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MIRACLE

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en l’ace de nous, il n’y aura jamais qu’elles, celles que nous connaissons déjà, et peut-être, derrière celles-ci, d’autres données analogues, que nous pourrons découvrir un jour. S’il y a ici-bas de la liberté, c’est dans l’houime qu’il faut la cherclier : cette liberlé-là est du monde et, bien qu’elle soit le contraire de la nécessité, elle se révèle iul’aillibleuxent, à un moment ou à un autre, dans le train ordinaire des clioses. S’il existe des esprits, nous n’avons affaire qu'à des esprits incarnés, et l’usage que d’autres pourraient faire de leur liberté écliappe à notre observation. S’il y a un Dieu présent et agissant dans son œuvre, son action s’enveloj.pe dans celle des causes secondes et ne se montre jamais à part.

Ces thèses foncières se nuancent diversement chez les dill'érenls philosophes : les uns admettent une divinité dont les invariables décrets ne soulïrent point d’exception (déistes vulgaires) ; les autres l’identilient avec la nature, ou l’esprit, ou la réalité (panthéistes, monistes) ; d’autres déclarent vaine toute tentative pour dépasser l’expérience et chercher, par exemple, les causes d’un phénomène (agnostiques, positivistes), etc. En dehors du monde philosophique, le naturalisme se répand comme un esprit, et nombre de savants, de littérateurs, d’historiens prennent d’instinct, en face de tout événement extraordinaire, l’altitude intransigeante que nous avons entendu définir par Huxley et Anatole France. Les cercles religieux et même chrétiens ne restent pas réfractaires à la contagion. Depuis Reimarus [Fragments de U’otfenhdllel publiés par Lessing en 1777 et 1778), et Paulus (1701 à 1851), une exégèse est née qui, à propos de tous les récits contenus dans les Livres sacrés, se propose de résoudre les deux questions suivantes : 1° le fait raconté s’est-il réellement produit ? 2° comment a-t-il pu nalurellement se produire'? Depuis Schleiermacher (1768 à iSU^), il s’est trouvé des théoriciens du dogme qui ont tenté de donner aux symboles de foi un sens purement naturel, et d’elîacer la ligne de démarcation entre le miracle et les autres événements. Tels sont les protestants libéraux et les modernistes du catholicisme-. Tous reprennent à l’envi, de façon plus ou moins nette, plus ou moins enveloppée, la définition de leur ancêtre commun : « Le miracle n’est que le nom religieux d’un événement. Tout événement, fût-il le plus naturel et le plus commun, dès qu’il se prête à ce que le point de vue religieux soit, à son sujet, le point de vue dominant, est un miracle. Pour moi tout est miracle. Plus vous serez religieux, plus vous verrez le miracle partout. »

Ckitiqub. — Ou voit que le naturalisme est une doctrine protée, capable de pousser sur les systèmes les plus variés, d'épouser les formes les plus disparates. Il n’importe point, pour le juger, de le suivre dans toutes ses évolutions ; au contraire, une bonne méthode exige qu’on l’envisage dégagé de ses alliances occasionnelles, réduit à ses arguments propres, et aussi alTranchi des restrictions artificielles qu’il pourrait subir ici ou là.

Laissons donc de côté les cas où il apparaîtrait commandé par des principes étrangers de portée générale, tels que ceux de l’agnosticisme ou du positivisme, lîéservonsdemèmelesobjettions qu’il pourrail prendre à son compte contre l’intervention du Dieu des spiritualistes et des chrétiens. En elTet, celles-ci ne lui sont point particulières. Elles n impliquent point sa thèse fondamentale. Elles ne s’en

1. Voir Encyclopédie des sciences religieuses de F. l.ichtenbergpr, t. X, i>. 303.

2. Voir de nombreux exemples et références dans notre Introduction^ p. 22 sq.

prennent point au surnaturel en général, mais à un certain surnaturel, et cela pour des motifs spéciaix, pour des raisons de circonstance, parfois simplement dirigées ad hominem contre les tenants du théisme. (Ces objections seront examinées quand nous passerons en revue les divers agents possibles du miracle. Ci -dessous, chapitre IV, section 1, col. 535 sq.).

Pris à l'état pur et dans toute son extension, le naturalisme peut se présenter comme une vue de l’esprit évidente par ellenième, ou bien comme une doctrine raisonnée, soutenue d’inductions ou de déductions.

Ou se tromperait en croyant que la première variété est rare. C’est le contraire qui est vrai. Elle se rencontre fréquemment, surtout chez des savants, des littérateurs et des historiens, pour qui le naturalisme est devenu une sorte d’instinct, lîeaucouis se dispensent d’en formuler le principe, tellement il leur semble aller de soi : ils se contentent de le supposer partout. D’autres l'énoncent comme un axiome, certains disent coiiime un.< postulat », dont l’esprit ne saurait se passer. — Or le moins qu’on puisse dire, c’est que cet axiome ou ce postulat n’est point évident. Comment savoir d’emblée qu’il n’existe point, au delà du monde livré à nos libres investigations, un monde réservé, dans lequel nous ne saurions pénétrer de plain-pied ? Peut-être y a-t-il divers plans de réalité sans intersection nécessaire. Peut-être existe-t-il des êtres dont l’influence ne se mélange aux actions et réactions cosmiques que de façon accidentelle, en vertu d’une libre décision de leur part. Si la divinité est perpétuellement présente au monde pour le conserver et le régir, peut-être a-telle à sa disposition plusieurs modes d’agir, dont l’un n’est employé qu’en de rares occasions. Autant de problèmes qui n’apparaissent point absurdes de par leur seul énoncé. Nous les examinerons pour notre part et nous nous elTorceronsde leur donner une solution motivée. (Cf. ci-dessous ch. IV, section II.) Constatons pour le moment que la lumière du naturalisme n’est pas tellement éclatante qu’elle les fasse évanouir, et que par conséquent cette doctrine ne va pas de soi et ne s’impose point comme un axiome. Il faut lui chercher des raisons.

Reste donc la seconde espèce de naturalisme : celui qui entreprend de se démontrer. Ses arguments sont exactement les mêmes que ceux du déterminisme ; nous allons les examiner immédiatement dans le chapitre qui suit celui-ci. Tout est naturel, dira Spinoza, parce que la réalité ne peut être qu’une dans son essence. Tout est naturel, diront Hume ou Renan, parce qu’une induction suffisante établit que jamais activité surnaturelle n’a interféré avec les activités cosmiques. Pour avoir le détail de ces arguments et de la critique qu’il convient de leur opposer, le lecteur n’aura qu'à remplacer ci-dessous le mot et l’idée de déterminisme par ceux de naturalisme.

Chapitre II. — Le déterminisme.

Le déterminisme dont nous allons parler maintenant n’est pas celui qui nie le libre arbitre humain — et auquel un article précédent de ce dictionnaire .1 été consacré (DÉTERMiNiSiME par le P.deMunnynck, t. I. col. 9^8 sq.), — mais celui qui refuse à des i agents surnaturels la faculté de modifier, par l’exercice de leur liberté, le cours ordinaire des choses. Il peut se fonder sur la déduction ou sur l’induction.