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MARTYRE

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pourvu qu’il prit le turban ; et pour lui faire faire cette apostasie, il employa toutes les persécutions dont il put s’aviser ; et enfin, ajoutant les menaces aux promesses, il l’intimida de telle sorte qu’il en lit un renégat. Ce pauvre enfant, néanmoins, conservait toujours dans son cœur les sentiments d’estime et d’amour qu’il avait pour sa religion, et ne lit cette faute que par l’appréhension de tomber dans ce cruel esclavage, etpar le désir de faciliter le recouvrement de sa liberté. Il déclara même à quelques esclaves chrétiens qui lui reprochaient son crime, que s’il était Turc à l’extérieur, il était chrétien dans l'âme, et, peu à peu, faisant réilexion sur le grand péché qu’il avait commis de renoncer à sa religion, il en fut touché d’un véritable repentir ; et, voyant qu’il ne pouvait expier sa lâcheté que jiar sa mort, il s’y résolut, plutôt que de vivre plus longtemps dans cet état d’inlidélité. Ayant découvert à quelques-uns ce dessein, pour en venir à l’exécution, il commença à parler ouvertement à l’avantage de la religion chrétienne et au mépris du mahomélisme, et disait sur ce sujet tout ce qu’une vive foi lui pouvait suggérer, en présence même de quelques Turcs, et surtout des chrétiens. Il craignait toutefois la cruauté de ces barliares, et envisageant la rigueur des peines qu’ils lui feraient souffrir, il en tremblait de frayeur. « Mais pourtant, disait-il, j’espère que le Seigneur m’assistera, il est mort pour moi, il est tout juste que je meure pour lui. » Enfin, pressé du remords de sa conscience, et du désir de réparer l’injure qu’il avait faite à Jésus-Christ, il s’en alla, dans sa généreuse résolution, trouver le bâcha ; et, élanlen sa présence :

« Tu mas séduit, lui dit-il, en me faisant renoncer à

ma religion, qui est la bonne et véritable, et me faisant passer à la tienne, qui est fausse : or, je te déclare que je suis chrétien ; et, pour te montrer que j’abjure de bon cœur la créance et la religion des Turcs, je rejette et déteste le turban que lu m’as donné » ; et, en disant ces paroles, il jeta ce turban par terre et le foula aux pieds ; et puis il ajouta :

« Je sais que lu me feras mourir, mais il ne m’importe, car je suis prêt à souffrir toute sorte de tourments, pour Jésus-Christ mon Sauveur. » En efTet, le

baclia, irrité de cette hardiesse, le condamna aussitôt à être brillé tout vif ; ensuite de quoi on le dépouilla, lui laissant seulement un caleçon, on lui mit une chaîne au cou, et on le chargea d’un gros poteaii, pour être attaché et brûlé ; et, sortant en cet état de la maison du bâcha, pour être conduit au lieu du supplice, comme il se vit environné de Turcs, de renégats, et même de chrétiens, il dit hautement ces belles paroles : « Vive Jésus-Christ, et triomphe pour jamais la foi catholique, apostolique et romaine I II n’y en a point d’autre en laquelle on puisse se sauver. » Et cela dit, il s’en alla constamment souffrir le feu et recevoir la mort pour Jésus-Christ.

« Or le plus grand sentiment que j’aied’unesi belle

action, c’est que ce brave jeune homme avait dit à ses compagnons : « Quoique j’appréhende la mort, je sens néanmoins quelque chose là-dedans, portant la main sur son front, qui me dit que Dieu me fera la grâce de souffrir le supplice qu’on me prépare. Notre-Seigneur lui-même a appréliendé la mort, et, néanmoins, il a enduré volonlairement de plus grandes douleurs que celles qu’on me fera souffrir ; j’espère en sa force et en sa bonté. » Il fut donc attaché à un poteau, et le feu allumé autour de lui, qui lui lit rendre bientôt entre les mains de Dieu son âme pure comme l’or qui a passé par le creuset. M. Le Vacher, qui l’avait toujours suivi, se trouva présent à son martyre ; quoiqu’un peu éloigné, il lui leva l’excommunication qu’il avait encourue, et lui donna l’absolution, sur le signal dont il était

convenu avec lui, pendant qu’il souffrait avec tant de constance.

