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MARTYRE

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Iraitement ou pension, à tous les fonctionnaires, à tous les instituteurs, à tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers, et même aux religieuses. Sa forme primitive, qui reçut quelques variantes, lesquelles ne touchaient pas au fond, était : « Je jure d'être liJèle à la nation et de maintenir la liberté et l'égalité, oude mourir en les défendant.)i Ce serment, bien que désapprouvé par le Pape, ne fut pas expressément condamné par lui : des ecclésiastiques irréprochables avaient cru pouvoir le prêter (Gosselin, Vie de M. Emery, Paris, 1862, t.I., p. 807 ; Delarc, L’Eglise de Paris pendant la Révolution, t. II, p. 333). Cependant l’opinion catholique, manifestée par le sentiment de la majorité des évêques et des prêtres, interpréta sa vague et équivoque formule comme une approbation des lois antireligieuses votées par les pouvoirs publics, et en particulier de la Constitution civile du clergé, et le considéra comme également illicite (voir Uzurhau, Les serments pendant la Bét’olution, Paris, 1904 ; Leclercq, Les Martyrs, t. XI, Paris, 191 1, p. 18-27 ; Chéhot, Figures de Martyrs, p. SS-S-j ; Mtserihont, ie premier hôpital des Filles de la Charité et ses glorieuses martyres Marie-Anne et Odile, Paris, 1913, p. 162-172 ; Misermont, Les Vénérables Filles de la Charité d’Arras, Paris, igi^i p. 60-76 ; du même auteur, Le texte peu connu d’un document pontifical important sur le serment de liberté-égalité, dans Revue des Eludes historiques, janvier-février 1910 ; Boutin, Les douze serments demandés aux prêtres par la Révolution, de 1790 à iSOi, dans MuUetin de la Société d'émulation de la Vendée, décembre igiS ; Giraudin, Serments imposés au clergé pendant lu Révolution, dans Revue pratique d’Apologétique, t. XXII, 15 avril 1916). On peut dire que cette opinion est désormais consacrée par le jugement de l’Eglise, puisque les deux groupes de religieuses honorées du titre de Bienheureuses et de Vénérables avaient été condamnés pour avoir refusé de prêter le serment de libertéégalité.

Nombreux sont les martyrs qui, comme elles, préférèrent la mort, non seulement au serment de fidélité à la Constitution civile du clergé, mais encore au serment de liberté-égalité, et affrontèrent le fer des assassins, la fusillade ou l'échafaud pour avoir refusé de les prêter ou pour les avoir rétractés. Sans doute, les lois imposant l’un et l’autre serment n’avaient point édicté la peine de mort contre ceux qui ne le prêtaient pas : la peine encourue par les insermentés était seulement la déportation (loi du 36 ao&t 1792), et l’on connaît par de nombreuses relations contemporaines les souffrances infligées aux prêtres déportés ou emprisonnés dans cette première phase de la persécution (voir Leclercq, t. XI, p. 3 i 3332 ; 437-442 ; t. XII, p. 206-339 ; 349-366 ; LbmonNIER, La déportation ecclésiastique à Rochefort {n91-)795) d’après les documents officiels, dans Revue de Saintonge etd’Aunis, t. XXXIll, 1913, p. 286303 ; G. AuDiAT, Brouage et ses martyrs, dans Revue pratique d’Apologétique, t. XVIII, 1914, p. 584-692, 641-656). Mais une autre loi, du 26 octobre 1 798, frappa de la peine capitale les insermentés qui étaient rentrés en France ou qui, n’ayant pas quitté la France, avaient réussi, en se cachant, à se soustraire à la déportation : faisant appel aux plus bas instincts, la loi promettait cent livres de récompense à quiconque les ferait arrêter. Il y eut encore, de ce chef, de nombreux martyrs parmi les prêtres et les religieux qui, sous divers déguisements, avaient continué à j>rodiguer aux fidèles les secours du zèle sacerdotal. Mais surtout, le fait de n’avoir pas prêté serment suffisait à classer le prêtre réfractaire parmi les II suspects », et à le faire, comme tel, traduire

Tome III.

devant les tribunaux révolutionnaires : ceux-ci, n’avaient pas le droit de le condamner à une peine autre que la mort (lois des 17 septembre 1798 et 10 mai 1794).

