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MATERIALISME

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delà de l’objet de nos sens a peuvent certes exister toutes les choses imaginables ; mais l’hypothèse ne les fait entrevoir que capricieusement, idéalement, métaphysiquement ». Dans un autre ouvrage, il va jusqu’à des aveux comme celui de « notre ignorance sur le temps et l’éternité, sur l’espace et l’inlini ». Et, sans aller chercher si loin, il nous confie que o notre connaissance ne pénètre pas jusqu’au sein de la nature » et que « l’essence profonde, intime de la matière, sera vraisemblablement toujours pour nous un problème insoluble » (.ature et esprit, 1859). Tant pis 1 Mais les recherches empiriques seules peuvent nous conduire à la vérité ; franchir les limites de l’expérience, c’est tomber dans l’erreur. La foi peut bien aller s’égarer dans ces régions, situées au-delà des faits ; mais la raisonne peut ni ne doit l’y suivre, elle doit se contenter des enseignements des sciences physiques. Ces précautions prises contre les spéculations, Bïichner est à l’aise pour exposer son matérialisme.

1) Principe fondamental : « Pas de matière sans force, et pas de force sans matière. » Peu importe notre ignorance du fond des choses, la matière est un fait d’expérience, et la force — nom commun donné aux activités — en est un autre ; enfin, l’une n’est jamais sans l’autre : une matière sans force, c’est-à-dire inactive, ne se rencontre nulle part ; ce serait une substance sans propriétés ; est-ce concevable ? — une force sans matière, cela ne se rencontre pas davantage ; nous ne constatons les forces que par les changements matériels qu’elles déterminent ; et puis, conçoit-on une force sans point d’application ?


A ce principe, se rattache directement la conclusion capitale : « La création est impossible, et le monde est éternel. En effet, ni la matière n’a pu créer la force, ni la force, la matière ; car ce qui ne peut être séparé n’a pas pu exister séparément. Donc le monde n’a pas été créé, il est et il sera éternellement. » Cela étant, Dieu n’existe pas.

^) Attributs de la matière : a) Elle est immortelle el éternelle. Car rien ne se perd ; or ce qui ne finira pas n’a pas commencé ; donc, rien n’a été créé. — //) Elle est infinie dans l’espace : infinie en petitesse (c’est-à-dire, sans doute, divisible sans fin), au témoignage du microscope et de l’analyse spectrale ; — infinie en grandeur, comme le montre le télescope.

— Il faut en dire autant de la force : « Inhérente en quantité infinie à la masse infinie de la substance matérielle, elle parcourt avec elle et dans l’union la plus intime un cercle sans interruption elsans fin. » Les transformations de la force affectent sa qualité, jamais sa quantité. — c) La matière, dans son union avec la force, a une valeur infinie ; car c’est d’elle que dérivent toutes choses. Il faut donc la réhabiliter ; la science moderne nous apprend à l’estimer, et à jouir de ses dons, plutôt que de la tourmenter en nous par l’ascèse. — d) La matière est animée d’un mouvement universel, inamissible, spontané, variable dans ses formes, invariable en quantité. — De là découlent certaines conséquences :

a) La forme n’est pas, dans les choses, un principe spécial, mais un résultat, « le produit des actions et réactions d’une foule de forces aveugles et inconscientes » ; — et un résultat nécessaire, les forces ne pouvant faire autrement, en vertu de leur activité universelle, « que de se manifester comme agissant d’après un ordre et un arrangement en séries qui se suivent, graduelles et parfaites ».

, 3) Les lois de la nature sont immuables, car elles ne font qu’un avec la réalité des choses ; par conséquent, le miracle est impossible, cela est « de toute certitude scientifique ».

3) Applications du principe fondamental : a) à l’en semble de la nature ; — /’) à l’homme.

a) — I. Le ciel, le vrai, le seul, c’est l’espace immense et presque vide, désert monotone où les astres sont clairsemés, où notre système solaire n’est qu’un point. Le tout résulte d’une nébuleuse primitive, par le jeu nécessaire des forces matérielles, partout les mêmes sous des noms divers de : forces moléculaires, physiques ou chimiques, ou bien gravitation. Il n’existe rien d’autre, l’astronomie le sait.

2. La terre est arrivée à l’état présent, par une série de changements nécessaires ; depuis la phase nébuleuse jusqu’à la prise en masse de l’écorce, jusqu’aux périodes géologiques, jusqu’à toujours, la terre se façonne elle-même, par ses propres forces.

3. La vie apparut sur la terre, à une époque indéterminée. D’où vient la vie ? C’est une forme d’activité propre à la substance organique ; celle-ci étant donnée, la vie s’ensuit nécessairement. Mais d’où vient la substance organique ? Ayant parcouru diverses hypothèses pour les rejeter, Bûchner conclut :

« Nous sommes bien forcés d’admettre que cette

substance a dû apparaître quelque part, el d’une certaine façon, pour la première fois, sous forme de protoplasma, de matière protoplasmique et vitale. » C’est là un « postulat nécessaire » ; le nier, c’est admettre la création, c’est » faire une brèche dans le système général de causalité qui régit l’enchaînement naturel des clioses ».

De cette vie rudimentaire, en vertu des forces inhérentes à la matière, une série de transformations lente et progressive — natura non facit saltus — a tiré le règne végétal et le règne animal, toutes les formes d’êtres vivants que l’on ait jamais vus. C’est là un point de la doctrine, destiné à s’enrichir de nombreux faits, grâce à Darwin et à ses disciples, et de nombreux néologismes dus à l’imagination fertile de Habckel.

b) L’homme, corps et àme, actes et propriétés, retient longuement l’attention de Biichner : « enfant libre et fier de la Nature », il est son chef-d’œuvre.

1. Origine. L’homme est le produit du développement du règne animal, dans lequel sont déjà ébauchées toutes les facultés humaines ; entre l’homme et la bète, il n’j- a que différences de degré, portant surtout sur le système nerveux. — Sur l’antiquité de l’homme, la Bible s’est grossièrement trompée : pour passer de l’homme primitif, encore semblable aux singes, encore dépourvu du langage, jusqu’à l’étal où l’histoire le trouve, parlant et raisonnant, un temps considérable a dû s’écouler, comparable aux périodes géologiques ; la découverte — sans doute prochaine — de l’homme « tertiaire », viendra le démontrer.

2. Le cerveau est dans l’homme la partie principale, car il est l’organe de la pensée ; le cerveau et ce qu’on appelle esprit ou intelligence, c’est tout un. La pensée est une forme particulière du mouvement général de la nature, propre à la substance des centres nerveux, comme la contraction des muscles est propre à la fibre musculaire » ; comme le muscle se contracte, le cerveau pense. Il faut corriger la formule de K. Vogt (voir plus haut) ; parce que la pensée n’est pas, comme la bile ou l’urine, une substance visible, pondérable.

Notons ce passage de Biichner : « La pensée, l’esprit, l’àme, ne sont rien de matériel ; ils ne sont pas même de la matière, mais un ensemble de forces diverses converti en unité, l’effet du concours de plusieurs matières douées de forces ou de propriétés. » La force et la matière sont inséparables, c’est entendu ; mais la pensée établit une grande distança