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MARTYRE

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Les vingt années qui suivirent furent très agitées. En 1881, Mouanga est détrôné par les musulmans. Tous les chrétiens, catholiques et protestants, sont expulsés. Mouanga, fugitif, leur fait appel et, aidé par eux, reprend le pouvoir. Mais les protestants, appuyés par la Compagnie anglaise de l’Est africain, lui font accepter leur prépondérance, et deviennent persécuteurs à leur tour. Les catholiques sont, en 1892. exilés dans la province de Bouddou, la plus pauvre du pajs. Ils y prospèrent, et, dans cette région désolée, se fonde, sous la direction des Pères blancs, une mission florissante. Ilseurent encore, cependant, beaucoup à souffrir pendant la période de troubles et de guerres qui se termine par l'établissement définitif du protectorat anglais dans tout l’Ouganda. Mais, à partir de cet établissement, ils connurent enlin, complète et assurée, la liberté religieuse.

« Née dans le sang des martyrs, écrit Mgr Le Roy, 

aguerrie par vingt années de persécutions sanglantes ou sournoises, la jeune Eglise de l’Ouganda est douée d’une vitalité extraordinaire, peut-être unique au monde. Nulle part l’action du Saint-Esprit n’est aussi visible et aussi féconde. L’esprit de prosélytisme et l’intensité de la vie surnaturelle des Bagandas chrétiens semblent transporter le missionnaire aux plus beaux temps de la primitive Eglise. » (Ibid., p. 455)

La solidité de ces chrétiens nègres avait été rendue plus grande par les règles qui dirigent leur évangélisation, et qui semblent empruntées aussi aux règlements du christianisme primitif. Ce ne sont pas des néophytes rapidement admis au baptême : ils ont été formés par une longue préparation, comme aux premiers siècles de l’Eglise. En envoyant les Pères blancs évangéliser l’Afrique équatoriale, Mgr Lavigerie leur imposa ces règles : a J’exige que, sauf le cas de mort, les futurs chrétiens passent au moins deux ans dans l’ordre des postulants, puis deux autres dans celui des catéchumènes, et que ce ne soit qu’au bout de quatre années au moins qu’on puisse leur conférer le baptême, s’ils offrent des garanties morales sérieuses de persévérance. » (/i(W., p. 396)

On signale une curieuse et touchante exception à cette règle :

« Un jeune catéchumène vint solliciter des Pères

la grâce d’un baptême immédiat. Le malheureux avait commis le crime de lèse-majesté le plus étrange que l’on puisse rêver : il était devenu père de deux jumeaux. Pareil fait était considéré chez les Bagandas comme constituant un sortilège funeste pour le roi. L’auteur de ce a sort » singulier devait, pour en conjurer l’effet, offrir un sacrifice ; or, le jeune converti, n’ayant pas voulu accomplir cet acte idolâtrique, encourait le risque de la peine capitale. » (E. Layer, Les Pères blancs et la civilisation dans l’Ouganda, Rouen, 1909, p. 28 ; extrait du Précis de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen)

8. Amérique. — « Les noms qui apparaissent au début de l’histoire religieuse de l’Amérique méridionale sont espagnols ou portugais… Les PP. Gonzalez et Rodriguez furent tués dans les forêts de Garo, à coups de macana, le 15 novembre 1628, et, deux jours après, le P. Jean de Castillo, leur compagnon, était également massacré. En iC34, les Indiens Guapalaches mettent à mort le P. de Espinosa. Le aS avril 1635, le P. Christophe de Mendoza mourut dans les tortures. Osario et Ripario furent les victimes de la férocité des Chiriguanes, Solnies et Zarale de celle des Tobas et des Macobis, Nicolas Mascaroli de celle des Patagons. » (G. de Rochkmontkix, dans Les Missions catholiques françaises, t. VI, p. 384.)

