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MARTYRE

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l’adoption de ce rituel devenait obligatoire le i" janvier 1874. Enfin, l’invitation fut adressée par lui au clergé et au peuple de toutes les paroisses, de signer une supplique demandant leur entrée dans l’Eglise orthodoxe. C'était l’apostasie définitive. Pur les moyens les plus insidieux et les plus violents, pareils à ceux qui avaient été employés dans les provinces orientales en iSSg, elle fut partiellement obtenue : Popiel put, en 1870, présenter au Saint-Synode la liste de 50 mille nouveaux convertis.

Oui, mais à côté de ces égarés, souvent renégats sans le savoir ou le comprendre, combien de confesseurs I combien de martyrs ! Dans un bref du 13 mai i&jli. Pie IXparle du « spectacle remarquable et tout à fait liéroique donné dernièrement devant les anges et devant les hommes par les Ruthènes du diocèse de Chelm. qui, repoussant les ordres iniques du pseudo-aJministraleur, ont préféré endurer toute sorte de maux et exposer même leur vie au dernier péril, que de faire le sacrifice de la foi de leurs pères et d’abandonner les rites qu’ils ont eux-mêmes reçus des ancêtres et qu’ils ont déclaré vouloir conserver toujours intacts et entiers. » (Cité par le P. Lescœur, t. 11, p. 382-387)

Là où les curés cèdent, c’est le troupeau qui résiste. Les paysans s’emparent des clefs de l'église, afin qu’on n’y puisse pas officier selon le rituel schismatique. A Polubiczé, le chef du district veut les contraindre à certifier par écrit que c’est de leur plein gré que les rites ont élé modifiés. Un paysan signe, .après avoir reçu cinq cents coups de verges, puis, à peine la signature donnée, il se repent. Un autre, persistant dans son refus, expire sous les coups. Les soldats veulent entrer de force dans l'église : un paysan, qui en défend l’entrée, tombe mort d’un coup de baïonnette. A Pratulin, treize paysans, qui veulent aussi empêcher les troupes de profaner l'église, sont abattus par les balles. La mère d’Onufry Vasyluk pleure sur le corps du fusillé : « Mère, lui dit l'épouse du mort, ne pleurez pas la mort de votre ûls, moi je ne pleure pas la [lerte de luon mari, car il n’a pas été tué pour des crimes ; au contraire, réjouissez-vous de le voir succomber martyr pour la foi. Oh ! si j'étais digne d’une telle mort ! » Les survivants furent conduits enchaînés à la prison de la ville voisine. On eut la pensée, pour amener le village au schisme, d’employer l’influence d’un vieux paysan d’une commune voisine, nommée Pikuta, qui était fort en crédit dans la contrée. Il consentit à parler à la foule assemblée, se mit à genoux avec tous les assistants, leur présenta une croix, puis, se relevant, leur dit : a Je jure sur mes cheveux gris, sur le salut de mon âme, comme je veux voir Dieu au dernier moment de ma vie, que je n’apostasierai pas d’une syllabe notre foi, et qu’aucun de mes voisins n’apostasiera. Les saints martyrs ont supporté tant de persécutions pour la foi, nos frères ont versé leur sang pour elle, et nous aussi nous les imiterons. » Les gendarmes se jetèrent sur lui, et l’emmenèrent enchaîné. Le témoin de ces faits ne nous dit pas ce qu’il est devenu. Entre beaucoup d’autres épisodes, dont plusieurs sanglants, nous sommes forcés de choisir : citons encore celui-ci. Une femme, Kraïtchikta, refusait de signer le papier schisraatique : a Signe, ou tu partiras pour la Sibérie. — Je partirai, mais signer, jamais ! — Alors nous t’enlèverons ton enfant. — Le voilà. Dieu en aura soin. » La mère bénit l’enfant, et le remet aux mains des persécuteurs. Elle brise, par un acte de foi héroïque, le piège tendu à sa conscience et à son amour maternel.

