Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/181

Cette page n’a pas encore été corrigée

349

MARTYRE

350

sponte pei’enimiis, ne libertas iiostra ohduceretur, ideo animas nuslras addiximui, disent en entrant dans l’amiihithéàtre les martyrs de Carthage (^l’assiu SS. Perpetuae, Feticitatis, etc., xviii).

3. Le nombre des martyrs. — « )I1 est impossible de tenter à ce sujet une statistique quelconque. On a jadis essayé de le faire. « lliud ex pruhatls auctoribus deduco, écrit au xvie siècle le P. I’lohks, in Ecclesia numerari undecim martynim milliones, et eo pliires ; ita ut qualihet anni die, si in omnes distrihtiantur, coli pussint plus qiinm triginia millia (De inclylo agone martynim, 1. IV, c. m). » Il cite, comme ayant par leurs recherches établi ce calcul, deux religieux du même temps, le P. François Arias et le P. Genebraru. On a cru pouvoir, sur le iiombre, attribuer à la seule ville de Rome deux millions et demi de martyrs (Gaumk, Les trois Home, Paris, 1848, t. IV, p. 5gi). Ces calculs ne reposent sur aucune base, et ces chiffres, répétés quelquefois encore, sont dénués de valeur historique. Mais si l’on doit se garder d’assertions sans preuves, l’excès en sens contraire ne serait pas moins opposé à l’histoire.

h) La thèse De paiicilate martrriim, soutenue pour la première fois en 1684 par l’anglais DoownLL.aété tout de suite réfutée par Ruinauï (Préface aux Jeta sincera, 168g). Elle reparut, en 1776, dans le tome I du grand ouvrage de Gibbon : d’après lui, il n’y aurait eu aucune persécution générale avant celle de Dioclétien : celle-ci même ne lit pas deux mille martyrs : le petit nombre des chrétiens qui furent })ersécutés auparavant l’avaient été pour des causes particulières (/>ef/i «e and Fall of tlie liom. Empire, c. xvi).Mème denos jours elle a laissé quelques traces âans l’Histoire des Persécutions AeH. XvBK (18751881), auquel Renan (Journal des Sax’anfs, 1874, p. 697) a reproché cette erreur. On la trouve ailirmée de nouveau dans le quatrième volume (1884) du livre passionné et partial d’Ernest Havet, Le Christianisme et ses origines. Mais elle est abandonnée mainlenant par lesérudits sérieux. Il n’est plus personne qui ne souscrive à ce jugement sensé et modéré de Boissibh : « Qu’on se remette devant l’esprit cette suite non interrompue de témoignages ; qu’on songe qu’en réalité la persécution, avec plus ou moins d’intensité, a duré deux siècles et demi, et qu’elle s’est étendue à l’Empire entier, c’est-à-dire à tout le monde connu, que jamais la loi contre les chrétiens n’a été complètement abrogée jusqu'à la victoire de l’Eglise, et que, même dans les temps de trêve et de répit, lorsque la communauté respirait, le juge ne pouvait se dispenser de l’appliquer toutes les fois qu’on amenait un coupable à son tribunal, et l’on sera, je crois, persuadé qu’il ne faut pas pousser trop loin l’opinion de Dodwell, et qu’en supposant même qu'à chaque fois et dans chaque lieu particulier il ait péri peu de victimes, réunies elles doivent former un nombre considérable. » (La fin du Paganisme, 1. 1, Paris, 1911, p. 45^)

c) Sens tout relatif d’un texte d’Origène. — Nous devons, cependant, discuter la question de plus près. La thèse du petit nombre des martyrs de l’Empire romain s’appuie sur une parole d’ORiGKNE. Il est facile de montrer : i" que cette parole n’a pas le sens absolu qu’on lui prête ; 2" que, même si elle devait être prise à la lettre, elle ne s’appliquerait qu'à une époque restreinte de l’histoire des persécutions.

