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MIRACLE

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conscience ; il y a pour l’homme un perfectionnement spirituel, fort différent de son perfeclionnenienl physique. Le sentiment de la responsabilité, l’approbation instinctive du bien et la condamnation spontanée du mal, tous ces traits fonciers de notre nature morale ne viennent pas moins de Dieu que la structure de nos organes. De même l’oricntaIjion de noire esprit vers la vérité ; le désir Inné de connaître, surtout les causes et les fins suprêmes ; le besoin d'éclaircirà fond le secret de notre destinée spirituelle, et de savoir ce qu’il y a derrière le voile de la mort : tout cela est comme une impulsion de Dieu qui nous pousse dans une certaine direction. Un jugement, que nous portons nécessairement, prononce d’ailleurs que ces valeurs spirituelles sont les principales et que tout le physique y est, dans le plan divin, subordonné.

2° Le systè.me moral et la rkvklation. — Or ces aspirations et ces tendances de notre nature se continuent en de vagues appels à un secours divin qui nous aiderait à les satisfaire. Le besoin d’observances religieuses positives, qui complètent, concrétisent, ou plutôt absorbent en les transformant les obligations morales, est presque universellement ressenti : dans son ensemble, l’humanité ne pense pas pouvoir être morale san.s relations avec la divinité. La conscience, sitôt qu’elle dépasse les premières notions du bien et du mal, est sujette à des hésitations ; elle se trouble en découvrant l’antagonisme de ses propres jugements avec ceux des autres consciences. Si indépendante qu’elle soit, elle estime, à certaines heures, le bienfait d'être guidée de l’extérieur par une loi infaillible et précise, par une autorité qui soit en même temps une lumière. L'àme aspire à posséder les vérités nécessaires d’une fai.on ferme et stable ; elle les veut soustraites asix disputes, et accessibles à tous. De là nnit dans l’iiumanité l’aspiration vers « quelque guide céleste », et « ce désir inextinguible d’un message divin qui de tout temps conduisit les hommes à accepter des révélations fausses, plutôt que de se passer de la consolation qu’elles apportaient)i '. Qu’on relise le Phédon, et les mélancoliques paroles de Sinimias sur la dilliculté d’arriver, par la raison seule, à la certitude sur le problème de notre destinée : « Prendre ce qu’il y a de meilleur dans les doctrines humaines (à/ff^îw-tvw » J, o-/41v) et se risquer sur cet esquif pour faire la traversée de la vie », tel est notre sort, « à moins que nous ne trouvions à nous embarquer sur un véhicule plus solide ou sur une doctrine divine (>f/^j Ssiou)- >k -— Voilà quelles aspirations sont dilïuscs dans l’humanité, quels prolongements pousse le système moral du côté de Dieu.

Assurément, c’est là une matière indécise et flottante, que l’on dénaturerait si on voulait la durcir en exigences rigoureuses, ayant pour objet le surnaturel au sens strict. Mais l’imprécision même de ces commencements opérés par Dieu les rend aptes à recevoir des achèvements et des couronnements de plus d’une sorte. Et dono une révélation, qui viendrait en aide à de pareilles tendances, qui les dirigerait et les ferait aboutir, qui remédierait divinement aux tâtonnements de la conscience morale et aux défaillances de l’esprit dans la recherche de la vérité nécessaire, — une telle révélation n’apparait pas comme une chose improbable d’avance et invraisemblable. Que si quelqu’un, au nom des méihodesde la science positive, refusait de reconnaître ces indices, il faudrait lui dire que les moules

1. Newman : loc. cit., p. 19. '2. Phédon. ch. 35.

trop étroits, où s’est coulée son intelligence, laissent fuir ce qu’il y a de plus délicat, de plus vivant et de plus profond dans la réalité humaine.

3° La place du mir.acle dans le système morai., coMMK MOYEN d’une RÉVÉLATION. — Le mondo physique est donc i>énétré et enveloppé par le monde moral. Les deux ne forment qu’un tout. Et si le miracle se produisait, ce ne serait qu’une modification de la partie inférieure au profil de la partie capitale et dominante. Getle modification n’impliquerait d’ailleurs aucune incohérence intrinsèque, aucun manque d’harmonie dans le système total, mais au contraire la subordination des parties entre elles : de même que l’on voit, dans une machine, certains ressorts commander, contrebalancer et, au besoin, arrêter les autres, au j)rofit du mouvement d’ensemble et selon le but visé.

Or si nous avons pu marquer dans l'œuvre divine la place possible et convenable d’une révélation, nous y avons marqué du même coup la place du miracle. Il est en effet le moyen et la condition nécessaire de la révélation. Nous l’avons expliqué à propos des objections de Stuart Mill et de MM. Blondel et Le Roy'. La révélation est un enseignement qui se présente comme fondé sur l’autorité de Dieu. C’est là son titre distinclif et particulier de créance, la raison formelle et décisive de l’adhésion qu’elle réclame. Par conséquent, le moins qu’on puisse exiger poiu- y croire, c’est que l’autorité en question se montre, qu’elle atteste son intervention actuelle. Le signe de cette intervention ne peut être qu’un fait, et un fait contingent. Car la révélation elle-même est, d’abord, un fait de ce genre. Elle ne se présente pas comme une doctrine déduite, comme la conclusion de principes nécessaires ou de données possédées par la raison. D’autre part, les aspirations naturelles et les anticipations imprécises dont nous avons parlé ne font qu'établir sa convenance et sa probabilité. Elles ne certifient point son existence. Elles portent à regarder d’un certain côté, âne point tenir la découverte comme improbable, peut-être même à l’espérer- : mais elles ne la font point ellesmêmes. Encore moins pourraient-elles sulfire à déterminer la qualité et la teneur de la révélation. C’est ce que semblent oublier ceux qui voudraient que le message divin s’y référât comme à sa garantie propre. Les convenances internes préparent en nous la place de la vérité surnaturelle ; elles y conforment notre ànie par avance ; elles font que, descendue en notre intérieur, la nourriture céleste y pourra être assimilée ; elles sont la condition qu’une révélation doit remplir : mais elles n’en peuvent être la garantie spéciale, le signe caractéristique et distinclif. Car une religion d’origine terrestre, une vieille institution par exemple, modelée par le temps sur les besoins de l’homme, pourrait offrir aussi de remarquables convenances avec notre nature, et fournir à l’individu un appui moral. Une sage doctrine traditionnelle, élaborée par les ancêtres, œuvre de raison et de poésie, pourrait procurer d’appréciables satisfactions à la conscience et à l’esprit. Au point de vue des convenances, elle aurait même cet avantage sur une doctrine censée révélée qu’elle ne contiendrait aucun mystère, aucun fait surprenant. Tout cela est bien éloigné d’une preuve d’origine surnaturelle. Une révélation divine ne saurait évidemment contredire ce qu’il y a de légitime en nos aspirations ; mais c’est là une qualité toute négative, et après en avoir pris acte, on attend toujours l’argument positif. —

1. Ci-dessus, col. 539, 541 note.

2. Au moins dans sa généi-alité, comme un secours dont on no sait s’il sera surnaturel ou simplement providentiel.