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MARTYRE

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D’autres avaient gardé, malgré le serment schismatique, une foi ferme aux dogmes essentiels de l’Eglise. Ils refusèrent d’abandonner le ministère sacerdotal, de livrer leurs lettres d’ordination et d’ajouter à leurs erreurs premières le crime d’apostasie. Plusieurs d’entre eux, aux mauvais jours de la Terreur, furent accusés de fanatisme et condamnés à mort, tout comme les prêtres qui n’avaient jamais cessé d'être bons catholiques. Souvent, en face de la mort, ils rétractèrent leurs serments, se repentirent de leur défection et moururent reconciliés avec Dieu et avec l’Eglise. » (Sabatié, p. 262 ; cf. p. 261, 265, 276, 277, 279, 807, 331, 332, 352) A Paris, l’un des instruments principaux deces réconciliations fut M. Emery, alors détenu à la Conciergerie. A Marseille, l'évêque constitutionnel des Bouches-du-Rl16ne fut converti, avant le supplice, par les exhortations d’un ouvrier serrurier, membre de la confrérie du Bon Pasteur, qui lui procura l’assistance d’un prêtre insermenté. Cet évêque, Roux, méritait sans doute cette grâce, car on l’avait vii, en 1792, exposer sa vie pour essayer de sauver celle de deux religieux Minimes, massacrés à Marseille pour refus de serments (Pisani, Répertoire biographique de t'épiscopat constitutionnel, p. 32/|-325).

3. Les martyrs laïques. — Si nombreux que soient, aux diverses époques de la Révolution, les laïques immolés par les sectaires de la Terreur, on s’attend à trouver parmi eux moins de victimes auxquelles puisse être donné avec certitude le titre de martyr. L'épreuve des serments, qui fut le piège tendu à la conscience du clergé, leur avait été épargnée. Comme on l’a très bien dit, « la mort par le fer ou sous les balles révolutionnaires ne constitue pas de soi une preuve décisive du martyre. Pour les prêtres au contraire et pour les religieuses, la mort venant après le refus certain de serment en est une de premier ordre. » (Bévue de l’histoire de l’Eglise de France, mai-juin igi/J, p. 426) Beaucoup cependant, parmi les laïques, eurent aussi la gloire d'être sacrifiés évidemment par haine de la religion et de donner leur vie pour leur foi.

Les motifs de poursuite, étrangers à toute considération politique, ne manquaient pas contre les laïques fidèles. Des lois déclaraient passibles de la déportation (21 octobre 1793) et même de la mort (Il avril 179^) toute personne coupable d’avoir recelé un prêtre réfractaire : elles furent expressément remises en vigueur par celle du 19 fructidor (5 septembre 1797). On pourrait citer des exemples de leur application sur tous les points de la France. A Paris, le tribunal révolutionnaire envoya à l'échafaud plusieurs charitables femmes, accusées du seul crime d’avoir servi ou caché des prêtres (Sabatié, p. 179, 270, 273, 284, 318). Pour la province, où fonctionnèrent cent dix-huit tribunaux de même nature, je rappellerai un seul épisode, semblable à une multitude d’autres. Il s’agit de douze femmes et de dix hommes, condamnés à mort par le tribunal criminel du Puy, pour avoir donné asile à des prêtres. YsaLeau Dorât, du tiers ordre de saint Dominique, s'était vouée à ce qu’on peut appeler « l'œuvre des prêtres réfractaires » : veillant sur eux dans leur cachette, leur procurant de la nourriture, des vêtements, les vases requis pour le saint sacrifice, et allant la nuit les prévenir des perquisitions qui devaient se faire le lendemain. Elle ne pouvait manquer d'être prise un jour elle-même. Elle le fut à l’occasion de l’abbé Mosnier, et mourut avec lui le 13 messidor. « Il y a eu, dit M. Boodet en parlant d’elle, parmi les femmes du peuple des actes admirables de dévouement, accompagnés d’une si

