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MARTYRE

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appuyée par l’artillerie d’un navire hollandais. Accablés par le nombre, ils furent vaincus, et massacrés jusqu’au dernier. Personne ne saurait, croyons-nous, condamner cette résistance légitime à la tyrannie ; mais on n’osera donner à ceux à qui elle coûta la vie le titre de martyrs. Je ne trouve à leur acte, si noble et si courageux qu’il soit, qu’un précédent dans l’histoire de la primitive Eglise : celui de l’arménien Vartan, qui, avec plus de mille de ses compagnons, succomba sous le glaive des Perses, dans une guerre entreprise en libi pour recouvrer la libre pratique de la religion chrétienne (voir le récit contemporain de cet épisode de l’histoire de l’Arménie, dans Lbclercq, t. IV, p. i-153).

Les faits de persécution signalés ensuite frappent surtout des étrangers. On peut citer, en 1689, le martyre du P. Bourdilio, qui avait été le maître des novices du Bienheureux André Bobola. « En 1640, quatre ambassadeurs portugais de Macao arrivent un jour à Nagasaki, avec une suite de soixante-quatorze personnes. Sommés tout d’abord de faire acte d’apostasie, ils s’y refusent. Alors, sans égard pour leur caractère, ils sont arrêtés sur-le-champ, eux et leur suite, et mis à mort : treize matelots seulement sont épargnés, et renvoyés à Macao avec cet avertissement significatif : « Tant que le soleil échauffera la terre, qu’aucun chrétien ne soit assez hardi pour venir au Japon ! Que tous le sachent, quand ce serait leroid’Espagneenpersonne, ou le Dieu des chrétiens, ou le grand Shaka (CakiaMouni) lui-même, celui qui violera cette défense le paiera de sa tête ! » Désormais le Japon est, pour plus de deux siècles, fermé aux Européens. Seuls les trafiquants hollandais ont le droit d’aborder dans une de ses lies, aux conditions les plus humiliantes pour leur patriotisme et leur religion. » (Les Missions catholiques françaises, t. III, p. 433)

Malgré tant d’obstacles, plusieurs missionnaires, jésuites, dominicains, prêtres séculiers, pénétrèrent au Japon pendant le xvii" et le xviii" siècles : tous furent arrêtés, condamnés à mort et exécutés. Il y en eut qui furent soumis à des supplices horribles, comme les PP. Mencinski, Rubino, Capece, Morales, Marqués, qui, après avoir tous les deux jours, pendant cinq mois, subi en prison la torture de l’eau furent, le 17 mars 1643, à Nagasaki, avec deux Japonais et un serviteur cochinchinois, suspendus la tète en bas au-dessus d’un puits rempli de matières fétides : trois des martyrs moururent asphyxiés au bout de plusieurs jours ; quatre, qui vivaient encore le neuvième jour, furent retirés du puits et décapités (Mgr Zaleski, tes Martyrs de l’Inde, Paris, 1900, p. 221-228 ; d’après A. de Rhodes, Histoire de la vie et de la glorieuse mort de cinq Pères de la Compagnie de.lésKs, qui ont souffert dans le Japon avec trois séculiers en l’année lG13).

C’est également par le supplice de la fosse, suivi de la décapitation, que mourut, en 1634, dans la même ville, le célèbre P. Mastrelli (F. Marnas, t. 1, p. 63).

Ne craignons pas de le dire : la fragilité humaine eut aussi sa part dans cette héroïque histoire. « Nous avons appris, par le Tonquin, écrit en 1658 un missionnaire jésuite, une très bonne nouvelle du Japon ; c’est que le pauvre Père Christophe Ferreira, qui avait auparavant montré sa faiblesse en l’atrocité des tourments, a depuis été, avant d’être brûlé tout vif, conforté de Dieu, de sorte qu’il a été glorieux martyr, et le centième de notre Compagnie qui été martyrisé dans le Japon. » (Lettre du R. P. Alexandre de Rhodes, dans Rabbatb, Documents inédits pour servira l’histoire du Christianisme en Orient, t. I. p. 84)

