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MIRACLE

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spéculative, on peut encore contester, particulièrement, celle qui prétend démontrer le miracle. C’est ce que l’ail Stuart Mill. D’après lui, cette démonstration est tenue en échec par deux difticultés. La première est que la présence latente d’une cause naturelle reste toujours probable. La seconde est que ce que nous savons des oics de Dieu dans l’univers nous laisse en doute sur la convenance du miracle avec ses attril>uts.

Nous verrons plus loin (ci-dessous Section II, col. 552 sq.) si, comment, et dans quels cas, la cause naturelle in connue peut être exclue avec certitude. — Quant à la question des attributs divins, elle se subdivise.

a) La bonté de Dieu et sa toute-puissance sont mises en avant par les croyants jjour rendre le miracle vraisemblable a priori. Or, remarque Stuart Mill, les faits mêmes, où cette bonté et cette puissance sont censées se manifester, les rendraient plutôt douteuses. En effet, de l’aveu de tous, les miracles sont une rare exception. Comment se fait-il qu’une bonté inlinie se manifeste si parcimonieusement ? Pourquoi une puissance sans bornes se contiendrait-elle en de si étroites limites ?

Sur ce sujet, nous nous contenterons de faire remarquer que les questions posées rentrent dans un problème plus vaste, et qui relève de la tliéodicée : c’est celui des limites que la Liberté Souveraine donne à son action extérieure, du mal qu’elle laisse subsister sans le guérir. Nous n’avons pas à le résoudre ici (Cf. articles Dieu et Phovidenck).

h) La manière dont la sagesse divine gouverne l’univers fournit à Stuart Mill un argument distinct. En elfet, dit-il, nous voyons que Dieu agit ordinairement par les causes secondes, par le cours normal des événements. Si donc II a voulu que l’Humanité embrassât certaines doctrines, il a dû disposer des causes, des événements naturels pour cette Un, plutôt que d’agir par lui-même, miraculeusement. Il est donc croyable, par exemple, qu’il a fait oclore le Christianisme à son heure, comme le fruit du développement de l’esprit humain, [ilutôt que de chercher à l’imposer à coup de prodiges. — Une telle hypothèse est précisément le négation de l’idée de révélation. Si Dieu veut révéler à l’homme une doctrine qui contienne quelque mystère, si même 11 veut couvrir de son autorité, pour leur assurer une dilTusion plus large et plus facile, des vérités naturelles, il faut absolument qu’il fournisse une marque de son dessein. Or quel autre signe qu’un « fait divin » pourrait servir à ce propos ? La révélation n’est pas un événement nécessaire : c’est, de la part de Dieu, un acte libre. Elle doit donc prendre l’orme dans une manifestation extérieure de même nature, dans un fait qui soit, à la fois, contingent et divin. Or qu’est ceci sinon un miracle ? Miracle extérieur ou miracle intérieur et psychologique, miracle moral et social ou miracle physique, il faut, de toute façon, que le signe soit autre chose qu’un B développement naturel » des forces de l’esprit, de la matière ou de la société. II faut qu’on y sente une intervention supérieure indiscutable, quehjue chose d’extrinsèque à la nature. C’est là le seul moyen approprié pour authentiquer une révélation. Et la sagesse divine, à supposer qu’elle ait voulu cette lin, ne pouvait faire l’économie de ce moyen.

5" De la toute-puissance de Dieu on ne peut pas conclure à ta possibilité positive du miracle {M. E. Le Roy).

Comme Stuart Mill, mais à un autre point de vue, M. E. Le Roy attaque l’argument de la toute-puissance de Dieu et les comparaisons dont on se sert pour l’étlaircir (pouvoir de l’ouvrier sur sa machine.

du roi sur son royaume, etc.). « Dieu, dit-il, peut tout, sauf l’absurde j, le contradictoire. Or peut-être le miracle est-il contradictoire. Peut-être y a-t-il, dans l’immense et insondable réalité, quelque obst.icle, à nous inconnu, qui s’o[ipose à son accomplisse ment. Nous n’en savons rien ; inq)uissants à embrasser la réalité totale, nous n’en pouvons rien savoir. L’argument de la toute-puissance se réduit donc à 1 un simple Qui sait ? » auquel personne ne saurait donner de réponse positive.

On reconnaît ici le fameux principe d’immanence ou d’interdépendance universelle : tout lient à tout, tout est dans tout, rien ne peut être connu à part avec certitude. Nous avons étudié ailleurs ce principe et nous en avons niontré l’outrance et la gratuité’. Nous avons vu qu’une science partielle peut être exacte. En particulier, pour ce qui est des çofsibilités, il est certain que nous en jugeons fort bien d’avance et sans avoir de l’univers une connaissance exhaustive. Par exemple, nous sommes sûrs que les théorèmes mathématiques et même les lois physiques, — qu’on les prenne pour des vérités ou, comme M. Le Roy, pour des recettes, — se véritieront dans des milliers d’événements et d’êtres que nous n’avons jamais vus, et dont bien des traits seraient pour nous complètement nouveaux et peut-être bien déconcertants. Mais surtout, l’argumentation de M. Le Roy, comme celle de Stuart Mill, va contre tout usage spéculatif et transcendant de la raison. Si l’esprit humain est confiné dans l’expérience et dans son interprétation immédiate, s’il ne peut rien décider dans l’abstrait et en raisonnant sur les idées, c’est toute la métaphysique qui est condamnée, y compris la démonstration rationnelle de l’existence de Dieu. M. Le lloy admet d’ailleurs cette conséquence. Encore une fois, pour apprécier ces positions extrêmes, ce n’est pas sur le miracle, mais sur la métaphysique ou la critcriologie générale qu’il faudrait faire porter la discussion.

Pour ne ])as sortir de notre sujet, nous ferons seulement remarquer que M. Le Roy prête aux partisans du miracle une position toute différente de la leur. Pour eux, la possibilité du miracle n’est point une possibilité en l’air, dépourvue de preuves spéciales, sur laquelle tout renseignement direct ferait défaut, et qiie l’on se bornerait à déduire confusément, avec les autres, du principe général de la toute-puissance de Dieu. On ne dit pas : Dieu peut tout, par conséquent II doit pouvoir aussi cela ; mais, très précisément : Il est impossible que Dieu ne puisse pas, en particulier, cela. Non seulement le miracle n’apparaît pas contradictoire, mais c’est son impossibilité qui apparaît telle. Ceci, nous l’espérons, deviendra tout à fait visible, quand nous aurons exposé les raisons positives dans lesquelles s’enracine la possibilité du miracle-.

6° Garantir une révélation par des prodiges est un procédé indigne de Dieu, parce que trop simple, trop brutal, trop extrinsèque à la vérité proposée et à l’esprit auquel on s’adresse (MM. veuilles, Blondel et E. Le Itoy).

Le raisonnement qui passe d’un miracle dûment établi au fait d’une révélation divine a un « caractère artiliciel » (Blondel). Clair et facile, il n’a rien des « méthodes savantes et complexes » (Blondel), qui plaisent aux penseurs. Les simples peuvent s’y laisser prendre, mais non « les esprits capables de réllexion et ceux qui ont quelque sens de la vie intérieure » (Le Roy). Si on prend le miracle en

1. néféreiices et résumé ci-dessus col. 532.

2. Ci-dessous, Section II, col. 543, 541.