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MIRACLE

résultats sont bien ceux que l’on attendait. Le savant se trompe dans ses pronostics, mais non pas comme s’il avait affaire à des volontés capables d’indépendance et de caprice. Quand il raisonne d’après ce qu’il appelle ses « lois », la plupart du temps il conclut juste, et ici c’est l’erreur qui est l’accident. Au contraire, on signale comme une exception rare, comme un fait invraisemblable, la vérification d’une prophétie portant sur des futurs libres. Les cas sont inverses. Tout cela sépare la réalité en deux zones bien distinctes, dont il est paradoxal d’effacer les limites.

b) Les « lois » scientifiques ne sont pas des constructions purement arbitraires. Elles dépendent de deux éléments, dont les contingentistes oublient le second ; la commodité de l’expression, et la donnée qu’il s’agit d’exprimer. L’expression peut être conventionnelle, et symboliser le réel au lieu de le représenter ; le point de départ de la science et l’orientation de sa marche ont pu être conditionnés par des circonstances de hasard ou des convenances pratiques : tout cela n’empêche pas que, dans une langue ou sous des signes quelconques, le réel ne soit exprimé. Abordez-le de la façon qui vous plaira : vous n’êtes pas maître d’y voir ce qu’il vous plaira. En particulier, l’uniformité des lois repose sur un fondement objectif : la similitude des phénomènes entre eux. « Cas singulier » peut-être par certains détails, chaque événement est banal par beaucoup d’autres. La nature a ses coutumes, et il suffit d’ouvrir les yeux pour voir qu’elle ne s’en dérange guère. Il est légitime de classer dans une formule unique ces similitudes. Ceux qui en font abstraction, pour ne considérer que la diversité, déforment la réalité autant que ceux qui ne voient qu’elles. Si, comme MM. Blondel et Le Roy, on dépouille l’idée et l’observation de toute valeur de connaissance, il est logique de rejeter, comme une « idole », l’idée d’une nature régulière et stable. Mais cette dernière exclusion, qui entraîne celle du miracle, n’est elle-même que le pur corollaire d’une théorie générale sur la valeur des opérations de l’esprit, que nous n’avons pas à étudier ici1.

1. Nous l’avons fait dans La notion de vérité, p. 61 sq ; et surtout dans Immanence, 2e Partie, chap. II. Cf. aussi : Introduction, p. 113 sq.

c) Moins paradoxale et plus directe est l’objection que l’on tire de l’instabilité des constructions scientificiues. Comment admettre cette uniformité de la nature, qui est le repoussoir obligé du miracle, puisque les « lois », admises pour un temps, sont modifiées ensuite, et incessamment, par les découvertes ?

Mesurons cependant la portée du fait allégué. Sans doute la nature ne s’est pas révélée en bloc à l’humanité. La connaissance que nous en acquérons progresse, s’approfondit, se précise et se corrige, comme toutes nos autres connaissances. Mais ce que l’on découvre est de même espèce que ce que l’on savait : le nouveau est semblable à l’ancien. On corrige la « loi de Mariotte », mais par des « lois » nouvelles. La régularité des faits est mieux comprise, mais c’est toujours la régularité. Rien en tout cela n’a un air de liberté ou d’arbitraire : ce qui montrera une telle apparence tranchera sur le reste.

La continuité.

C’est encore la philosophie générale et tout un système du monde qui se trouvent impliqués dans l’objection inspirée par le principe de continuité : tout est intérieur à tout, ou, du moins, tout tient à tout. Nous ne pouvons traiter ici ces difficultés qui dépassent de beaucoup notre objet et même celui de l’apologétique. Bornons-nous à énoncer, sans en fournir la preuve, ce que nous avons démontré ailleurs.

Le principe de continuité ou d’interdépendance universelle n’est ni évident par lui-même, ni déduit de prémisses qui soient telles.

L’expérience ne nous fait point apercevoir, eu chaque phénomène, l’influence de tous les autres1.

1. Immanence : 2e partie, ch. I.

Bien au contraire, l’expérience nous montre, entre les événements et les objets, des limites parfois flottantes et parfois nettes.

Il y a dans le monde, des séries entières de phénomènes qui se comportent entre elles comme des étrangères.

Même dans ce qui change, quelque chose dure ; et les rapports éphémères, les menus accidents qu’engendre dans l’ensemble chaque modification du moindre élément, laissent pourtant subsister, bien reconnaissable, la substance des autres.

Même parmi les phénomènes reliés entre eux par des influences réelles et profondes, certains antécédents peuvent être remplacés par d’autres, sans que le conséquent subisse une altération correspondante. Enfin, la connaissance partielle a une valeur et n’est point nécessairement déformante2.

2. Ibid., p. 71 sq, — Introduction, p. 116 sq.

On peut donc considérer certains faits à part, et fonder sur eux des raisonnements distincts, sans s’écarter de la vérité.

Notes additionnelles au chapitre précédent

Note A. — Sur l’interprétation des écrits de M. Blondel.

La nécessité de ne pas dépasser les limites fixées à cet article m’a contraint d’exposer sous la forme la plus succincte les opinions de ce philosophe. On a pu voir cependant que je prenais à son égard une position toute différente de celle que les auteurs d’un précédent article (Méthode d’immanence, ci-dessus t. II, col. 579 sq.) ont adoptée. On le verra encore par la suite (ci-dessous col. 540). Les raisons que j’ai de le faire sont développées dans mon ouvrage Immanence et dans deux courtes publications, où j’ai répondu, point par point, aux réclamations de M Blondel (1° Observations parues dans la Revue pratique d’Apologétique, 15 janvier 1913 ; 2° A propos d’une brochure récente de M. M. Blondel, Paris, Beauchesne, 1913). C’est là que ceux qui ont le souci de juger avec impartialité cette controverse voudront bien les trouver.

Je dirai seulement ici qu’il m’a été impossible, à mon grand regret, d’accepter l’interprétation actuelle que M, Blondel donne de ses ouvrages. Son exégèse me parait en effet violente, arbitraire, inspirée par la préoccupation, fort honorable sans doute, mais quelque peu fiévreuse, de défendre l’orthodoxie de ses textes. Le désaccord entre autrefois et aujourd’hui ne porte pas seulement sur des mots et des détails, mais sur les lignes organiques de la pensée. Il y a, dans l’Action, dans la Lettre sur l’Apologétique, etc, bien autre chose qu’une « apologétique du seuil ». Il y a une philosophie générale, une théorie de la connaissance, une métaphysique, une logique, des fragments de théologie, etc. Impossible de réduire ceci à cela. Aucun de ceux qui ont lu en entier les écrits de M. Blondel ne pourra accepter cette équivalence, fût-ce sur la parole de l’auteur. Même cette « apologétique du seuil », — dont j’ai plaisir à dire que je l’accepte entièrement, sous la forme que lui a donnée M. Auguste Valensin, — ne présente plus du tout le même aspect, quand on la considère en fonction du reste de la doctrine. Elle est intrinsèquement transformée, radicalement transposée, selon qu’on l’isole ou qu’on la rapproche d’une philosophie dont elle n’est à l’origine que l’aboutissement, et qui donne un sens spécial à ses formules les plus anodines d’aspect. Cette philosophie très neuve, très hardie, très exclusive, comprend une partie négative des plus accentuées, qui ne se laisse pas biffer, sans que l’ensemble en demeure faussé. — De tout ceci, de l’existence de cette philosophie et de son importance, on trouvera la preuve détaillée, appuyée de citations extrêmement nombreuses et, je le crois, décisives, dans Immanence et les deux