« Voilà, messieurs, comme est fait un chrétien, et

voilà le courage que nous devons avoir pour souffrir et pour mourirquand il faudra pour Jésus-Christ. Uemandons-lui cette grâce, et prions ce saint garçon de la demander pour nous, lui qui a été un si digne écolier d’un si courageux maître, qu’en ces trois heures de temps il s’est rendu son vrai disciple et son parfait imitateur, en mourantpour lui. » (Abblly, t. V, p. 64-67)

Cette Passion d’un martyr, narrée avec émotion presque au lendemain de sa mort par un saint tel que Vincent de Paul, d’après les renseignements du témoin oculaire M. Le Vacher, fait comprendre la valeur historique de beaucoup de pièces analogues appartenant aux premiers siècles de l’Eglise.

A ces esclaves martyrs de la foi, il faut joindre d’autres esclaves martyrs de la chasteté. M. Guérin parle d’un jeune Portugais qui, « après avoir résisté pendant plus d’un an aux violentes sollicitations de son impudique patronne », fut, sur une fausseaccusation de « cette louve », condamné à mort. « Il se confessa et communia, et, après, il me dit : « Monsieur, qu’on me fasse souffrir tant qu’on voudra, je veux mourir chrétien. » Et, quand on vint le prendre pour le conduire au supplice, il se confessa encore une fois, et Dieu voulut pour sa consolation qu’il nous fût permis de l’assister à la mort, ce qui n’avait jamais été accordé parmi ces inhumains. La dernière parole qu’il dit, en levant les yeux au ciel, fut celle-ci : « O mon Dieu, je meurs innocent ! » Ceci se passait en 1646à Tunis. A Alger, vers le même temps, un autre esclave, après avoir repoussé les ignobles tentatives de son maître, fut accusé par celui-ci de l’avoir voulu tuer : « on tit mourir par le feu ce valeureux chrétien, qui supporta constamment ce cruel martyre. » (/tiV., p. 85-8^)

7. Les martyrs du temps présent. — Le fanatisme musulman paraît quelquefois assoupi : mais il a aussi d'épouvantables réveils. On en eut la preuve au xix siècle : en 1860, au Liban, le massacre de 40.ooo Maronites par les Druscs, avec la complicité des Turcs, massacre pendant lequel des missionnaires Franciscains et Jésuites furent immolés avec leur troupeau qu’ils avaient voulu jusqu'à la fin consoleret absoudre (Les Missions catholiques françaises, l. I, p. 826) ; en 1895 et 1896, le massacre de 100.000 Arméniens avec l’approbation du sultan. L’heure où j'écris voit, par des massacres plus effroyables encore, la destruction systématique de cette nation arménienne, qu’on est tenté d’appeler la nation martyre. Combien cependant, parmi tant de chrétiens mis à mort, doivent recevoir, au sens propre du mot, ce titre de martyr ? Nous sommes encore trop proches des événements et trop ignorants des détails pour répondre à cette question : mais on peut penser qu’aux haines de race et aux suggestions de la plus criminelle politique se joignit bien souvent, chez les massacreurs, la haine de la religion chrétienne, et que plus d’un parmi les massacrés, prêtres et laïques, a préféré la mort à une apostasie qui eût pu le sauver. On trouvera dans la Croix du a mars 1916 une correspondance de Rome sur « les massacres qui ont quasi décimé l'épiscopat et le clergé catholique arménien. » (Voir encore, dans la Reyue des Deux Mondes, " février ig16, l’article anonyme intitulé : La suppression des Arméniens. Méthode allemande. Travail turc)

Un épisode peu connu, qui remonte à quelques années, montreque, même dans les parties du monde