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MARTYRE


légumes : Tournesol EscuJier, Raisin Peyrol, Bellerave Devic, juges ; Salsilis Gas, président ; seul le greffier avait fait précéder son nom patronymique de Jeanjean des prénoms romains Junius Urulus (Wallon, Les représentants du peuple en mission, t. II, p. 3^8, 442).

Bien touchant est unprctre de l’Isère, M. Ravenez, que l’on peut appeler un martyr de l’eucharistie. Pendant sa comparution devant le tribunal de Grenoble, il reconnut, au nombre des « pièces à conviction » posées sur la table du prétoire, la boile d’un calice. Il s’approcha, sans mot dire, et, ouvrant récrin, vit, intactes, les hosties qu’il avait soupçonné être déposées dans le vase sacré. Aussitôt il se prosterna pour rendre un public hommage à son Dieu, et, d’une main tremblante d'émotion, se communia. Un tel acte de « fanatisme t> supprimait toute autre procédure. Les ricanements des sectaires et leur fureur répondirent à la présence d’esprit du prêtre Udèle ; mais leur impiété demeurait impuissante : les saintes espèces étaient consommées. La condamnation à mort fut prononcée sur-le-champ (Mlle DE FitANCLiEU, La persécution religieuse dans le département de l’Isère, 1906).

Ce qui frappe chez beaucoup de ces martyrs, c’est leur sérénité. Une expression souvent répétée à propos des martyrs des premiers siècles vient se placer d’elle-même sous la plume des contemporains de la persécution révolutionnaire : ils semblaient, lisonsnous dans plusieurs relations, aller à des noces » (Leclercq, t. XI, p. 98, 104 ; t. XII, p. 124, 126). Les lettres, les testaments de quelques-uns de ces martyrs montrent ceux-ci, jusqu'à la veille de la mort, en pleine possession d’eux-mêmes : ainsi M. Daugré, guillotiné à Sablé le 28 septembre 1798, dans ses dernières volontés datées du même jour et adressées à ses parents, leur recommande de payer exactement ses dettes, mais leur fait remarquer que celles-ci avaient été « contractées en argent », les avertissant par là de ne pas faire perdre ses créanciers en les payant en assignats ; et pensant aux chrétiens esclaves dans les pays barbaresques, il les prie de « donner pour la rédemption des captifs la somme de vingt-une livres » (Leclercq, t. XI, p. 25.5). Ils ont, en même temps, le sentiment très vif de leur situation ; ils savent qu’ils meurent en martyrs. Quand, le a septembre 1792, dans le jardin des Carmes, Mgr Dulau, archevêque d’Arles, voit approcher les assassins : « Remercions Dieu, messieurs, dit-il, de ce qu’il nous appelle à sceller de notre sang la foi que nous professons ; demandons-lui la grâce que nous ne saurions obtenir par nos propres mérites, celle de la persévérance finale. » (Leclercq, t. XI, p. gi) M. Joseph Puech écrit, le 24 février 1794 » à ses parents : « Je viens d'être condamné à mort pour n’avoir pas voulu abjurer la religion de Jésus-Christ et me séparer du chef de l’Eglise. » (lliid., p. 454) A Lyon, en mars 1794. un ancien curé, M. Bourbon, répond ainsi à l’interrogatoire : n As-tu prêté serment ? — J’ai eu la faiblesse de prêter celui de la liberté et de l'égalité, dont je me suis toujours repenti, lequel j’ai rétracté et je rétracte encore en ce moment… » On lui montre une croix : « Connais-tu cette effigie ? — Oui, j’ai ce bonheur ; c’est Jésus-Christ mort pour tous les liommes et pour lequel je désire verser jusqu'à la dernière goutte démon sang. » Condamné à mort, il écrit à sa famille : « L'éternité me tend les bras ; j’aurai le bonheur d’aller à la procession des martyrs. » (fhid., p. 294) Un autre prêtre, Nicolas Musart, guillotiné à Reims le II mars 1796, écrit de même à sa mère, le matin du supplice : « Estimezvous heureuse d’avoir un fils qui meurt pour ! a

même religion pour laquelle sont morts les apôtres et un nombre infini de martyrs. » (Ibid., t. XII, p. 422)

