ou dans l’espace, plus cette déformation est facile ; plus ils sont proches, et moins il est à croire qu’elle ait pu se produire. — D’oii les conséquences suivantes. Le merveilleux, transmis de bouche en bijuche pendant un temps notable, sera très légitimement suspect de s’être embelli en chemin, et d’autant plus que le chemin aura été plus long. Le merveilleux contenu dans un écrit de date tardive sera également sujet à caution, parce qu’il a eu le temps de se former par l’eliet des lois précitées. Il en est autrement des prodiges rapportés par un voisin et un contemporain des faits. — Réciproquement, le merveilleux pourra servir à dater un document. Très abondant dans un écrit de date incertaine, il constituera une probabilité défavorable à son antiquité.

3" La critique a’interprélatian a pour but de déterminer le sens du document, ce que l’auteur a voulu dire, ce qu’il entend nous faire croire. Elle comprend tout un ensemble d’analyses délicates, où interviennent également les comiiétences du philologue ou de l’humaniste, et le flair du psychologue. Les mêmes mots peuvent être pris au sens figuré ou au sens propre. Parmi des propositions de forme affirmative, les unes veulent énoncer une ferme vérité historique, les autres ne sont là que pour l’expression, la description ou rornemenl. Tel auteur peut avoir eu le dessein de composer, un apologue, une allégorie, une narration symbolique, un roman historique, une liction pieuse, et non une hisloire au sens strict. Comment pénétrer ses intentions et distinguer la réalité qu’il entend notilier des artifices littéraires dont il se sert ? Plusieurs indices peuvent nous y aider. Citons par exemple : la nature des événements relatés, le ton grave ou léger de l’écrivain, la technique de la composition, la manière d’agir et la psychologie plus ou moins vraisemblables des personnages mis en scène, le caractère plus ou moins artistique du récit, l’emploi de lieux communs de description, de clauses de style, de canevas employés ailleurs, les liens plus ou moins lâches avec la réalité concrète, la présence ou l’absence de détails permettant de situer le fait dans le temps et dans l’espace, etc. On voit combien tout cela est complexe et comment un récit tissu de merveilles peut n’enfermer aucune attestation de leur réalité.