touchante simplicité dans le sacrifice que l'âme se sent reposée du spectacle des tricoteuses. Ainsi, dans la quinzaine qui a suivi la mort d’Ysabeau Dorât, une autre paysanne du 'Velay, Catherine Boutin, recevait le martyre avec un autre prêtre, l’abbé Clavel, qu’elle avait voulu sauver ; le 17 juin 179.' ! , quatre autres femmes recevaient la mort pour avoir donné des soins à un prêtre malade, l’abbé Mourier, vicaire de Beaune, qui montait avec elles sur l'échafaud de la place du Breuil, au Puy. Ces obscures héroïnes étaient Marie Best, Marie Roche sa sœur, Marie Aubert et Marie Anne Garnicr. Ils dirent tous le Miserere à haute voix en allant à la guillotine, comme ils l’auraient dit dans la paix d’une église.

Il y avait aussi une petite fille de quatorze ans, Marie Best ; on lui lit faire le tour de l'échafaud et on la renvoya chez elle, toute impressionnée de la joie surnaturelle qu’elle avait vue sur le visage des siens dans leurs derniers moments. » (Boudet, /.es Tribunaux criminels et la justice révolutionnaire en Auvergne, p. 198)

D’ailleurs, sous le régime de la loi des « suspects », du 17 décembre 1798, il suffisait non seulement d’avoir donné l’hospitalité à un insermenté, mais encore d’avoir assisté à sa messe, ou simplement d’avoir été trouvé porteur d’un livre de prières, d’un chapelet, d’une image pieuse, pour être mis au rang des <. ennemis de la liberté », et devenir justiciable des tribunaux révolutionnaires. Parmi les 314 personnes qui périrent à Bordeaux, en 1794, sur l'échafaud de la place Dauphine, 71 figurent dans les listes sous la désignation de prêtres, religieuses, « receleurs de prêtres » et a fanatiques » (Leclercq, t. XII, p. 199, 202, 203). On a vii, par la réponse du président du tribunal à une question d’une des martyres de Compiègne, quel est le sens devenu légal de ce dernier mot. La même inculpation atteint la plupart des victimes fusillées, à neuf reprises différentes, du

12 janvier au 7 avril ijyi, à Avrillé, près d’Angers. On en compte approximativement deux mille ; mais on ne connaîtra jamais le nombre exact, les bourreaux ayant pris le soin d’interdire qu’on le relevât : ils refusaient de donner des levées d'écrou aux gardiens des prisons où étaient enfermés les condamnés. Ceux-ci sont quelques nobles, et surtout des gens du peuple : pour les hommes, des tisserands, des cordonniers, des tonneliers, des maçons, des vignerons, des laboureurs ; pour les femmes, des fileuses, des devideuses, des marinières, des domestiques, des fermières. Le motif de la condamnation est à peu toujours le même : « Fanatique, brigand par dévotion, insoutenable, est allé entendre la messe des brigands prêtres, n’a jamais été à la messe d’un curé constitutionnel. » Au dire d’un témoin, avant de les inscrire sur la liste des condamnés, en faisant suivre leurs noms de la lettre /", on leur posait habituellement ces trois questions : « As-tu été à la messe des prêtres réfractaires ? As-tu été à confesse, et enfin à toutes les autres cérémonies du fanatisme ? » La procédure, la sentence, avaient donc trait, presque toujours, à la question religieuse, et c’est pour avoir confessé leur foi que ces hommes et ces femmes étaient, en longues « chaînes », conduits à la fusillade. On comprend que le lieu où ils furent exécutés ait reçu de la dévotion populaire le nom de a champ des Martyrs », que l’on n’ait pas cessé d’y venir en pèlerinage, et que l’on parle de guérisons et de grâces obtenues en priant près des grandes fosses où furent jetés les corps des suppliciés (Godard-FaulTRiER, Le champ des Martyrs, Angers, iSSa ; UznRBAD, Histoire du champ des Martyrs, Angers, 1906 ; MisERMONT, Le premier hôpital des Filles de la Charité et ses glorieuses martyres, les sœurs Marie-Anne