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MARTYRE

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de races, l’inestimable bienfait de la liberté religieuse ; — un jour peut-être le bienfait, plus grand encore, de l’unité catholique.

VIII. — Le Martyre

PENDANT LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

î. Le titre de martyr ; 2. Les martyrs du clergé ; 3. Les martyrs laïques.

I. Le titre de martyr. — « Les premiers siècles de l’Eglise ne sont pas les seuls qui comptent des martyrs. Les contrées lointaines des Barbares ne sont pas les seules rougies par leur sang. L’iiistoire des peuples civilisés nous montre à quelles cruautés peuvent en venir les hommes aveuglés par de fausses doctrines et combien peu il faut se lier à la douceur des relations sociales, si l’on ne tient pas compte de Dieu. » Ainsi s’exprime, à propos des martyrs de la fin du xvin' siècle, l’un des décrets préparatoires à la béatilication des seize Carmélites de Gompiègne guillotinées à Paris le ij juillet 1794 (décret de tuto, cité par L. David, Les seize Carmélites de Compiègne, Paris, 1906, p. 159). Un historien écrit à propos de cette béatilication : n La déclaration de leur martyre, prononcée le a5 juin 1906, est un événement de premier ordre dans l’Iiistoiredes martyrs de la Révolution française. Il rejaillit sur toutes les autres causes et les consacre en principe. » (H. GaÉRor, S. J., Figures de mart)rs, Paris, 1907, p. 170)

Sans doute, ce « principe » fut reconnu dès l’origine. Au lendemain de la mort de Louis XVI, le pape Pie VI, dans un discours public, avait, en s’appuyant sur l’autorité de Benoit XIV (De Bealificatione seryorum Dei, III, xiii, 10), indiqué les raisons qui permettraient de considérer le roi comme un martyr, præcipue interemptus in odium fidei et in callwlicorum dogmatum insectatione, repondu aux objections, et — sans vouloir donner à ses paroles l’autorité d’un jugement canonique — conclu dans un sens favorable à cette opinion : An hoc satisesse non valeat^ ne lemere existiniatum dictumque sit f.ndoficum « 556 /)ia ; -(vem ? (allocution du igjuin 1798, dans Theiner, Documents inédits relatifs aux affaires religieuses de France, i 790-1800, Paris, 1807, t. I, p. 191. Artaud de Montoh, Histoire des soiuerains pontifes romains, t. VIII, 18^7, p. 32^-3^7, a traduit en français cette allocution). Dans une autre circonstance. Pie VI prononça une parole d’une portée peut-être plus grande encore. Quand on lui présenta le récit de la sainte mort de Mgr de Saint-Simon, évêque d’Agde, membre de l’Académie des Inscriptions, guillotiné à Paris le a5 juillet 1794, avec cinq ecclésiastiques, il ne put retenir ses larmes, baisa la relation et s'écria : « Qu’on dise donc que ces prêtres ne meurent pas pour la foi ! Voilà bien des martyrs ! s (Cité par Sabatié, Le Tribunal révolutionnaire de Paris, 191 4, p- 366, d’après Gcillon, Les Martyrs de la foi, t. IV, p. 678)

A propos de victimes plus obscures, le sentiment des évêques et du peuple chrétien s'était non moins clairement manifesté. Dans une lettre pastorale du 10 août 1792, l’archevêque de Bordeaux, Champion DE CicÉ, repentant de ses propres faiblesses, parle du massacre de deux de ses prêtres : « Ils sont morts l’un et l’autre, dit-il, avec un courage et une résignation dignes des premiers chrétiens et des premiers martyrs » (cité par Jagbr, Histoire de l’Eglise de France pendant la Révolution, t. III, Paris, 1862, p. 821). Quelques jours après l’exécution du curé Noël Pinot, guillotiné à Angers le ai février 1794, son ami M. Grught écrivait : a Les lidèles se flattent

que l’Eglise le mettra au nombre des martyrs et qu’elle en célébrera la mémoire, ainsi que de ceux qui l’ont précédé. » (Mémoires et Journal de l’abbé Gruget, Angers, 1902.) Ajoutons que les fidèles qui avaient assisté aux supplices s’empressaient de recueillir comme des reliques, parfois au péril de leur vie, le sang de leurs frères morts pour la foi et les objets qui leur avaient appartenu, les considérant comme des martyrs.

Cependant une pensée de prudence et de charité semble avoir empêché longtemps les autorités ecclésiastiques de solliciter des souverains pontifes les honneurs des autels pour les Français mis à mort en haine de la foi catholique pendant la période révolutionnaire. A la lin du xix « siècle seulement, on prut pouvoir commencer, à leur sujet, les procédures régulières. Elles ont déjà partiellement abouti, puisque nous venons de voir que les Carmélites de Gompiègne ont été déclarées Bienheureuses, et puisque les quatre Filles de la charité guillotinées à Cambrai le 26 juin 1798 ont reçu de Pie X le titre de Vénérables. D’autres s’instruisent actuellement en cour de Rome : celui de 213 victimes des massacres de septembre, celui de onze Ursulines exécutées révolutionnairement à Valenciennes, celui de deux Filles de la Charité et de leurs nombreux compagnons fusillés au champ des Martyrs, près d’Angers. On doit s’attendre à voir grossir le nombre des dossiers : les recherches poursuivies sans passion, avec une complète objectivité, sur l’histoire générale et locale de la Révolution ont mis en lumière, sur tous les points de la France, d’innombrables chrétiens, ecclésiastiques ou laïques, dont la mort, explicable par la seule haine des révolutionnaires contre la foi catholique, paraîtra probablement offrir tous les caractères du martyre.

Ces caractères ont été définis, avec une admirable précision et une humilité non moins admirable, par une des plus pures victimes de la Révolution. Condamnée à mort. Madame Elisabeth dit à ses compagnons de condamnation : « On n’exige pas de nous, comme des anciens martyrs, le sacrifice de nos croyances ; on ne nous demande que l’abandon de cette misérable vie : faisons à Dieu ce faible sacrifice avec résignation. » (A de Beauchesne, Les derniers moments de Madame Elisabeth, dans lievue des Questions historiques, octobre 1868, p. 542) Cette sainte princesse ne reconnaît ni à elle ni à ses compagnons le droit au titre de martyrs, parce que les persécuteurs ne leur avaient pas demandé un acte contraire aux croyances ou à la disciplinedel’Eglise : elle le réserve à ceux qui ont préféré la mort à un acte de cette nature.

2. Les martyrs du clergé. — Beaucoup, parmi

les prêtres, religieux et religieuses, paj'èrentde leur vie le refus de prêter des serments réprouvés par leur conscience.

Les diverses Assemblées révolutionnaires. Constituante, Législative, Convention, avaient exigé de certaines catégories de citoyens des serments touchant en même temps à la religion et à la politique. Le premier fut le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé, imposé par la loi du 26 décembre 1790 à tout ecclésiastique « fonctionnaire public », et bientôt étendu à ceux mêmes qui n’avaient pas cette qualité : serment manifestement scliismatique, comme la Constitution civile elle-même, et interdit par un bref du pape Pie VI, en date du 13 avril 1791. Le second fut le serment de libertéégalité, appelé aussi le petit serment, imposé par les lois des 14 août 1793, 28 avril, 8 octobre, 21 octobre, 29 décembre 1798, à tout Français recevant