Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/271

Cette page n’a pas encore été corrigée

529

MIRACLE

530

aussi bien former une conjecture inverse de celle qu’on nous propose. Si le résidu, attaqué par des réactifs énergiques, n’a pas fondu, c’est peut-être qu’il est solide ; si certains éléments, traités par les mêmes procédés qui ont eu raison des autres, résistent, c’est apparemment qu’ils sont d’esiièce différente. Probabilité pour probabilité, chacun choisira celle qui lui agréera davantage ; mais leur opposition empêchera les conjectures de s’affermir, soit dans un sens, soit dans l’autre.

2" Le travail de la critique historique a été beaucoup plus ellicace que celui de la critique scientilique. C’est surtout en contestant les témoignages relatifs au merveilleux que l’on s’est débarrassé de lui. Xous jugerons plus loin en détail les principes et la méthode qui ont présidé à ce labeur. Nous ne faisons aucune dillicullé d’avouer dès maintenant la valeur d’une bonne jiartie de ses résultats. Mais rien n’autorise la conjecture qu’il doive un jour faire disparaître le merveilleux dans son entier. Car les épurations de la critique ont eu lieu en bien d’autres domaines, où personne ne songe à prédire qu’elle supprimera tout. Il y a eu des légendes, non seulement il’un contenu merveilleux, mais aussi d’un contenu [Mirement naturel. On a inventé des actions d’éclat, des négociations d’un intérêt passionnant, des paroles historiques d’un beau relief. Et le nombre des faits naturels scientiliqnement établis a diminué sur toute la ligne. Cela annonce-t-il qu’il faudra un jour bilfer l’histoire entière ? Quelques-uns des bons mots de Henri l sont apocryphes : est-ce à dire qu il n’en a prononcé aucun ? Que la criticiue en ait diminué le nombre, cel.T nous autorise-t-il à soupçonner que les autres soient pareillement destinés à disparaître ?

Evoquer dans l’avenir des objections irréelles, qui sont censées valoir des objections véritables, bien qu’elles ne soient actuellement qu’un pur néant, c’est une méthode critique un peu ridicule. On pourrait l’appliquer à tout. Et à ce compte, nous devrions nous délier de tout ce que nous tenons pour certain, en nous disant qu’à la vérité, pour le moment, nous le voyons ainsi, mais que peut-être, dans l’avenir, surgira une objection insoupçonnée qui démolira tout. t ;e serait le scepticisme universel. On peut l’adopter ; mais alors qu’on le dise, au lieu de présenter une objection particulière contre le merveilleux.

Chapitre III. — Les philosophies

de la contingence et de la continuité.

Ces philosophies se placent aux antipodes du déterminisme. Au lieu de repousser le miracle, elles s’en emparent, mais pour le faire fondre dans un milieu où ne subsiste, parmi les phénomènes, aucune dilférence d’espèce ni même aucun caractère individuel. Si tout est également imprévu et continu, le miracle ne peut plus faire saillie, ni comme acte libre, ni comme fait distinct.

Pris sous sa forme radicale et poussé à l’extrême, le système de la contingence exclurait l’idée de continuité, et consisterait à se figurer l’univers comme un ensemble chaotique d’événements sans dépendance, sans lien, sans ordre. Sous le règne du changement incohérent, tout pourrait arriver après n’importe quoi, et donc rien ne serait particulièrement miraculeux. L’expérience de tous les jours — celle précisément où nous avons vu le déterminisme chercher un appui — donne un éclatant démenti à cette rêverie paradoxale, qu’aucun philosophe n’a adoptée. Nous pouvons la laisser de côté.

Philosophiquement élaborée, la doctrine maintient en relation étroite les deux idées de continuité et de

contingence, et en tire des arguments convergents. Ainsi entendue, elle se rencontre surtout chez deux penseurs chrétiens qui y ont appuyé des théories sur le miracle : MM. Maurice Blondel et Edouard Le Roy. Nous ne pouvons ici analyser leur pensée dans toutes ses nuances et variations. Nous avons fait ailleurs cette étude de détail, et no>is nous permettons d’y renvoyer pour justilier ce que nous allons dire’.

Exposé. — Avec des différences que nous négligerons ici, les deux auteurs cités s’accordent en substance sur les points suivants, d’où part toute leur critique du miracle.

I » La contingence. — La réalité est nouveauté incessante, variation perpétuelle ; elle ne se répète jamais exactement. Il n’y a pas deux événements parfaitement semblables. Les lois uniformes <(ui prétendent exprimer la nature n’en présentent qu’une image fausse. C’est en laissant de côté tout ce qui n’est point intéressant ou utile, qu’on arrive à les constituer. Elles sont un schème commode pour agir, mais spéeulativement inexact. — Gela posé, la notion de miracle (telle du moins que nous l’entendons ici) se dissout. L’uniformité, le déterminisme n’existant nulle part, une exception réelle est évidemment inconcevable.

2° La continuité. — Tout tient à tout. Rien ne peut être isolé de l’ensemble sans perdre son véritable aspect. Le « morcelage » est introduit par les sens et par l’intelligence, qui nous font considérer à part ce qui est un dans la réalité. C’est donc une opération déformante. Par conséquent, le miracle n’existe pas comme un fait à pari, sur leijuel nous [(ourrions fonder un argument valide. Du reste, tout argument spécial est, à son tour et doublement, un morcelage : d’abord, parce qu’il est composé d’idées abstraites, et ensuite, par le simple fait ([u’il est spécial et censé valable par lui-même. Impossible donc de conclure à une iniervention divine en partant du merveilleux et du miracle.

CnmouE. — i" La contingence. — « ) La réduction de toutes choses à la contingence est un déli aussi fort au bon sens que leur réduction au déterminisme. Irrémédiablement nous nous trouvons, dans le monde, en présence de deux éléments, dont aucun ne saurait absori)er l’autre. L’action de la liberté humaine tranche sur le cours de la nature, et quelque opinion métaphysique que l’on se fasse de l’une ou de l’autre, il est impossible de les confondre, au simple point de vue de l’expérience. Ce sont là des phénomènes dilTérents et discernables. Donc si quelque autre liberté que la nôtre intervient ici-bas, il sera pareillement possible de discerner son action. En signalant dans les phénomènes physiques cette diversité du détail, ces variations continuelles, cette survenance de l’inattendu, qui rendent ilillicile une prévision exacte et sûre à leur égard, on n’a pas du tout prouvé leur « contingence », mais seulement la complication extrême de leur déterminisme. Il n’y a là rien d’analogue à des actes de liberté, et c’est un pur jeu de mots de confondre, sous une même rubrique, des choses si parfaitement hétérogènes. S’il est difUcile de prédire les phénomènes physiques dans le dernier détail, si parfois même la prévision est démentie en son entier, il reste que, pour qui s’en tient à la moyenne des cas et à la substance des faits, les

1. Voir : La notion de vt’riU- dans la « p/n/osop/ùe nouifeite », 1908. — Dieu dann « C Evolution créatrice », 1912. (ou Etudes, 5 mars 1908 et 20 février 1912). — hnmanence : essai critique sur la doctrine de M. Maurice Blondel, 191 ; t ; et cntin Introduction à l’étude du merveilleux et du miracle, 1916. Voir auâsî, à la fin de ce chapitre, les Notes additionnelles A et B,