Origiîne écrit (Contra Celsum, III, vin) : « Ceux qui sont morts, parintervalles, pour la foi chrétienne ont été peu nombreux et sont faciles à compter, ôXi’yot zy.rà r.a.ipoxji r.a.'i cfjipry. £i)xp16/j.YiTrji, car Dieu ne

voulait pas que la race des chrétiens fût anéantie. » Origène parle ainsi en 24g (sur la date du Contra Celsum, voir P. Baih l’OL, Anciennes littératures chrétiennes, La littérature grecque, Paris, 1897, j). 176), quand il n’y avait encore eu que des « persécutions l)articlles » et que les « persécutions générales > n'étaient pas encore commencées (Comm. séries in Matlhæiim, xxxix). Cependant, même ainsi expliquée, la phrase d’Origène ne peut être acceptée sans réserve. Harnack, en rappelant une parole de saint Irénée, antérieure de près d’un demi-siècle : Ecclesia omni in Inco miiltiludinem martyrum in omni lempore præmiltit (Adf. Ilæres., IV, xxxili, g), nous avertit de ne pas exagérer, a nicht zu ûberschatzen », le sens d’Origène (Mission und Aiisbreitung des Chrislenthums, 1' éd., Leipzig, 190O, t. II, p. 403).

RuiNART avait déjà montré que ce sens est tout relatif. D’autres paroles du docteur alexandrin supposent, au contraire, un grand nombre de martyrs.

« Beaucoup, -noy/r, ; , dit-il au livre IV du Contra Celsum, sachant, à notre éjjoque, qu’il leur faudra mourir s’ils confessent le christianisme, et qu’ils seront

absous s’ils le renient, ont méprisé la vie et choisi volontairement la mort. i> Des contradictions du même genre, explicables par les points devue différents où l’auteur se place tour à tour, se rencontrent en d’autres endroits du même traité (1, lvii ; III, IX, xv ; VllI, Lxviii, Lxix). N’oublions pas que celui-ci est une réponse à Celse, et que Celse avait écrit, soixante-dix ans plus tôt, en témoin véridique des violences exercées de son temps contre les chrétiens, et en partisan résolu de ces violences : « S’il reste encore quelques chrétiens, errants et cachés, on les cherche pour les détruire. » Même en admettant que cette phrase présente quelque exagération dans un autre sens, on devra se souvenir qu’Origène, qui la cite, ne la conteste pas.

d) Grand nombre des martyrs dans les deux premiers siècles. — Pendant la période de temps qui va du milieu du premier siècle au milieu du m", et précède les trois persécutions générales, combien d’autres témoignages obligent à conclure que le nombre des martyrs a déjà été très grandi Sous Néron : Tacite et saint Clkmknt de Rome emploient l’un et l’autre, pour désigner les victiniesdu massacre de 64, la même expression, multitudo i n gens (A nn., XY, Ti.i, [), r.oj.u -njfflci (Ad Cor., vi). Sous Domitien : saint Jean montre Rome a enivrée du sang des martyrs », et ce même sang coulant en Asie (Apoc, vi, 9-1 1 ; xvii, 6). Sous Trajan : la correspondance de Pline indique de nombreux martyrs de Bithynie, et celle de saint Ignace fait voir la persécution sévissant à la fois en Orient et en Occident. Sous Hadrien : un rescrit et des lettres de l’empereur montrent les chrétiensvictimes de violences populaires en Asie, et le livre du Pasteur, écrit à Rome, fait allusion aux supplices de ceux qui refusent de renier leur foi (Sintil., IX, xxviii, 4 ; Visio III, II). Sous Anlonin le Pieux : saint Justin montre les chrétiens mourant par la hache, par la croix, par les bêtes, par le feu (I)ialog. cum Tryph., cxi ; 1 Apol., xi, 2 ; xxxix, 3 ; XLV, 5) ; le médecin Gai.ikn, ((ui habitait Rome, parle de leurcourage. <( dont nous avons des exemples sous les yeux » ; le satirique Lucien dit que « beaucoup, ol TK'ùoi, parmi les chrétiens méprisent la mort et se livrent volontairement à elle ». (De morte Peregrini, xvi)

Les historiens impartiaux reconnaissent aujourd’hui que le règne de Marc Aurèle vit couler plus de sang chrétien que ceux des premiers Antonins (voir Lagrange. Marc Aiircle, dans Revue Biblique, oct. 191 3, p. 575, 598, 583) : son mot à lui-même sur « le faste tragique des martyrs » suppose, chez l’empereur philosophe, l’expérience quotidienne de la