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MIRACLE

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probabilité antécédente de ce surnaturel spécial. Indépendamment d’une révélation, qui a elle-même besoin d’être prouvée, son existence ne peut être démontrée que par des constatations de fait.

Nous nous bornerons à les attendre. La constatation sera très difficile à faire, s’il s’agit d’êtres surnaturels opérant en qualité d’instruments de Dieu, car comment discerner à coup sûr leur action de la sienne ? Heureusement, il importe peu, au point de vue pratique, de distinguer un elfet provenant immédiatement de Dieu seul, d’une action conduite par ses ordres. Au contraire, des agents préternaturels mauvais, agissant pour des fins immorales, seront, de ce chef, certainement reconnaissables. Si donc on peut montrer, dans tel ou tel cas, qu’on se trouve en présence d’une liberté perverse, difl’érente de la liberté humaine, la preuve expérimentale du surnaturel non divin sera fournie. Pour le moment, nous resterons à son égard dans l’ignorance : ignorance sans parti pris, qui ne s’érige pas en attitude définitive et irréformable, et qui se tient prête au contraire à recevoir des faits tous les enseignements qu’ils peuvent contenir. Remarquons toutefois, ici encor », que ces enseignements, — si intéressants et utiles qu’ils soient, — n’auront pas une importance capitale. L’intérêt est beaucoup moindre pour nous de déterminer avec précision la cause positive, naturelle ou préternaturelle, d’un phénomène reconnu non divin, que de savoir si Dieu s’est révélé à l’humanité. Ce qui ne vient pas de Lui ne peut avoir, sur l’orientation religieuse et morale de notre vie, qu’une portée indirecte : et l’explication en peut être, sans grand dommage, différée ou supprimée.

2°. hes cas sans explicaiion. — Il serait téméraire de prétendre qu’une enquête sur le merveilleux donnera, poiir tous les cas, des explications pleinement lumineuses et satisfaisantes. Nous devons nous attendre à rencontrer des points obscurs, peut-être des énigmes insolubles. Nous n’en serons ni étonnés, ni troublés. Un reliquat inexpliqué ne déti’uit pas les explications acquises. Un groupe de faits peut avoir montré sa cause, alors que des voisins demeurent impénétrables. La science partielle est valable et n’implique pas l’omniscience.

Telle est l’attitude philosophique que nous préconisons pour l’étude du merveilleux. C’est la seule qui ne risque de fermer aucune route devant le chercheur de bonne foi. Elle lui permet d’emplo. er les principes de solution les plus nombreux et les plus variés, tous ceux dont l’esprit humain s’est jamais avisé dans la question présente. Erreur ou fiction, forces naturelles connues ou inconnues, interventions de la divinité ou même, — au cas où leur existence deviendrait certaine, — d’autres agents surnaturels : rien n’est écarté a priori. Chacune de ces hypothèses peut valoir à sa place : il ne faut permettre à aucune d’étoulfer les autres. C’est l’examen de chaque cas particulier qui fera voir laquelle convient dans l’espèce. Et si aucune n’autorise de solution décisive, il faudra savoir rester modestement dans le doute. La critique détaillée que nous avons faite des positions différentes a toujours eu la même issue : montrer leur étroitesse et leur exclusivisme. Nous admettons tout ce qu’elles admettent comme chefs d’explication, et encore autre chose. Il y a, dans la réalité, du déterminisme et de la contingence, du naturel et peut-être aussi du surnaturel. Ceux qui n’admettent pas cette dernière possibilité ont une liberté d’appréciation bien plus rétrécie que la nôtre. « Dans bien des cas, qui peuvent, mais ne doivent pas nécessairement s’expliquer par le surnaturel, nous avons le

droit de réserver notre jugement. Eux, ils ne l’ont jamais.. Dès qu’ils se trouvent placés en face d’un événement ou d’un récit merveilleux, … (7 fuiit qu’ils tranchent par la négative, quels que soient les témoignages, l’état du texte, son origine, le sens obvie de l’auteur et ses facultés d’informations. » (B. Allô.)

II’PARTIE. — LES ATTITUDES CRITIQUES PRÉSUPPOSÉES A L’ÉTUDE DES FAITS

Ce n’est pas tout d’avoir déterminé l’esprit philosophique dans lequel on abordera l’étude des faits. Celle étude elle-même peut être conduite selon des méthodes bien diverses ; et il est bon, ici encore, d’éclairer le terrain devant soi, afin de choisir sa route en critique comme en philosophie. Car des personnes qui seraient d’accord sur la métaphysique pourraient néanmoins se disputer sur l’histoire ; et plusieurs, qui n’auraient rien à objecter contre les possibilités dont nous avons parlé jusqu’ici, trouveront au contraire les régions de l’expérience hérissées de difficultés. Nous allons donc nous demander quelle méthode il convient d’employer pour examiner les faits d’apparence merveilleuse et se faire une opinion sur eux.

Chapitre I. Les faits dont nous serions nous-mêmes les témoins

Quelques brèves remarques suffiront ici, car les difficultés naissent plutôt à propos de la critique historique. Celles qui se présentent dès maintenant se retrouveront, grandies et universalisées, sur ce terrain-là.

En présence d’un fait d’apparence merveilleuse, le témoin, selon ses idées et son humeur, peut se trouver sollicité par des tendances opposées, qui l’empêcheront do bien voir ou d’interpréter correctement ce qu’il aura vu. — H y a d’abord les tendances favorables au merveilleux. Crédulité, amour de l’extraordinaire, exaltation religieuse, impressionnabilité excessive rendant l’âme toute perméable aux contagions mentales, hàle à conclure, désir de trouver dans les faits des arguments apologétiques, etc. : rien de tout cela n’est niable universellement, et contre tout cela nous devons être en garde, aussi bien chez nous-mêmes que chez les autres.

A l’opposite, se présentent les tendances défavorables au merveilleux, les préjugés négatifs. Le scepticisme empêche de regarder. L’individualisme religieux ou philo « ^ophique se méfie de tout ce qui vient du dehors. Une demi-bonne foi craint les grosses questions religieuses liées à la constatation du miracle. Le dédain de ce qui charme les simples, le respect humain, la crainte de se disqualifier en prêtant attention à l’extraordinaire, font que l’esprit se détourne, ou se contente d’explications quelconques.

Tout ceci est plus ou moins directement inspiré par le sentiment ou la passion. Mais voici des instincts purement intellectuels. L’extraordinaire est suspect au sens commun comme à l’esprit scientifique. Il bouleverse leurs habitudes : habitudes inconscientes ou réfléchies, mais toutes éprouvées par l’usage, formées par lui, et démontrées excellentes pour l’usage ordinaire de la vie. Plutôt que d’accepter un fait étrange, on se figurera donc avoir mal vu ou mal jugé, avoir été le jouet d’une illusion ou même d’une hallucination. Or cette prudence confine au parti pris. Se dire que l’on a mal jugé n’est ni toujours raisonnable, ni même toujours possible. Il y a des constatations si simples et si évidentes (une plaie ouverte ou fermée, un os brisé et ressoudé), qu’il n’y a pas moyen de s’y soustraire. II y a des jugements si réfléchis et si mûris qu’il j- aurait de la