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MIRACLE

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que les autres disciplines lui ont livrés. Une fois qu’on est sur ce terrain, il n’y a plus qu'à décider quelle est la meilleure métaphysique… Aussi longtemps donc que la science n’assimile aucune donnée proprement philosophique, elle n’a pas à se prononcer sur les causes réelles. Elle n’a point à affirmer ou à nier le caractère miraculeux d’un phénomène. Elle est tenue seulement de le laisser intact, lui et ses entours, sans le déformer ni le réduire ; de constater par exemple, s’il y a lieu, qu’il s’est montré sans aucun des antécédents ordinaires, connus, et réputés suffisants.

« On ne peut pas, objecte ici M. Le Roy, tenir

pour donné à titre de phénomène ce à quoi on commence par attribuer des caractères inverses de ceux qui composent la notion de phénomène donné… La réalité d’un fait, c’est l’entrecroisement des rapports qu’il soutient, la convergence des liens dans la trame desquels il est engagé et forme centre… Il faut le concevoir comme un nœud de relations, comme une onde stationnaire dont l’immobilité naît par interférence de mouvements contraires. » D’ov’i M. Le Roy conclut que le miracle, étant par hypothèse un phénomène qui ne tient à aucune condition phénoménale, est « impensable ». — Mais, je le demande, en s’exprinianl ainsi, M. Le Roy entend-il parler le langage de la science ou celui de la métaphj’sique ? A-t-il en vue l’interférence des conditions vraiment efficaces, au sens ontologique du mot, le point d’intersection des influences causales, — ou simplement le confluent des données diverses, le tissu des phénomènes entrecroisés ? Il semble que sa pensée oscille d’une signiGcation à l’autre. II va et vient des phénomènes aux causes et des causes aux phénomènes. De ce que tout phénomène doit avoir des tenants et des aboutissants i’ordre phénoménal, il conclut qu’un événement, qui n’a point de cause ontologique elficiente en ce monde, ne peut y apparaître comme phénomène. On voit à plein le vice du raisonnement. Il faut choisir. Si l’on se tient en dehors du plan métaphysique, si l’on exclut la considération des causes, au sens fort et scolastique du mot, on n’a plus devant soi que de ; successions de phénomènes, qui, pour être constantes, ne sont point, du même coup, nécessaires. Aux yeux de la pure expérience, la nécessité n’existe pas. Dire qu’un phénomène antérieur exerce une influence sur ceux qui suivent, qu’il les soutient et leur fournit les éléments qu’ils s’assimilent, établir entre eux et lui un lien lie proportionnalité, de raison suffisante, ou de succession infaillible, ce n’est plus observer, c’est philosopher. On pense alors, qu’on l’avoue ou non, à quelque « vertu » invisible qui s’exerce des uns aux autres, à quelque transfusion de forces ou d'éléments. Si l’on passe au contraire dans le plan métaphysique, toutes ces spéculations seront à leur place. On pourra s’arrêter, par exemple au postulat déterministe, qui explique tout par des lois rigides et des connexions infaillibles. Mais alors il ne faudra plus parler simplement de « phénomène donné ».

Pour éviter toutes ces confusions, nous dirons donc que le miracle, s’il existe, est un phénomène apparu dans le monde sensible, encadré d’autres phénomènes, en relation intime avec eux, mais que les causes, également invisibles, des uns et des autres, ne sont pas identiques.

2° En lui-même encore, mais danssa /orme, c’est-àdire considéré comme intervention d’une liberté parmi des phénomènes sensibles, le miracle soulève le même problème que notre liberté créée, que les réactions de l’esprit sur la matière. Un certain déterminisme matérialiste ne craint pas d’unir le sort du miracle et celui du libre arbitre. « Du principe

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déterministe, dit M. Goblot, on tire immédiatement ces deux corollaires : i° Il n’y a pas de miracle ; 2° Il n’y a pas de libre arbitre. » Gela est, au fond, très logii(ue. De part et d’autre, en effet, il s’agit d’une énergie d’ordre spirituel, qui ne tombe point sous l’expérience sensible, qui ne se mesure ni ne se pèse, qui n’agit point nécessairement, et qui pourtant modifie le jeu du déterminisme matériel. N’ayons pas la naïveté de nous représenter la liberté divine sur le modèle exact de la nôtre ; n’oublions pas que nous expérimentons celle-ci, tandis que nous concluons celle-là ; il reste après tout qu’une expérience irrésistible nous met justement en face de ce que les adversaires du miracle répugnent si fort à admettre : des modifications matérielles sans cause du même ordre, des phénomènes sensibles qu’aucun antécédent nécessaire ne suffit à expliquer.

De la convergence des idées que nous venons d’indiquer ressort, ce semble, la possibilité physique du miracle. Nous possédons une vue du monde où elle se dessine sans incohérence. Celui qui accepte cette vue pourra, sans heurt et sans coup d'état intérieur, sans bouleversement des principes et des fondements de sa vie mentale, admettre la réalité d’une intervention extraordinaire de Dieu, si quelque jour elle s’impose à hii.

Il" La possibilité morale et la cause finale du miracle

Cependant le point de vue que nous venons d’indiquer est encore trop restreint et trop superficiel ; il demande à se situer dans un autre, plus ample et plus profond. Celui-ci n’a jamais été mieux exposé que dans quelques pages de Newman, dont nous donnerons ici la substance et parfois la traduction '.

1° L’existbnce du svstèmb moral. — Aux yeux de quiconque admet un Dieu sage et bon, le système physique du monde ne peut être qu’un fragment dans un ensendjie plus vaste. Il doit s’enchâsser dans un système moral et s’y subordonner de façon absolue. Car Dieu n’est pas seulement « le Grand Architecte », l’ouvrier du monde. Il est surtout le Bien et la Vérité première, l’Amour, la Justice et la Sagesse infinie. Et ses uns suprêmes ne peuvent être que des fins de vérité, de justice et d’amour.

En particulier, pour ce qui concerne l’homme, nous pouvons déduire de la seule notion de Dieu que les intentions divines sur lui sont qu’il s’oriente vers la vérité et la vertu, et que ce monde physique, — dans la mesure où il est en relation avec l’homme, — n’a pas d’autre fin que de l’y aider.

Mais pour ceux à qui cette métaphysique ne se ferait pas entendre, les faits parleront « ans doute un langage plus clair. On se souvient que c’est sur ce terrain des faits que Hume voulait nous conduire'-. Nous ne pouvons, disait-il, savoir ce que Dieu veut faire ou fera qu’en examinant ce qu’il fait en réalité. Soit. Admettons-le pour un instant. Mais précisément ce que Dieu fait n’est pas tout entier d’ordre physique. L'œuvre divine contient des éléments moraux que personne ne peut méconnaître, et que l’expérience aussi nous révèle. On trouve ici-bas des réalités morales : certaines lois concernant le bien et le mal se manifestent à notre

1. I^ssayi on niirac/e^. Essa I, p. 1*> à 22.

2. Ci-Jessus, col. 539.

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