C’est également sous les coups des tribus sauvages, auxquelles ils apportaient tout ensemble la foi et la civilisation, que tombèrent les martyrs del' Amérique du Nord, sur lesquels nous sommes plus abondamment renseignés.

Lechristianisme fut répandu au Canada, ou, comme on l’appelait au xvii' siècle, à la Nouvelle-France, par les Jésuites, les Sulpiciens, les prêtres de la Société des Missions étrangères, et, au xvui', parles Capucins.

Dans leurs courses apostoliques sur les rives du Saint-Laurent et des Grands lacs, les Jésuites versèrent souvent leur sang pour la foi. Bien reçus de plusieurs peuplades, et particulièrement des Hurons, ils avaient trouvé au contraire dans les Iroquois leurs ennemis. En 1641, le P. Buteux est blessé par ceux-ci de deux balles, puis achevé à coups de hache et jeté à l’eau, alors qu’il visitait une tribu convertie des environs de Québec (ibid., p. aS). L’année suivante, commence le terrible et glorieux martyre du P. Jogues.

a II revenait à Québec par Ottawa et le Saint-Laurent en compagnie du guerrier Ahositari et d’une troupe de Hurons chrétiens. Ahositari était ce chef indigène qui, après avoir été baptisé, avait enrôlé une troupe de convertis, sauvages comme lui, et parcourait la région en s'écriant : « Efforçons-nous de faire embrasser la foi de Jésus au monde entier. » Tout à coup une bande de Bohawks fond sur la petite troupe. Ahositari est saisi et condamné à être brûlé vif. Attaché à un poteau, il chante des cantiques jusqu à ses derniers moments. Un jeune novice, René Goupil, est tué d’un coup de tomawak, et le Père Jogues est autorisé, à cause de ses infirmités, lui dit-on, à circuler dans la tribu. Son martyre n’en devait être que plus long et plus terrible. Pendant quatre ans, il connut tous les genres de torture. On lui arracha les cheveux et les ongles jusqu'à la racine ; on lui coupa les doigts, phalange par phalange. Des Hollandais payèrent sa rançon. Il se rendit à Rome, et demanda au Souverain Pontife (Innocent XI) une dispense pour pouvoir célébrer la messe avec ses mains mutilées. Le Pape lui accorda volontiers la permission demandée. « Il ne serait pas juste, dit-il, qu’un martyr de Jésus-Christ fut privé du bonheur de boire le sang de Jésus-Christ ii, indignuin esset Cliristi martyrem non bibere Cliristi sanguinem. Jogues retourna en Amérique, y souffrit encore une fois la torture, et fut enfin mis à mort par les Iroquois, le 18 octobre 1646. On raconte que son bourreau, touché de la grâce à ses derniers moments, mourut chrétien. » (F. MoDRRKT, Histoire générale de l’Eglise, t. VI, p. 214. Voir Lallemant, S. J., Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable es missions des Pères de la Compagnie de Jésus en la Nouvelle France, en l’année 1617, reproduite dans Leclêrcq, /.e5 Martyrs, t. IX, p. 214-271)

Deux ans après, les Tsonnoutouans tombent à l’improviste sur les Hurons chrétiens, détruisent et incendient les villages, massacrent hommes, femmes, enfants. Le P. Daniel est tué au bourg de SaintJoseph. A Saint-Ignace, les PP. de Brébeuf et Gabriel Lallemant sont liés à un poteau ; alênes brûlantes, haches rougies, tisons ardents, eau bouillante, tout est réuni pour les tourmenter. On leur fend la bouche, on leur coupe le nez, la langue, la chair ; enGn, on les grille à petit feu dans une écorce de sapin. Le Père de Brébeuf expire le 16 et le Père Lallemant le 17 mars 1648. Au village de Saint-Jean, le Père Garnier est atteint de deux balles et achevé à coups de hache. Le lendemain, le P. Noël Chabanel est tué par un Huron apostat. En 1698, le P. Delmas est tué par les sauvages dans le voisinage de la baie '