Au reste, la légalité n’importait guère aux persécuteurs : ils ne cherchaient même pas à se couvrir du masque de la justice. Beaucoup des prêtres martyrisés pendant la première phase de la persécution révolutionnaire l’ont été sans jugement, ou en vertu de jugements prononcés par des autorités incompétentes. Dans la petite ville de Vans, en Ardèche, la fête du 1 4 juillet est célébrée par le massacre de plusieurs prêtres, auxquels la municipalité, s'érigeant en tribunal, a donné le choix entre le serment et la mort (J AŒR, t. III, p. 3 1 2). Le même jour, à Bordeaux, deux insermentés, M. Langoiran, vicaire général, et M. Dupuy, bénéficier de la paroisse Saint-Michel, sont assassinés par le peuple (ibid., p. 315) : ce crime ayant été dénoncé à l’Assemblée nationale, elle passa à l’ordre du jour (Barante, Histoire de la Convention, t. I, p. 229). A Marseille, le 28 juillet, deux religieux Minimes, surpris dans la retraite où ils se sont cachés pour exercer leur saint ministère, sont pendus à un réverbère, après avoir refusé de prêter le serment constitutionnel (Caron, Les Confesseurs de la foi, t. I, p. 165). A Ham, à Laigle, à Alençon, en août et septembre 1792, des prêtres, un religieux, sont égorgés par la populace pour refus de serment (E. de Robillart de Beaurhpairh, Le Tribunal criminel de l’Urne, 1866, p. 4'-48, 151). Un prêtre du diocèse du Mans, M. Duportail de la Binardière, mis en demeure de choisir entre le serment et la mort, est décapité à Bellesme. A Pont-Ecrepin, près de Falaise, M. Guillaume de Saint-Martin, vicaire de Macé, est fusillé au pied de l’arbre de la liberté, sur son refus de

« renoncer au pape et à sa religion ». (Jaoer, t. III, 

p. 829) La grande hécatombe de prêtres — « représentation, selon l’expression de Mgr du Teil, de toute la France ecclésiastique », car ils appartenaient à tous les degrés de la hiérarchie et à toutes les provinces — égorgés à l’Abbaye, aux Carmes, à La Force, à Saint-Firrain, pendant les massacres de septembre, les montre refusant, après mûre délibération, d’acheter leur vie au prix de l’un ou de l’autre des serments. C’est en criant : « A bas les rcfractaires I » que Maillard et sa bande couraient de la prison de l’Abbaye aux Carmes, et ce n’est qu’après leur avoir demandé s’ils avaient prêté serment, ou sur leur refus de le prêter, que les prêtres détenus étaient égorgés (voir Lenôtre, ies massacres de septembre, Paris, 1907 ; Sabatié, Les massacres de septembre. Les martyrs du clergé, Paris, 1912 ; Leclercq, t. XI, p. 45-1 60 ; F. MouuRET, Histoire générale de l’Eglise, t. VII, L’Eglise et la Révolution, Paris, 1918, p. 485-493 ; sur les deux laïques, le comte de Valfons et M. de Villette, anciens officiers, présentés avec eux au procès de béatification, voir Bulletin de l’Institut catholique de Paris, novembre 1918, p. 199, et E. Villeïte, l’n enfant du Cateau, soldat et martyr, Jean-Antoine de Villette, Paris, 1908). Au même moment, à Reiras, à Meaux, à Lyon, à Versailles, à Cæn, à Gacé, à Antibes, des prêtres, isolés ou en groupes, sont égorgés, assommés, noyés par la populace (F, Mourret, p. 166). « Dans les départements, ditTAiNE, c’est par centaines que l’on compte les journées semblables à celle du 2 septembre. De toutes parts la même fièvre, le même délire. » (Origines de la France contemporaine, f.a Révolution, t. II, Paris, 1881, p, 814). C’est ce qu’il nomme ailleurs « l’anarchie spontanée « , si l’on peut appliquer le mot « spontané » à l'éclosion des germes mauvais semés longtemps à l’avance par des malfaiteurs intellectuels.

Entre les massacres de 1792 et les assassinats

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