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MARTYRE

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pas, dil-il à sa ûlle qui était venue le visiter, que ces bienheureux Pères vont à la mort avec autant de joie que des Uaneés à la eércmonie de leur mariage ? » Cette comparaison se présente d’elle-même aux martyrs de tous les temps. Thomas More eut a supporter

en lui rappel

le décider à obéir aux volontés du roi, mais encore sa aile préférée, Marguerite, presque son égale par l’intelligence et par le caractère, tentait aussi d’affaiblir sa résistance. Il triompha de ces tentations. Les lettres qu’il écrit sur ce sujet à sa lille sont admirables : jamais peut-être la foi, la raison, la conscience ne se sont exprimées en un langage plus ferme et plus rénéchi, plus éloigné de tout emportement et de toute illusion. Devant ses juges, c’est le même langage : More se croit obligé de discuter et de se défendre : le juriste parle en même temps que le chrétien. Inébranlable dans sa résolution, il surveille cependant toutes ses paroles, afin que d’aucune d’elles ses ennemis ne puissent tirer les motifs de le condamner. Mais quand, le 12 juin, eut été prononcée contre lui la sentence de mort, pour avoir refusé de prêter un serment impliquant la reconnaissance de la suprématie ecclésiastique du roi, il reprend alors toute sa liberté de langage. « Durant sept années, dit-il, pendant lesquelles j’ai étudié la question, je n’ai lu dans aucun docteur approuvé par l’Eglise qu’un prince séculier en pouvait et devait être le chef… Ainsi, Messeigneurs, je ne suis pas tenu de conformer ma conscience aux lois d’un royaume, quand ces lois sont contraires à la chrétienté tout entière. Pour un évêque qui est avec vous, j’ai plus d’une centaine de saints qui pensent comme moi ; pour notre Parlement (et Dieu sait de quoi il se compose), j’ai l’approbation de tous les conciles pendant mille ans ; pour un seul royaume, j’ai de nion côté la France et tous les royaumes du monde chrétien. » Le jour de l’exécution, Thomas More voulut revêtir un bel habit, qu’un ami lui avait envoyé. On lui fit observer que cet habit serait pour le bourreau : « Fût-il de drap d’or, répondit-il, je l’estimerais bon à être donné à cet homme, à l’exemple de saint Cyprien qui donna à son bourreau cent pièces d’or. » Arrive au pied de l’échafaud, il dit au lieutenant de la Tour, avec cet humour qui est une des caractéristiques des martyrs anglais : « Je vous prie, aidez-moi à monter ; pour la descente je n’aurai pas besoin de votre aide. » Il lui demanda et à tous les assistants de prier pour lui, et les prit à témoins qu’il mourait dans et pour la foi de l’Eglise catholique. Puis il se mit à genoux, récita le Miserere, et, comme Fisher, posa lui-même sa tête sur le billot. Le roi permit que sa famille lui fit des funérailles décentes. « Le bienheureux Thomas Morus, dit un historien, est presque le témoin idéal de la vérité du catholicisme ; son martyre peut sulTire à ramener à l’Eglise des âmes de bonne foi, parce que, lettré et humaniste, libéral de tendances, il avait étudié durant sept ans un point de doctrine, et sa conviction fut si forte qu’il sacrifia sa vie à cette conviction. » (J. Thézal, p. 150). Sur les sources de la Vie de Thomas More, voir H. Brbmond, Le Bienheureux Thomas More, Paris, 1904, p. v-viii. Dom Leclercq, Les Martyrs, t VII, p. 85-)61, a traduit une partie de la biographie de More par son gendre Roper, et plusieurs lettres du martyr.

