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MIRACLE

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Discutons ce raisonnement. Quelle est cette expérience dont on nous parle ?

Est-ce l’expérience des /)/ie « onu'/ies ordinaires ? — Il est bien vrai qu’une expérience longue, et qui porte sur des régions historiques très vastes, ne nous révèle, dans les événements de ce monde, que la continuité naturelle la plus imperturbable et la plus serrée. S’il existe quelque part des faits d’apparence merveilleuse, il faut avouer qu’ils ne tombent point sous l’expérience vulgaire. Sur mille personnes, neuf cent quatre-vingt-dix-neuf n’en ont vu et n’en verront jamais aucun. Mais ce qui sort de là, c’est une conclusion tout justement opposée à celle que l’on tire. L’expérience commune porte exclusivement sur des faits étrangers à la question : elle est, par conséquent, incompétente pour en rien décider. Si la masse des hommes était mise directement en présence des faits d’apparence merveilleuse, elle pourrait avoir sur eux un avis motivé. Mais il n’en va pas ainsi ; et la plupart n ont, comme base de leur induction, que les événements dépourvus de cette apparence. Ue quel poids est dès lors l’opinion qu’ils peuvent se former des autres ? Ce qu'établit l’induction du sens commun, c’est qu’il y a un train ordinaire des choses, moralement constant, que la prudence nous commande de vivre et de raisonner comme si le miracle ne devait jamais surgir sur notre route ; et qu’entin, pratiquement, « cela n’arrive pas ». Or le merveilleux et le miracle se donnent précisément pour des exceptions, pour des anomalies extrêmement rares et pratiquement négligeables dans l’usiige de la vie. Ils supposent que l’uniformité est la règle. L’expérience commune leur fournit donc précisément la condition qu’ils requièrent pour être discernables ; elle tend, pour ainsi dire, le fond terne sur lequel ils viendront, s’ils existent, se détacher en lumière. Mais à leur sujet, pour ou contre eux, elle n’a rien à dire. Elle opère dans le compartiment de la réalité où, par hypothèse, ils ne sont pas contenus.

Ce qu’il faut examiner, ce sont donc les phénomènes qui présentent au moins l’apparence du merveilleux. L’expérience qui s’y applique est seule compétente ici. Fournit-elle la base d’une induction solide contre le miracle ?

Fausse induction. — N’oublions pas que, faute d’avoir discerné entre les phénomènes des rapports de nature, la généralisation est illégitime. Ce n’est plus une induction ; c’est le vulgaire sophisme : ab nno ou a quihufdani disce onines. Renan le commet quand il raisonne ainsi : les prodiges rapportés par Tite Live et Pausanias sont controuvés, donc il en est de même des miracles évangéliques, et ceuxci doivent être rejetés sans examen. Trois références à la Gazette des Tribunaux sullisent au même écrivain pour étayer cette assertion « qu’aucun miracle contemporain ne supporte la discussion ' ». Le procédé est un peu léger.

Induction vraie : a) son rôle positif : découverte des causes. — En procédant avec plus de maturité, ne pourrons-nous tirer de l’induction quelques certitudes ? Je collectionne, par exemple, un très grand nombre de cas où, dans des circonstances fort diverses, la fraude, l’ignorance, la crédulité, une imagination exaltée rendent raison de la croyance au miracle. Je remarque que, quand ces conditions sont présentes, les légendes merveilleuses éclosent spontanément, et que leur développement est d’autant plus facile que les conditions susdites sont plus largement réalisées. De ces observations j’induis une loi générale : c’est qu’il y a une liaison naturelle et

1. Introduction, p. 41, 44.

causale entre la crédulité, l’ignorance et l’admission des prodiges. Posita causa ponitnr e/['-cliis : variata causa variatur e/fectus. Mon induction aboutit à une conclusion positive inattaquable.

Fort bien ; mais cette conclusion n’exclut nullement la possibilité du merveilleux. Que l’ignorance ou la crédulité soient souvent à l’origine de la croyance au merveilleux, personne n’en doute ; mais la question est de savoir si elles y sont toujours et si elles y sont seules ; en d’autres termes, si, avec elles, nous tenons l’explication unique et universelle. Pour le moment, il n’est pas prouvé que quelque chose d’autre, — par exemple, la réalité des faits, — ne les puisse suppléer dans la production de la croyance. La troisième loi du raisonnement expérimental n’a pas été appliquée : sablata causa tollitur e/fectus.

L’enchaînement des causes et des effets n’est pas toujours réciproque, même dans les phénomènes physiques, et de ce que telle cause est suivie infailliblement de tel effet, il ne s’ensuit pas que l’effet ne puisse procéder d’une autre. Ici même, d’après la teneur de l’objection, ne voyons-nous pas déjà l’imagination exaltée et la fraude, — qui sont des antécédents parfaitement hétérogènes, — aboutir à un résultat identique : la croyance ? Il n’est nullement démontré que celle-ci ne piiisse avoir encore d’autres origines. Dans les domaines différents, l’ignorance, la crédulité, etc., ont aussi leur rtMedans la genèse des croyances : cela n’empêche pas la vérité objective d’y jouer concurremment le sien. Les hommes croient indûment à des récits mensongers, parce qu’ils se trompent ou parce qu’on les trompe, mais ils croient aussi parfois pour de bonnes raisons et parce qu’ils ont trouvé de solides garants. Quel motif at-on pour dire qu’il en va autrement dans la question du merveilleux ?

Induction vraie : b) son rdle négatif : exclusion des causes. — Les résultats positifs de l’induction ne sullisent pas à détruire la possibilité du merveilleux. Mais l’induction peut avoir aussi un rôle négatif. Elle est capable d’indiquer, non seulement ce qui agit, mais aussi ce qui n’agit point. Elle arrive parfois à éliminer déûnitivement certains phénomènes du nombre des causes possibles. C’est elle qui nous apprend, par exemple, que jamais un chêne ne sortira d’un grain de blé ; que jamais nous n’obtiendrons de l’acide chlorhydrique en faisant réagir de l’oxygène sur du carbone. Pourquoi ne pourrait-elle pas nous apprendre de même que jamais un fait surnaturel véritable n’est l’origine de la croyance au merveilleux ?

Aucune parité n’existe entre les exemples cités et le cas du merveilleux. Dans les premiers, l’induction opère sur des couples de données dont l’expérience lui fournit les deux termes. Dans le second, elle est censée, d’après l’objection, n’en posséder qu’un seul. Nous connaissons empiriquement ce que c’est qu’un chêne et qu’un grain de blé, et voilà pourquoi nous pouvons nier avec assurance qu’ils aient entre eux certains rapports. Au contraire, s’il s’agit du merveilleux et de la croyance dont il est l’objet, on suppose que nous n’atteignons que la seconde. Nous ne pouvons donc pas juger directement de ses relations avec un autre terme qui nous échappe.

Indirectement, à la vérité, l’induction parvient à éliminer l’inconnu. Mais c’est uniquement dans les cas où elle a quelque chose de connu à mettre à sa place. Par exemple, je sais que l’eau se produit immanquablement chaque fois que je mets en présence dans un ballon de verre 1 oxygène, l’hydrogène et l'étincelle électrique. Ces antécédents-là sont donc sulUsants pour amener le résultat. Quand ils seront