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MARTYRE

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Isaac sont mis à mort pour avoir discuté publiquement la religion de Mahomet ; le prêtre Rodrigue et le laïque Salomon sous la fausse inculpation d’avoir embrassé le mahométisme, puis d’être revenus à leur ancienne foi. L’archevêque nommé de Tolède, EcLOGE, qui nous a laissé, entre autres écrits, la relation du martyre de plusieurs de ses contemporains (dans Migne, P. /.., t. CXV), devient martyr à son tour pour avoir aidé de ses conseils et de sa protection une musulmane convertie. Les vierges Nunilo et Alodie, nées d’un père païen, c’est-à-dire musulman, et d’une mère chrétienne, meurent pour avoir voulu embrasser le christianisme. La vierge Aurea, qui avait promis au juge de se faire mahométane, mais n’avait pas tenu sa promesse, et avait continué de vivre en catholique, expie par le martyre cette méritoire violation d’une parole imprudente. Les Passions de ces martyrs ont été publiées par les Bollandistes ; on en trouvera la traduction au tome V du recueil de Dom Lbclercq.

3. Martyres de missionnaires. — Le mouvement des missions, qui, concurremment avec les croisades, mais animées d un esprit un peu dillérent, se développèrent en pays musulmans, fut cause de nombreux martyres, puisque dans ces pays toute propagande chrétienne était interdite. Les Papes l’avaient encouragé de la manière la plus pressante ; saint Louis y portait le plus vif intérêt ; saint François d’Assise avait été l’un de ses initiateurs. « Pourquoi, demandait-il, ne tenterait-on pas de gagner à la vérité ces ennemis redoutables du nom chrétien, qu’on s’acharnait sans succès à combattre ? Que de vies épargnées, si l’on réussissait, et du même coup quelle conquête, quel progrès pour l’Eglise ! Si l’on succombait, on succomberait probablement par le martyre. Or le martyre, c’était la plus grande marque damour donnée à Dieu et aux hommes. « (L. Lb MoNNiKR. Histoire de saint François d’Assise, t. I, 1889, p. 300.) Lui-même qui, au témoignage de saint Bonaventure, desiderabat hostiam Deo se offerre vivenlem, ut et’icem Christo repeiideret et ad divinum amorem cæteros provocaret, essaya plusieurs fois d’aller en Orient pour y porter la foi au péril de sa vie. Son projet ne put se réaliser ; mais il eut la joie de voir, en 1220, l’ordre fondé par lui donner au Christ les prémices des martyrs de la famille franciscaine. Cinq de ses frères, Bérard ou Bérald, Pierre, Othon, Adjuleur et Accurse, aprèsavoirtenté d’évangéliser les musulmans dans le royaume arabe de Séville, moururent décapités au Maroc de la main même du miramolin (ibid., p. 425-434 ; cf. Acia ÂS., janvier, t. II, p. 66-69). Dès l"*- l’impulsion est donnée. Dans une lettre de 1257, le Pape Alexandre II, rendant témoignage au dévouement des Frères mineurs de Palestine, et leur accordant les mêmes faveurs spirituelles qu’aux croisés, constate que plusieurs d’entre eux ont déjà subi le martyre. Après la prise de Saint-Jean-d’Acre par les musulmans, en 1291, les Frères mineurs et les Dominicains restécent en Palestine, mais beaucoup d’entre eux furent martyrisés. Dans le Turkestan, en 1342, sept Frères mineurs et un commerçant génois sont mis à mort pour avoir refusé d’embrasser la religion de Mahomet (L. Bréhier, I : Eglise et l’Orient au Moyen-Age, 1907, p. 372, 277, 283).

Le nord de l’Afrique fut une des régions musulmanes les plus visitées par les missionnaires, et nulle part, au moyen âge. ne coula plus abondammentle sang des martyrs, a Dans la seule année 1261, plus de deux cents Franciscains y avaient été martyrisés par les musulmans, et, peu de temps après, cent quatre-vingt-dix Dominicains avaient versé leur sang

dans les mêmes conditions. » (Marshall, Les Missions chrétiennes, trad. de Waziers, t. I, 1865, p. 47’)- Un Frère mineur de la province de France, le Bienlieureux Livin, est martyrisé au Caire en 1345 (Wadding, Ann. Min., ann. am. 1345, t. VII p. 318-320).