e) Beaucoup des martyrs anglais présentent les mêmes caractères. Jusqu’au dernier moment ils veulent croire, comme More, à l’honnêteté de leurs juges, et plaident non coupable, en hommes pour qui la discussion publique n’est pas une chose vaine. C’est

le cas d’un des plus illustres martyrs du règne d’Elisabeth, Edmond Campion, pendu à Tyburn le 1"^ décembre 1581, avec les prêtres Sherwin et Bryant. Anglican converti, entré dans la Compagnie de Jésus après avoir fait ses études tlicologiques au collège anglais de Douai, il avait été envoyé par ses supérieurs en Angleterre avec mission d’y prêcher et d’y administrer les sacrements. Son zèle, les conversions opérées par lui, siguaièrent sa présence : un traître, qui avait assisté à sa messe, le dénonça. Campion avait un remarquable talent de parole et de dialectique. Traduit devant les assises, déjà brisé par la torture, il défendit pendant trois heures sa cause et celle de ses coaccusés, avec autant de calme, de souplesse, une aussi grande fertilité de ijBoyens, que s’il eût été l’avocat d’autrui : ses réponses aux interrogatoires, ou plutôt ses multiples plaidoiries, sont extraordinaires d’à-propos et de sang-froid. Sous des traits semblables nous apparaît le Bénédictin John Roberts, martyrisé le 5 décembre 1610, sous Jacques I", en compagnie du prêtre séculier Sommers. Devant le jury, avant et après la sentence, devant le peuple, au moment de l’exécution, il défend la vérité catholique avec autant de liberté d’esprit que s’il était assis dans sa chaire. Quant au Jésuite Jean Ogilvie, martyrisé le 10 mars 161 4 à Glascow, où il avait reçu cinq abjurations, ses réponses aux interrogatoires que lui fait subir l’archevêque protestant de cette ville, rapportées dans une relation qu’il a écrite lui-même de son procès, sont d’une force et d’une ironie accablantes.

/) L’humour anglais ne les quitte pas, même aux heures les plus tragiques. Comme Jean Ogilvie traversait la ville à cheval pendant son procès, les témoins s’étonnaient de son calme et de sa gaieté, a On ne cesse de rire, dit-il, que lorsqu’on n’a plus la tête SUT ses épaules r>, it is passed jokiiig, wken tlie head’s u/f. Unevieille femme se moque de sa laideur : « Que la bénédiction du ciel descendesur ton joli visage 1 » répond-il ; et la vieille femme se confond en excuses. Pendant que John Roberts attendait au pied de la potence, par un jour de décembre, le moment du supplice, un assistant, pris de pitié, lui olfre un bonnet pour couvrir sa tête : « Ne vous inquiétez pas de cela, monsieur, répond-il avec un sourire ; je n’ai plus peur de m’enrhumer. »

g) Ce qui domine chez les martyrs anglais, c’est la joie de mourir pour leur foi. Cette joie est parfois si visible, qu’elle leur donne des scrupules. « Ne croyez-vous pas que je puis mal édifier par ma trop grande gaieté ? » demande Roberts à une dame qui le visitait dans sa prison. « Non, répond celle-ci, vous ne pouvez mieux faire que de laisser voir à tout le monde avec quelle joie vous allez mourir pour le Christ. » Le mot si anglais, merry, revient sans cesse dans les relations de martyres. Mais cette joie, si visible qu’elle soit, est toute religieuse. Te Deum laudamus, s’écrie Campion en apprenant sa condamnation ; Hæc est dies quam fecit Dominus, exultemus et lætemur in ea. répète en même temps son compagnon Sherwin. Le Bienheureux Bonaventure, des Frères mineurs, martyrisé à Londres le 12 octobre 1642, répond aussi à sa sentence de mort par le premier verset du Te Deum. Le Père Evans, Jésuite, apprenant en prison sa condamnation, prend une harpe qu’on lui avait laissée, et chante en s’accompagnant un cantique d’actions de grâces. Rares sont ceux qui, comme le Bienheureux Thomas Greene, ont peur de la mort ; peur bientôt surmontée, et transformée en une paix et une assurance dont l’humilité du martyr est étonnée.

h) Un trait encore est à noter : jusqu’au dernier moment ces hommes, dont beaucoup sont rentrés