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MIRACLE

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t. I, col. 9^1 sq.). Nous avons donc à faire voir ici, d’abord par la solution des difficultés (section I), ensuite par des raisons positives (section II), comment le miracle s’encadre dans un système tliéisle. Loin de parlir.du miracle pour prouver Dieu, nous avons au contraire etavant tout à défendre sa possibilité contre ceux qui s’appuient, pour la nier, sur l’existence et les attributs divins.

Section I. — Les objections contre Vintervention de Dieu dans le monde '.

I" Le miracle rabaisse Dieu au ran^ des causes secondes (A. Sabaiier, Tyrrell, M. Loisj).

Quelques théoriciens des choses religieuses ne veulent pas que Dieu se manifeste en certains événements de l’histoire plus spécialement que dans les autres. Ce serait pour lui, pensent-ils, quitter le plan de l’absolu et entrer dans celui du relatif, descendre de l’iiiUni au fini : une telle transjjosition, une telle descente leur semble, à bon droit, une contradiction, une absurdité. L’intervention de Dieu dans le miracle ferait de lui « une cause phénoménale et particulière semblable aux autres ». (A. Sabatier.)

« Par une sorte de limitation de lui-même, il quitterait sa position de cause premiéi-e et dernière et

prendrait la place de quelque cause seconde et Unie. » (Tyrrell.)

Toutes ces observations [lorlent un peu à côté de ce que soutiennent les partisans du miracle. En eflfet, on ne suppose pas que Dieu quitte sa place de cause première pour se réduire uu rôle de cause seconde. On prétend au contraire qu’il garde sou rôle essentiel et normal etque, même en tant qu’il supplée les causes secondes, il ntgit pas comme une cause seconde. Il ne peut être question d'établir aucune parité entre la cause seconde, qui ne fait jamais que mettre en œuvre une énergie venue d’ailleurs, et la cause première, source uni(pie de la sienne. Le miracle, terme de l’action divine, est, à la vérité, un fuit parmi les autres faits, mais sa cause n’entre point pour cela dans le tissu des phénomènes, dans la mêlée des éléments cosmiques. Elle reste ce qu’elle était, toujours inaccessible à l’expérience et mystérieuse. D’ailleurs, d’après l’hypothèse des partisans du miracle, le fait miraculeux lui-même, par sa structure et ses entours singuliers, permet de conclure qu’il n’est pas un fait comme les autres, et qu’il dépend de la cause première d’une façon spéciale. Celte façon consiste à procéder immédiatement de Dieu, en se passant des intermédiaires communs. Pour que rol)jeclion portât, elle devrait prouver que le Premier Etre ne peut exercer son influence ([ue d’une seule façon : par les causes secondes. C’est ce qu’elle ne fait pas. C’est ce qu’elle ne peut faire, sans contredire fonuellement ses présupposés, car quiconque admet, en face des activités créées, un Dieu créateur et souverain, est obligé de lui reconnaître deux espèces d’actions : l’action immédiate de la création, du don de l'être, à laquelle nul intermédiaire ne collabore ; et l’action médiate, qui consiste à obtenir un résultat en actionnant les causes secondes. Le miracle est l’analogue de la première.

1. Dans la discussion de ces objfclions, nous reliitûns ce que peuvent répondre des partisans du miracle, sans parler encore do façon définitive. Nous voulons montrer f^ue les objections ne valent pas. plutôt qu’esposcr une cJoctrine. Ce qui est afHrmé ne l’est donc que d’une façon hypothétique et provisoire. Une condition est pÈfitout sousentendue, qui est celle-ci : s’il y o, par ailleurs, des raisons pnsitifes d’admettre te miracle en principe. Ce n’est que quand nous aurons donné ces raisons-là, que ce *pii est dit ici prendra toute sa valeur.

2" Le miracle implique en Dieu mutabilité ou impuissance (Voltaire, M. A. France, etc.).

Celte objection suppose que la fin du miracle est de corriger dans le monde quelques défauts physiques : « Dieu ne pouvait déranger sa machine que pour la faire mieux aller. » CVoltaire.) u La lourde machine a besoin… d’un coup de main du fabricant. » (.. France.) — L’objection suppose encore que Dieu change d’idées, qu’ayant construit le monde selon un certain plan il se ravise pour y introduire des modilications. On nous fait le tableau ridicule d’un Dieu qui se résout à « changer ses éternelles idées i> (Voltaire), à faire de temps en temps quelques « retouches timides » à sou œuvre (A. France).

Tout cela est parfaitement absurde. S’il y a des gens qui mêlent à la eonceplion du miracle de pareils enfantillages, il faut le regretter pour eux. Mais aucun esprit sensé et tant soit peu cultivé philosophiquement ne s’y arrêtera. Pourquoi assigner au miracle unbul purement physique ? N’est-il pas concevable avec des lins plus hautes et proprement morales ? Il ne s’agit point de faire mieux marcher une machine, mais, par exemple, de rendre l’homme attentif à une révélationdivine. Le miracle ne reprend pas une œuvre que la création aurait manqué ; il en commence une autre, toute différente. Il est le point de contact de deux ordres, le lieu où, dans l’ordre naturel, uu ordre supérieur vient s’insérer.

Et qtiel anthropomorphisræ naif de se figurer qu’un effet nouveau et dilférent des autres requiert en Dieu un changement d’avis, une succession de pensées diverses ! Comme Dieu choisit, par un seul décret infini, — r|ui s’idenlilie à son essence, — la diversité innombrable des êtres et des lois, il veut aussi, d’un même dessein éternel, l’ordre de la nature et les exceptions miraculeuses. Il n’y a là que deux termes hétérogènes, également contingents, également subordonnés, de l’activité divine. Entre c : i.i, ils forment contraste ; ils s’opposent et se succèdent l’un à l’autre ; de l’un à l’autre il y a changement ; — mais ni l’un ni l’autre n’est en conti’aste avec une volition divine quelconque ; ni l’un ni l’autre ne suppose en Dieu une volition spéciale, qui serait sa raison sufiîsante, à lui exclusivement, et à laquelle une autre volition pourrait s’opposer.

3° Le miracle implique en Dieu un manque de sagesse ou de dignité ( Voltaire, M. Séailles, etc.}.

Dans le miracle tout est mesquin. Le but d’abord. Ceux qui en bénéficient sont quelques individus pris au hasard, ou tout au plus, l’humanité, c’est-à-dire quelque chose comme « une petite fourmilière » (Voltaire) dans l’immensité du monde. Il n’y a aucune proportion entre une interruption de l’ordre général et de si minimes intérêts. — Les moyens mis en œuvre ne sont pas plus relevés : quelques misérables « accrocs faits ax’bitrairement » (Séailles) par Dieu à un ordre grandiose qu’il a lui-même établi ; quelques guérisons réussies çà et là, succès dérisoire, si on le compare aux innombrables cures obtenues chaque jour par la médecine humaine (Séailles). Tout cela est indigne de la grandeur comme de la sagesse divine.

Ces difficultés, comme la précédente, trahissent une incompréhension totale du miracle. Sa nature morale, la fin que ses partisans lui assignent, sont ici derechef complètement oubliées. Les « accrocs » minimes, dont on parle, s’ennoblissent par leur but grandiose. L’instruction, la moralisation, la sanctification de l’humanité ne sont pas des objets mesquins. Il ne s’agit pas pour Dieu de rivaliser avec la