Sur des missionnaires Franciscains, Dominicains, Trinitaires et Mercédaires, martyrisés aux xui’et xiv° siècles dans l’Afrique du Nord, voir J. Message, ouvrage cité, p 19, 29, 31, 45, 50, 76, 84, iio.

A ce mouvement se rattache le souvenir d"un’laïque illustre, un des esprits les plus originaux, mais aussi les plus étranges, qu’ait produits le moyen âge, Raymond Lulle, lui aussi martyrisé par les musulmans.

Il avait appris d’un esclave sarrasin la langue arabe, et c’est en vue de leur conversion qu’il commença, vers 1275, à composer son Ars magna, qui, en ramenant toutes les sciences à l’unité, essayait d’étal)lir les fondements d’une méthode nouvelle. Lui aussi rêvait de substituer à la croisade guerrière une croisade pacilique, qui n’exigeait pas moins d’héroïsme. iiJe vois les chevaliers, disait-il, aller outremer à la Terre Sainte et s’imaginer qu’ils la reprendront par la force des armes, et à la fin tous s’y épuisent sans venir à bout de leur dessein. Aussi pensé-je que cette conquête ne se doit faire que comme tu l’as faite, Seigneur, avec tes apôtres, c’est-à-dire par l’amour, les oraisons et l’elTusion des lai’mes. Donc que de saints chevaliers religieux se mettent en chemin, qu’ils se munissent du signe de la croix, qu’ils se remplissent de la grâce du Saint-Esprit, et qu’ils aillent prêcher aux inlidèles les vérités de la Passion… » En 1285 commence pour lui la vie active.

« Tantôt à Rome, où il essaie de convaincre les Papes

et les cardinaux de la nécessité de créer des écoles de langues orientales, tantôtà Paris, où il combat les docteurs averroïstes, chez les Tartares, en Arménie, en Ethiopie, en Afrique où il discute au péril de sa vie avec les musulmans, partout il déploie une prodigieuse activité et un courage vraiment surhumain. …Lorsqu’il apprend la convocation du concile de Latran en 1311, il croit le moment venu d’exposeren quelques articles toutes ses idées de réforme, et c’est probablement sur ses instances que le concile décide la création de six écoles de langues orientales en Europe. Mais déjà Raymond Lulle a pris contact lui-même avec les Sarrasins. En 1 29 1, il s’embarque à Gênes pour Tunis, et dès son arrivée il se met à discuter avec les mahométans : dénoncé pour sa propagande religieuse, il est expulsé, parvient à se cacher dans une galère pendant trois semaines et y continue son oeuvre de conversion. En 1306. il débarque à Bougie et dès son arrivée sur la grandeplace s’écrie qu’il est prêt à prouver la vérité de la loi des chrétiens et la fausseté de celle des Sarrasins. La foule veut d’abord le lapider, puis on le conduit à l’imand une mosquée avec lequel il argumente ; le musulman lui ayant concédé que Dieu est parfaitement bon, Lulle en déduit toute la Trinité. Pour toute réponse, son adversaire le fait jeteren prison etTylaisse six mois, puis l’embarque sur un navire en partance pourPise. En 13 I 4, il retourne encore à Bougie où il a laissé quelques néophytes, mais bien qu’il ait pris le costume arabe il est reconnu, jugé et exécuté immédiatement. Il avait trouvé enfin le martyre qu’il désirait si ardemment. » (Bréhier, p. 271-272) Lulle respirait encore, quand deux Génois retrouvèrent son corps, parmi les pierres qui avaient servi à le lapider : ils le déposèrent dans un navire, espérant le rapporter vivant à Palma ; mais il mourut en vue des côtes de Majorque, le 29 juin 1315 (Mahius André, Le Bienheureux Raymond Lulle, 1900, p. 209-211 ; voir