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MARTYRE

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auxquels ne pardonnarent jamais, qu’ils ne passassent le pas tant qu’ils en trouvoient ». (Œiivres complètes de Brantômb, éd. de la Société de l’Histoire de France, t. I, 1864, p. 353) Les lansquenets allemands proclament Luther pape, parcourent les rues de Rome alTublés d’ornements pontificaux, et tournent en dérision les cérémonies sacrées. Ils firent porter à un âne des habits ecclésiastiques, et voulurent forcer un prêtre à donner l’eucharistie à l’animal agenouillé : sur son refus, ils le tuèrent (Gregorovius, Gcschichte der Madt Rom im Mittelaller, t. VIII, Stuttgardt, 1874, p. 5^3). C’est le premier des martyrs de l’eucharistie faits par la Réforme.

b) En dehors de l’Allemagne, l’établissement du luthéranisme, voulu par la royauté avec la complicité de l’aristocratie, rencontra des populations moins favoral)les : aussiyeut-il plus de persécution. Gustave Wasa l’imposa à la Suède par un mélange d’astuce et de violence, malgré la résistance des habitants. Deux cvèques fidèles à l’ancien culte furent, sous prétexte de haute trahison, mis à mort avec d’horribles outrages. Il y eut des massacres decatlioliques en Dalécarlie. En Danemark, Christian II, Frédéric I*’, Christian III, employèrent des moyens semblables ; sous ce dernier roi, tous les évêques furent incarcéi-és, pour les contraindre à se démet-Ire : l’un d’eux, qui refusa, mourut en prison. Les évêques catholiques de Norvège durent s’enfuir pour éviter le même sort. L’Islande se souleva, décidée à repousser la Réforme : un de ses évêques fut mis à mort, comme complice de la révolte ; le peu))Ie, à bout de résistance, finit par accepter le culte luthérien. Pendant plus de deux siècles le catholicisme demeura ofliciellement proscrit dans les Etats Scandinaves, et les lois continuèrent à prononcer contre les contrevenants la confiscation et même, dans certains cas, la mort (Tueiner, La Suède et le Saint-Siège, Paris, 18^2 ; Martin, Gusta^’e Wasa et la liéforme en Suède, Paris, 1906 ; Crouzil, Le Catholicisme dans les pays Scandinaves, Paris, 1902 ; Pas-TOR, Geschichte der Piipste, t.’V, Fribourg en Brisgau, 1909, p. 692-695). « De notre temps — lisons-nous dans un livre publié en 1876 — la France catholique a dfi donner l’hospitalité à des Suédois coupables d’être revenus à la foi de leurs pères, exilés et dépouillés pour cette foi. » (Lbscœur, L’Eglise catholique en Pologne, t. I, p. 282)

3. Le calvinisme. — Repoussé dans la plu" part des principautés allemandes, le calvinisme fut, à partir du milieu du xvi° siècle, à peu près seul professé par lesRéformésaux Pays-Bas et en France.

a) Les excès des « Gueux de mer » dans les I^ays-Bas furent horribles. « C’étaient, au dire même des protestants, les plus abominables pirates de tous les temps… Leur cupidité était sans égale ; sous prétexte de faire retentir en tous lieux leur cri de guerre : « La parole de Dieu d’après Calvin I » ils saccageaient les églises et les couvents et faisaient subir de tels traitements aux religieuses que l’histoire des peuples offre peu d’exemples de semblables atrocités. » (Kkrvin de Lettknhove, Les LLuguenots et les Gueux, t. II, Bruges, 1883, p. 408) D’épouvantables profanations accompagnaient le sac des églises : à’Velane, après un festin offert aux soldats sur les ruines de l’une d’elles, on fait manger à un perroquet des hosties consacrées (Jansskn, t. IV. p. 2^3). A Enkhuisen, cinq Franciscains sont mis à mort : le chef de guerre qui prononça la sentence est un prêtre apostat (Mkuffhls. Les martyrs de Gorcum, Paris, 1908, p. 46). « Qu’a fait cet homme ? » crie une femme en voyant conduire un Chartreux au supplice.