L’hiver de 1874 fut terrible pour les villageois du diocèse de Chelm. On les contraignait à loger des

garnisaires, qui dévoraient toutes leurs provisions. On battait les hommes, les enfants, avec le terrible fouet des cosaques appelé nuhajha. Par un nouveau genre de tortures, on obligeait des populations entières à se tenir debout, tête nue, dans la neige, sous la bise, pendant plusieurs heures de suite. Dans le village d’Uscirao, le peuple l’ut poussé dans l’eau glacée jusqu’au cou, et y entra résolument, sans vouloir céder. A Wlodama, un hetman de cosaques somma par trois fois la population de signer la déclaration schismatique : ceux qui refusent sont battus, et trois femmes expirent sur place.

Tels sont les moyens qui, dans le dernier diocèse uniate de Pologne, firent, de 1872 à 1875, cinquante mille renégats, mais, à côté d’eux, mirent en lumière la foi intrépide d’une multitude de gens du peuple qui, sans autre science que leur catéchisme, triomphant à la fois de ceux qui les oppriment et de ceux qui les trahissent, soulifrent ou meurent en héros. Ils préfèrent l’abstention complète de tout culte à la participation aux cérémonies schismatiques, qui serait à leurs yeux une apostasie. Une femme — c’est un Russe orthodoxe, témoin oculaire, qui l’a raconté à M. Leroy-Beaulieu — brise la tête de son nouveauné contre un mur plutôt que de le laisser baptiser par le pope et enrôler par le baptême dans l’Eglise schismatique. Ailleurs, des parents se sont asphyxiés avec l’enfant qu’on voulait baptiser de force. Des jeunes gens préfèrent être considérés par la loi comme concubinaires que d’accepter pour leur mariage la bénédiction du pope. Ils savent que, s’ils se présentaient devant lui, ils livreraient d’avance à l’Eglise orthodoxe les âmes de leurs enfants : ils aiment mieux attendre l’occasion de se faire marier secrètement par nn prêtre catholique. Ils passent la frontière, et viennent demander à l’Autriche une heure trop courte de liberté religieuse pour se confesser, communier, recevoir la bénédiction nuptiale. Leurs enfants seront, légalement, des bâtards : cette humiliation est acceptée d’avance, et préférée par ces vrais chrétiens à l’incorporation à une Eglise schismatique. Ces « mariages de Cracovie » se sont élevés à plusieurs milliers.

(Voir une brochure anonyme publiée à Cracovie en 1875, et tradxiite en français sous ce titre : Le schisme et ses apôtres, Paris, 1875, p. 77, 79-83 ; le P. Martinov, /.e Brigandage de Chelm, dans les Etudes, juin 1876, p. gSa ; Lescœur, t. ii, p. 356-878 ; de nombreuses correspondances dans le Monde et /'t/' « ii’ers, année 1874 ; A. Lep.oy-Beaulieu, L’Empire des tsars et les Jiusses, t. 111, Paris, 188g, p. 602 et suiv. ; Dom Guépin, t. 11, p. 502-508.)

Malgré la soumission de 1875, il restait encore plus de deux cent mille uniates dans le diocèse de Chelm. Vingt mille d’entre eux furent transportés, en 1876, dans le gouvernement de Cherson. « On les conduisait jusqu'à la gare voisine, souvent très éloignée, rangés quatre à quatre et chargés de fers, sous une escorte de soldats. Des traînées de sang marquaient les traces de leur passage. Un paysan, lorsqu’il fut chargé de fers avec son fils, s’agenouilla, baisa ses chaînes, en remerciant à haute voix JésusChrist de le juger digne de souffrir pour son nom. u Le sort de ceux qui échappèrent à l’exil fut à peine moins pénible. Ils n’avaient plus d'églises de leur rite ; mais il leur fut interdit d’entrer dans les églises de rite latin. Ils furent réduits à « s’assembler les jours de fête dans les maisons privées, où ils chantaient le rosaire, les cantiques, les vêpres ; puis l’un d’eux lisait à haute voix un sermon, et, avant de se séparer, ils s’exhortaient mutuellement à la persévérance et au combat pour la sainte foi. » Ces réunions privées devinrent elles-mêmes suspectes, et en