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MARTYRE

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frappa d’une amende de 150 roubles celui qui leur donnerait asile (f.es Persécutions des uniates, conférence du R. P. ToMNiCJAK, 23 mai 18g5, dans les Lettres de Jersey, 1896, p. 290-291).

e) La situation des uniates devint plus dure encore sous Alexandre 111 (1881-18g4). « Alexandre II avait enlevé aux catholiques polonais des provinces occidentales le droit d’acheter des terres ou d’en louer à bail. Ces lois de son père, qui n’avaient profité qu’aux Allemands, Alexandre 111, au lieu de les adoucir, les a aggravées par l’ukase de décembre 1884. Dans toute la Russie occidentale, pour pouvoir acquérir un immeuble rural par vente, legs ou donation, il faut être Russe, et n’est considéré comme Russe que l’orthodoxe. » (A. Lhroy-Beau-LIED, L’Empire des tsars et les Russes, t. III, p. 601) Une visite à Chelm en 1888 attira de plus près sur les uniates l’attention de l’empereur. Au lieu de se laisser toucher de leur constance, il s’en irrita. Dés lors, ce ne fut plus dans le gouvernement de Cherson qu’eurent lieu les transportations, mais dans celui d’Orenbourg, aux confins de l’Asie et des monts Oural. Les exilés furent présentés aux indigènes comme « des voleurs et des brigands ». On assure, cependant que leur piété, réveillant chez ces populations sauvages des traditions oubliées, fit aimer de quelques-uns l’Eglise romaine.

On verra par l’exemple suivant quels faits suffisaient pour motiver la transportation dans le gouvernement d’Orenbourg.

« Les pauvres uniates, privés de leurs églises et

de leurs prêtres, enterraient eux mêmes leurs morts. Cela ne pouvait plaire aux popes. Lorsquequelqu’un des uniates était mort, le pope de la paroisse montait la garde près du cimetière pour que l’enterrement ne pût se faire sans les cérémonies de l’Eglise schisinatique. Bien souvent le cortège des uniates, conduisant un corps au lieu de repos, était arrêté par des soldats et contraint de se diriger vers l’Eglise schismatique. Les iiniales, pour éviter tout contact avec le schisme, abandonnaient le corps aux soldats en disant : Notre frère est mort en bon catholique, malgré vos cérémonies il ne deviendra pas schismatique. » Et ils s’éloignaient, le cercueil était conduit à l’église schismatique, et, après les cérémonies du pope, enterré par des soldats. Un brave paysan, dont la femme était morte, eut l’idée de déjouer la surveillance. A l’aide de ses amis, il enterra sa femme pendant la nuit. La bière fut passée par dessus le mur, car la clef du cimetière se trouvait chez le pope. Hélas I le matin l’on découvrit une nouvelle tombe. Le pope fit déterrer le corps, et, après les cérémonies schismatiques, la niorte fut enterrée de nouveau. Le pauvre paysan fut exilé dans le gouvernement d’Orenbourg, et c’est là que, mourant de faim et de misère, il fut condamné à une amende de 25 roul)les (jo francs) pour ce méfait. » Ceci se passait en 1887 (conférence citée, p. 292)

f) L’avènement du successeur d’Alexandre III donna aux persécutés quelque espérance. Les sentiments humains et bienveillants du jeune souverain étaient connus, mais l’heure n’avait pas sonné des réparations nécessaires. Peut-être n’étaienl-elles pas encore possibles. « C’est étonnant ce que ne peuvent pas ceux qui peuvent tout », a écrit un moraliste russe, Mme Swetchine. Il y eut cependant un peu de détente. La charitable et habile diplomatie de Léon Xlll obtint des adoucissements et dans le sort des uniates exilés ou déportés pour être restés fidèles à leur religion, et dans celui des prêtres punis pour les avoir assistés (F. Carry, La Ilussie et le Vatican Léon ^V// dans le Correspondant, 26 juillet 1897). Mais, dans l’ensemble, le sort des persécutés resta

misérable. Les pétitions envoyées en 189.5 à Nicolas II, des gouvernements de Clierson et d’Orenbourg, montrent les régions encore peuplées d’exilés uniates. Les suppliques qui partirent, à la même époque, des villages de la Podlachie, peignent des couleurs les plus sombres la situation des uniates qui y résident, sans prêtres, sans sacrements, sans mariages, obligés de vivre, selon leur expression, « comme des païens ». (Voir ces suppliques dans Dom Guéi-in, t. II, p. 538-543.) Aucun secours ne peut leur venir du dehors ; pendant longtemps resta vraie cette parole de Lhhoy-Beaulieu : a Il est plus facile à Rome d’envoyer des missionnaires au fond de la Chine que dans la Russie de Chelm. » (L’Empire des tsars et des liasses, t. III, p. 601) Les rares prêtres qui ont réussi, cependant, à franchir les obstacles et à parvenir jusqu’à ces infortunés, les ont trouvés inébranlables dans leur fidélité à la véritable Eglise.

« Ceux de nos Pères — disait le conférencier déjà

cité de 1895 — qui, dans leurs excursions furtives, ont pu pénétrer dans les villages des uniates, en racontent des exemples merveilleux, ces pauvres confesseurs de la foi offrent leurs souffrances pour leurs persécuteurs. >>

Comment les persécuteurs auraient-ils alors désarmé devant eux, quand on voit la politique de

« russification » poursuivre, au même moment, jusqu’aux

Grecs schismatiques, faisant partie d’une autre Eglise que l’a orthodoxie » russe ? Un ukase du 12 juillet 1903 dépouille l’Eglise grégorienne d’Etchmiadzin, en Armémie russe, de tous ses biens, estimés à 300 millions de francs ; il fut même défendu à se » prêtres de baptiser les musulmans qui se convertiraient ; qu’ils restent musulmans plutôt que de recevoir un autre baptême que le baptême « orthodoxe ». (Voir R. Janin, L^es Arméniens, dans Echos d’Orient, janvier-avril 1916, p. 16)

En ce qui concerne les catholiques ruthènes, la persécution eut une conséquence probablement inattendue des persécuteurs. Il en résulta une immense émigration. Les uniates sont aujourd’hui répandus par centaines de mille aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil. Sur les difficultés de leur situation religieuse en ces lointains pays, et sur les efforts des évêques américains et du Pape pour leur conserver ou leur rendre un clergé indigène, voir, dans la lievue pratique d’apologétique du 15 décembre ig12, un article du P. d’HKRBiGNY, Lai consécration du premier évéque catholique de rite paléoslave pour le Canada.

S. La persécution des Latins. — En 1865, le Saint-Siège fit publier à Rome, l’Exposition, accompagnée de documents, des soinsconstants du Souverain Pontife Pie LA’pour réparer les maux de l’Eglise catholique en Russie et en Pologne (Rome, imprimerie du Secrétariat d’Etat ; traduction franvaise chez Palmé, Paris, 1868). Deux mots de cet important mémoire me paraissent résumer admirablement les résultats des persécutions dont la Pologne et ses provinces de l’est furent l’objet : « Les Grecs-unis entraînés violemment au schisme, les Latins séduits et privés de secours religieux. » Cette brève formule indique avec clarté la différence des moyens mis en œuvre contre les uns et les autres.

La « violence « exercée sur les uniates a produit, comme on l’a vii, un grand nombre de martyrs ; les moyens insidieux employés contre les latins, — qui forment la plus grande partie de la population catholique dans la Pologne propre et dans une partie de la Lithuanie, — ont été rarement accompagnés d’actes meurtriers. Nous devons en dire un mot, pour ne pas laisser trop incomplète cette étude ;