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MIRACLE

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nicdtcine liumaine, d’cclipser les fortes lliérapeutiques naturelles qu’il a lui-même créées, mais de parler aux àuies. Encore la manière souveraine et immédiate dont Il opère l’œuvre matérielle, et jusqu’à ces marques de bon plaisir qu’il y imprime, choisissant « arbitrairement » ses moniciils et les sujets de ses faveurs, ont-ils une allure indépendaulc qui convient à la Liberté suprême. Sans doute un liomme isolé ou même le genre humain tout entier sent peu de clioses, quant à leur niasse matérielle, dans l’Univers. Mais est-ce ici une question de masse ? « Quand l’Univers l’écraserait, l’Iiorame serait encore plus noble que ce qui le tue… » El l’on comprend que les valeurs S])irituelles attirent de préférence le ref ; ard du « Père des esprits », qu’elles soient pour Lui d’un plus grand inlcrét que tout le monde matériel. Sans doute encore, ni une âme individuelle, ni même toutes les àmcs ensemble ne mé ; (ie « Mes sollicitudes divines. Rien n’a, en face de Dieu, une dignité qui préexiste à son choix. Il faut renoncer à trouver, dans le fini, un objet proportionné à l’action de l’inlini. Mais on conçoit que, si les créatures ne peuvent s’égaler à Lui, sa condescendance l’incline vers elles. Rien n’est trop petit pour échapper à l’Intelligence sans bornes ; rien de moral n’est indill’érenl à la Justice absolue ; rien n’est trop bas pour la Miséricorde et l’Amour éternels. Voilà qui explique que Dieu puisse déployer des soins excessifs en des sphères parfois minuscules ; voilà quelques-uns des motifs qui peuvent rendre plausible a /iriori une intervention extraordinaire de Dieu, soit en faveur de l’humanité entière, soit à l’égard de quelques privilégiés.

4° Le témoignage de l’expérience infirme la probahilité d’une iiUeryeniiijn divine (Hume et Stuart Mill)

Nous avons vu (ch. II) que Hume et Stuart Mill se servent de l’induction contre le miracle. Leur raisonnement n’a rien de particulier si ce n’est que, par une lactique destinée à embarrasser les croyants, au lieu de faire du déterminisme une simple loi natui’elle, ils le présentent comme une règle du gouvernement divin. Cela ne change rien à la substance de la dilUculté.

Ce qui est neuf, ce sont les autres thèses polémiques dont Stuart Mill l’a entourée. Son coup d’oeil exercé de logicien lui a montré le point précis où il fallait toucher l’argumentation de ses adversaires pour l’énerver. Il s’est efforcé de déprécier le genre même des preuves qu’on lui opposait. Voici comme il s’y prend’.

1° En premier lieu, dit-il, l’enchaînement régulier des phénomènes, sur lequel se fonde le déterminisme, estobjetdexpérience ; tandis que la possibilité ou la réalité d’une intervention divine ne peuvent jamais s’appuyer que sur une « inférence spéculative », procédé beaucoup moins immédiat et par conséquent moins sûr.

Réponse. — a) Il est faux que le naturalisme déterministe se passe d’inférences spéculatives et se borne à enregistrer les faits. Lui aussi raisonne, et beaucoup. — D’abord, même s’il ne cherche, en les baptisant du nom de causes, que des antécédents invariables, ce n’est pas l’expérience brute qui les lui fournira. Stuart Mill lui-uiême a. posé les règles logiques par lesquelles on arrive à dégager de tels antécédents dans la masse amorphe des faits. Il s’agit d’interpréter l’expérience, de découvrir entre

les phénomènes des liens de connexion nécessaire

t

1. Une difficulté sérieuse se pose à propos du sens que Stuart Mill donne au mot « cause)>. Nous avons montré, dans V Introduction, p. 151 s(j., que ce sens devait être ontolofjiquepour que les dilBcultés de Stuart Mill eussent elles-inènies une signification.

de consécution infailliljle ou, comme dit Stuart Mill, a inconditionnelle u : tout cela ne se fait pas en ouvrant simplement les yeux. Tout cela consiste en somme à faire entrer les données expérimentales dans certains cadres « spéculatifs ». Mais si l’on donne au mot cause son sens plein d’antécédent eflicace et déterminant, — ce qui est très souvent le cas dans les sciences* — alors, la métaphysique elle-même entrera en jeu. Partout la causalité est conclue et pensée ; nulle part elle n’est vue et touchée par les sens ou saisie par les instruments. — Enfin, puisque la discussion porte ici sur les phénomènes d’aspect merveilleux, c’est-à-dire par hypothèse, sans cause naturelle actuellement apparente, il faut bien que tous, déterministes ou non, nous cherchions, hors de l’expérience, l’explication que celleci ne nous fournit pas. Et c’est ce que font ouvertement Stuart Mill et les autres, lorsque, an lieu de remonter à Dieu, ils nous proposent d’admettre une cause naturelle cachée. C’est avouer que, l’expérience étant muette, il faut faire appel à des inférences, à une spéculation, pour se décider.

t) Soit, dira-t-on ; mais la spéculation qui conclut à une cause naturelle cachée est cellequi nous écarte le moins de l’expérience. Cette cause, que nous imaginons, a l’avantage d’être analogue aux causes que nous observons. Elle est conçue d’après leur modèle. Elle pourra, un jour, se manifester parmi elles et comme elles. Tandis que Dieu est, pour toujours et par essence, un être extra-expérimental. — Fort bien ; mais ceci ne prouve pas du tout ce <iui est à prouver : savoir, que cette conclusion soit obtenue par un procédé plus immédiat que l’inférence. Ne confondons pas le terme et le chemin. C’est par un raisonnement que l’on essaie d’établir la supériorité du concept calqué sur l’expérience. Ce raisonnement ne peut passer à aucun titre pour un procédé « expérimental ». Il est vain de vouloir l’identifier, — je ne dis pas même à l’expérience pure, — mais aux opérations logiques qui s’appliquent à l’expérience et qui l’interprètent. Ici, nous sommes incontoslableuient dans l’abstrait. C’e.st guidé par un a priori, d’ordre rigoureusement métaphysique, que l’on rejette, ou que l’on relègue parmi les choses douteuses, tout ce qui est inaccessible à l’observation. C’est en instituant une crilique de la connaissance, une hiérarchie entre nos facultés et un triage entre leurs données, que l’on fait ressortir la valeur de l’expérience. On manie les idées de certitude, d’erreur et de vérité. On fait de la métaphysique, de la

« critériologie ». Si toutes ces opérations ne constituent

pas un ensemble d’  « infcrences spéculatives », je me demande à quoi on donnera ce nom. La philosophie de Stuart Mill, même appliquée au miracle, n’est pas la science, mais, comme toutes les philosophies, une doctrine qui surgit au delà de la science. Elle n’a donc aucun caractère plus « immédiat » que ses rivales.

Il faut ajouter que, dans l’espèce, elle est aussi nn beau spécimen de spéculation sophistique. Si l’on met en forme les propositions de Stuart Mill contre le miracle, on aboutit à de véritables monstruosités logiques. Qu’on en juge : l’expérience nous apprend qu’il e.xisle des phénomènes, certainement naturels, dont la cause est ignorée ; donc tous les phénomènes dont la cause est ignorée sont naturels- ; — l’expérience est un procédé plus immédiat que l’inférence ; cela sufdt pour qu’elle en annule la valeur et en abolisse les résuLats.

2" Mais, étant admise la valeur de l’inférence

1. Cf. Introduction, p. 59 et 153. -. Cf. Introduction, p. 160 sq.