Un des derniers martyrs est a l’abbé Sidolli, prêtre sicilien, qui arriva en 170g. Il fut enfermé dans une fosse de quatre à cinq pieds de profondeur, en haut de laquelle on pratiqua une petite ouverture pour l’empêcher d’être asphyxié et lui faire parvenir quelques aliments. C’est dans cet horrible cachot qu’il succomba de faim, de froid et de misère. » (Les Missions catholiques françaises, t. III, p. 435)

Pendant plus de deux siècles, l’Eglise du Japon disparait de l’histoire. Elle semble avoir été anéantie par le martyre d’un grand nombre de ses membres et par l’apostasie de beaucoup d’autres. « Cette fois, le sang des martyrs, répandu à profusion durant de longues années, ne fut pas une semence de chrétiens, mais le prélude de la plus complète destruction. » Cependant, le sang versé ne demeure pas inutile. Si le Hot du christianisme semble tari, il s’est infiltré en terre, prêt à jaillir de nouveau ; et sa conservation, pendantun si longtempsetdans le pluscomplet abandon, a quelque chose de miraculeux. « La porte du Japon est horriblement fermée à tous. Dieu par sa grâce et sa miséricorde l’ouvrira en son temps », dit une lettre de 1658 citée plus haut. Quelques ports finirent, en elTel, par s’ouvrir aux Européens, et, en 1858, juste deux cents ans après cette lettre, un traité permit aux Français qui y résidaient d’y pratiquer leur religion et d’y élever les édifices nécessaires à leur culte. Mais le traité restait muetsurles missionnaires. Ceux-ci rentrèrent cependant. A leur grande surprise, ils apprirent qu’ily avaitencoredes chrétiens au Japon. En 1865, le P. Petiljean vit arriver à Nagasaki les représentants de plusieurs villages où s’étaitconservée la mémoire de la religion pour laquelle étaient morts les martyrs du xvi’et du xvii’^ siècles, où l’on administrait le baptême, où l’on célébrait, autant que cela était possible sans prêtre, les principales fêtes de l’axinée. Vingt-cinq chrétientés se révélèrent, dont l’une comptait plus de mille familles chrétiennes, vivant de souvenirs et de traditions (Annales de la Propagation de la Foi, t. XL, p. 117 et suiv. ; F. Marnas, t. H, p. 487 et suiv.). Sous l’influence encore discrète des missionnaires, le catholicisme ressuscita au Japon.

Une nouvelle persécution éclata, de 1869 à 1871. La cause de celle-ci fut le refus des chrétiens de faire procéder à l’enterrement de leurs morts pai" les cérémonies païennes des bonzes. Plusieurs milliers de catholiques furent exilés ou déportés. « Entre autres supplices, ils souûrirent celui du teppozeme, qui consistait à leur lier ensemble les pouces derrière le dos, après avoir passé l’une de leurs mains par dessus l’épaule et l’autre par dessous. Aux deux pouces ainsi réunis on attachait une grosse pierre ou un autre objet pesant, et on laissait les malheureux des jours entiers dans cette position ; peu à peu le corps se renversait et la souffrance devenait intolérable. Tous redoutaient extrêmement ce supplice, et quelques-uns n’eurent pas le courage de le supporter jusqu’au bout. L’hiver, au moment des grands froids, et l’été, quand les ardeurs du soleil étaient le plus brûlantes, ils étaient exposés nus au dehors, et ils demeuraient ainsi des jours entiers sans recevoir de nourriture. Les femmes n’étaient pas exemptes de ces rigueurs. II y avait aussi une prison spéciale appelée shi-an-goya, ou chambre de la réflexion : c’est là que les plus intrépides étaient enfermés. Ce cachot était très étroit, et aucune nourriture n’était donnée à ceux qui s’y trouvaient. Quelques-uns y sont restés jusqu’à vingt ou trente jours consécutifs, sans manger autre chose que la nourriture apportée en secret par ceux qui, au prix d’un instant de iaSblesse, avaient obtenu d’en sortir. » (Les Missions catholiques françaises, t. III, p. 453-454) Beaucoup,