« Ce qu’il a fait ? » répond avec fureur un Gueux de

l’escorte, « c’est un moine, un papiste ! » Quand la ville de Brielle eut été prise par les Gueux, le i’"' avril 1572, « les églises furent pillées, les images abattues, les prêtres et les moines persécutés », dit un historien (T. JusT, Les Pays- lias sous Philippe II, t. II. Bruxelles, 1855, p. 5g2). L’expression est faible : la vérité, c’est que tous les ecclésiastiques qui ne suivirent pas le honteux exemple donné par le curé de la ville, et refusèrent d’abjurer, furent mis à mort.

« Au sac du monastère de’TenRugge, les Gueux trouvent

un religieux qui n’a pu fuir. Comme il refuse de crier : « Vivent les gueux ! » ils le massacrent. Mais avant de le tuer, ils lui coupent les deux oreilles, qu’ils vont clouer l’une à la porte de la ville, l’autre à celle de l’église. Quelques jours plus tard, le } avril, ils mettent à la potence Henri Bogaart, curé de Hellevoelsluis, après lui avoir coupé les extrémités des mains et des pieds. Un autre prêtre est tombé au pouvoir des vainqueurs. II s’appelle Vincent et il a quatre-vingt-cinq ans. Ils lui enfoncent dans la tête une couronne d’épines et le chargent d’une croix fabriquée à la hâte avec deux poutres. Ils le lient ensuite sur un char dont les soubresauts achèvent de briser le corps du vieillard. Enfin ils mettent un terme à ses tortures en le suspendant à la potence. Citons encore, parmi les autres victimes immolées à Brielle, Corneille Janssen, curé de Firmærtprès de Bergen-op-Zoom, Mathias Pacianus, curé d’Eclo, et un chanoine de Brielle, Bervout Janszoon. Ce dernier a refusé de céder sa maison à la concubine de l’apostat. Jean d’Ornal. Celui-ci, ancien chanoine de Liège, le fait enlever de nuit et, sans l’ombre d’un procès, le fait mettre à la potence avec trois prêtres et un la’ique. On coupe la corde pendant qu’ils vivent encore, on les jette dans un puits rempli de vase où, avant d’expirer, ils luttèrent encore de longues heures avec la mort. » (Mkufl’KLs, p. 54) On compte, lors de la prise de Brielle, cent quatre-vingt-quatre prêtres décapités ou brûlés vifs ; dix-neuf autres moururent pendant la torture. (Janssbw, t. IV, p. 339)

Trois mois plus tard, le 2 juillet, périrent ensemble dans la même ville dix-neuf ecclésiastiques — onze Franciscains, un Dominicain, deux Prémontrés, un chanoine régulier de Saint-Augustin, quatre prêtres séculiers — capturés par les Gueux à Gorcum, et conduits à Brielle pour y être exécutés. Leurs Actes ont été écrits par un contemporain, Guillaume Estius, professeur à l’université de Douai, à l’aide des notes qu’ilavait recueillies l’année même du martyre (reproduits, d’après la traduction française de 1606, au tome VII du recueil de Dom Lrclkrcq, p. 21 6-35 1 ; ils forment le fond du livre déjà cité de MEUFFBLS, /’, e. « martyrs de Gorcum).

En les lisant, on reconnaît, une fois de plus, que si tous les martyrs se ressemblent par le courage, ils sont loin d’être coulés dans un moule uniforme. Les traits diffèrent selon les personnes et aussi selon les pays et selon les temps. Quand la persécution dure depuis des années, ceux qu’elle atteindra ont eu le temps de^e’y préparer ; quand elle éclate à l’improviste, bien des saillies individuelles s’y montrent, qui n’ont pu être prévues ou d’avance corrigées. Plusieurs des martyrs de Gorcum vont à la mort sans enthoiisiasme : ils tremblent jusqu’au dernier moment. On voit même, au pied du gibet de Brielle devant la poutre où, dans une misérable grange, vont tout à l’heure se balancer dix-neuf corps, deux desplus jeunesreligieux supplier les bourreaux de couper leurs liens et de les laisser fuir. Mais quand, à ceux qui semblent refuser ainsi le calice, les bourreaux offrent leur grâce à condition d’apostasier la foi catholique, ils se redressent et acceptent