La plus grande joie que pussent éprouver ces âmes héroïques, c'était d’obliger leurs juges euxmêmes à reconnaîtrele motif religieux de la condamnation. Pendant qu’on prononçait celle des Carmélites de Compiêgne, l’une d’elles, la sœur Pelras, entendit, dans le texte du jugement, le mot « fanatique. » Elle feignit de ne pas comprendre, et, interrompant le président, lui en demanda le sens. « J’entends par là, répondit-il, votre attachement à ces croyances puériles, vos sottespratiques de religion. » C'était l’aveu désiré. « Ma chère mère et mes sœurs, s'écria la religieuse en se tournant vers la prieure, vous venez d’entendre l’accusateur nous déclarer que c’est pour notre attachement à notre sainte religion ! Toutes nous désirions cet aveu, nous l’avons obtenu… Oh ! quel bonheur ! quel bonheur de mourir pour son Dieu ! » (L. David, Les seize Carmélites de Compiêgne, p. 1 15)

La révolution du 9 thermidor, qui sauva la vie à tant de victimes, ne mit pas fin à la persécution du clergé. A Clermont-Ferrand, le 21 thermidor (8 août), on guillotine un prêtre réfraclaire, Jean Dumas, curé de Malomprise. ACæn, le 9 fructidor (26 août), un mois juste après la chute de Roljespierre, a lieu l’exécution d’un autre insermenlé (Wallon, Les représentants du peuple en mission, l. II, 1889, p. 109). A Rouen, quarantejours après le 9 thermidor, l’abbé d’Anfernetde Bures, qui pendant dix-huit mois avait parcouru les campagnes en exerçant son ministère, est guillotiné le 7 septembre 1794 (J. Loth, ^1I. l’abbé d’Anfernet de Bures, mort pour la foi à Rouen ; Rouen, 1864). Le chapitre lxi du grand ouvrage de M. Sauzay, Histoire de la persécution rétolulionnaire dans le département du Doubs (10 vol., 18681878), est intitulé : Slartyre des prêtres sous les thermidoriens. Sept ecclésiastiques furent encore guillotinés à Paris entre le 22 août et le 15 octobre 1794 (Sabatié, Le tribunal révolutionnaire de Paris, p. 870-872).

Le sol français continua d'être meurtrier pour les prêtres qui essayaient d’y rentrer. La loi du 21 février 1795, sur la liberté des cultes, n’abrogea point celle du 20 août 1792 assimilant les prêtres chassés de France à des émigrés ; par une autre loi, du 22 octobre 1796, la Convention, avant de se séparer, maintint expressément la peine de mort contre ceux qui y seraient revenus. « En 1795 et en 1796, on fusilla quelquefois des prêtres au coin d’un bois pour s'épargner de les conduire devant les triliimaux criminels ou devant les commissions militaires, u (Victor Pierre, La déportation ecclésiastique sous le Directoire, Paris, 1896, p. 28 ; voir la liste des prêtres ainsi massacrés par des colonnes mobiles, dans un article du même auteur, Les Emigrés et les commissions militaires, Revue des Questions historiques, octobre 1884, p. 520 ; l’un d’entre eux, M. Lemoine, curé de Guéménée, fut fusillé avec l’enfant qui lui servait la messe). A Vannes, le 2 mars 1796, est condamné à mort un Lazariste, M. Rogue, qui avait refusé tous les serments, et était resté dans la ville, évangélisant même les prisons : quand fut prononcée sa condamnation, il tomba à genoux, dans un élan de reconnaissance, et remercia Dieu à haute voix (L. Brktal’daud, Un martyr de la Révolution à Vannes, Pierre René Rogue, prêtre de la Mission, 1908). J’ai cité plus haut une lettre d’un martyr de Reims, M. Nicolas Musard. Il s'était, conformément aux lois, retiré à l'étranger, après avoir refusé le serment ; mais il avait cru pouvoir rentrer le 3 1 juillet 1795. Quand il sortit de prison, le Il mars 1796,