Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/169

Cette page n’a pas encore été corrigée

325

MARIOLATRIE

326

délivrance réelle de l’enfer. Je cite à titre d’exemple les récits de jugements retracés par sainte Bhigiïtb {Révélations, lib. VI, cap. xxxix, et surtout, lib. VII, cap. xiii). Us ont ensuite admis la possibilité théorique d’une suspension de jugement : l'àme séparée de son corps n’a subi aucune sentence, aucnne condamnation, et à la prière de Marie, elle ranime quelque temps le corps, alin que soit donné au ressuscité le temps de la pénitence. L’explication satisfait à la fois la justice de Dieu et sa miséricorde ; elle concilie sa haine du péché et son amour pour le pécheur.

D’autres hypothèses moins heureuses ont été rejetées : elles supposaient une condamnation déjà prononcée mais provisoire.

De tout cela, que reste-t-il ? La possibilité théorique pour des causes supérieures, dont la Sagesse de Dieu reste juge, d’une suspension de jugement. Or pareille doctrine peut être enseignée en l’Ecole, ou prêchée pour montrer l’exlrème charité de Marie, l’extrême bonté de Dieu, quia pu aller jusqu'à accorder ces répits suprêmes ; mais ses partisans même ont toujours soin d’ajouter : « Ne comptez pas qu’il en soit ainsi pour vous. » Le P. Cras9Bt(/. cp. mi et suiv.), qui a cru devoir insister sur tout cela, écrit : C’est une vérité de foi que, pour être sauvé, il ne sullit pas de servir la Sainte Vierge… : Il faut encore faire pénitence… Je dis même à ces faux dévots… : Si vous ne gardez pas les commandements… vous serez infailliblement damné… Elle (la Sainte Vierge) se moquera d’eux au jour du jugement. Les dévots présomptueux ne peuvent i)rétendre à ces grâces (ci-dessus) parce qu’ils ne sont pas véritables serviteurs de la Vierge. » (Voir aussi p. 117. De fait, quel chrétien, pour lâche qu’on le suppose, mettra ces interventions d’outre-tombe parmi ses motifs d’espérance ? (Cf. BounASSB, Summa, l. c, t. V, col. 1^5 ; Beissel, 1. 1, p. 36^ ; Terrien, /. c, t. IV, p. 353, note).

2" Disposition pour juger de bonne foi la- dévotion catholique à la Sainte Vierge. — On devrait :

A. — Tenir compte du tempérament, de la nationalité, du style, du genre littéraire des écrivains.

Peut-on exiger qu’un Italien du xviii' siècle, écrivant en italien, pour des Italiens, s’exprime comme un Anglais, écrivant au xx" siècle pour des Anglais ? Il emploiera, surtout s’il est quelque peu orateur ou poète, des comparaisons, des métaphores qui pourront choquer notre goût, qu’il nous est loisible de trouver fâcheuses, mais que nous n’avons pas le droit de condamner comme des blasphèmes.

Qu’on note d’ailleurs que ces écrivains sont préoccupés de ne jamais blesser le dogme et qu’ils prennent soin eux-mêmes de préciser leur pensée (voir par exemple comment Cajetan explique lui-même sa formule : Marie aux conlins de la divinité ; cf. Terrien, t. I, p. iCi ; Largent, /. c, p. 83 ; certains exemples apportés par Trombelli, Z)e cultu publico…, Summa auiea, t. IV, p. I12).

B. — Remarquer que ces auteurs catholiques écrivent pour des catholiques, et donc sont sûrs d'être entendus à demi-mot. Entre gens de la même maison, de la même famille, on n'éprouve pas le besoin de veiller sur chaque parole ou de préciser la portée de chaque terme. Tous parlent la même langue, et la comprennent avec le même cœur. Quand donc nos auteurs catholiques appellent la Sainte Vierge « Espoir du monde », quand nos lidèles, dans le Salve Segino, crient vers elle, soupirent vers elle, l’appellent avocate, mère de miséricorde, leur espérance ; quand dans VAlma, ils la prient d’avoir pitié des pécheurs, nul ne s’y trompe. Ils savent leur catéchisme. Le plus petit de nos enfants, la plus humble de nos bonnes femmes se révolteraient à la

seule idée de mettre sur le même pied le culte divin de la Sainte Eucharistie, « où est le bon Dieu », avec celui de la ci Bonne Vierge u (Nkwman, /. c, p. 96). Faute de connaître cette psychologie, pourtant élémentaire chez nous, on arrive, comme les premiers prolestants, à errer misérablement (Summa aurea, t. IX, col. 155 ; voir Cuemnitz : Exaininis concilii Trideniini opus integrum, Francfort, 1586, III » pars, p. 134). L’indignation de Littlkuale contre les « blasphèmes)j de saint Liguori, les passages de la Healencyclopudie (t. XU, p. 326) sont parfois douloureusement comiques. Littledale en vient à souhaiter que nos pauvres enfants s’examinent, avant la confession, sur le culte exagéré qu’ils ont pu rendre aux images 1 Quand pareil scrupule sera la seule matière des aveux, nous pourrons utilement, nous autres prêtres, chercher occupation plus utile que des séances de confessionnal.

C. — Ensuite, et cette remarque de Newman est profonde, nos critiques oublient que, dans l’expression de l’amour, il est un certain langage que la raison seule et sèche n’entend pas, mais qui cesse de paraître extravagant, mais qui devient logique et sublime, si on lereplace dans son cadre d’amour, langage d’amour qui ne sera intelligible qu'à ceux qui aiment. Quand donc Herzog raille le « bon moine Bernon qui s’intitulait le vil esclave de la Mère de Dieu », ou le a frère de Pierre Damien qui s’enchaînait au service de Marie » (/. c, p. 81), il se croit évidemment très fort au-dessus de ces « bons moines », mais il montre aussi combien courte, combien vulgaire est sa psychologie (cf. Newman, 1. c. p. 80).

D. — Enfin, et pour juger nos dévotions catholiques, les dévotions de l’Eglise, c’est dans les livres, dans les ouvrages approuvés par l’Eglise, je dis plus, devenus presque banalement classiques dans l’Eglise, qu’il faut se documenter, et non dans je ne sais quelle littérature dévote et souvent niaise, fûtelle parfois — surtout à certaines époques — revêtue d’un imprimatur isolé. Par conséquent, est-il sérieux, comme le font, malheureusement, le Dictionary 0/ the Bible de IIastings, la Healencylupàdie

et tant d’autres, de collectionner des racontars

ou de très authentiques faits de superstition — et de voir, dans ces folies, la doctrine ou la pratique de l’Eglise ?

Qu’on veuille bien consulter l’admirable Livre du chrétien ou le Garden of the Soûl, la Key of lîeaven et l’on y cherchera vainement les erreurs ou les pratiques incriminées.

Est-il raisonnable encore de condamner en bloc certaines manifestations de piété où s’agitent des milliers de personnes, parce qu’un geste incorrect ou inesthétique a été esquissé par l’un des assistants, et réprimé souvent ? Ne devrait-on pas plutôt admirer l’ordre, le calme, la dignité de l’immense majorité de nos pèlerinages, des « foules de Lourdes » en particulier ?

Sur tout cela, voir les réflexions si sages et si modérées de Canisius (Summa aurea, t. IX, col. 334 ; aussi Newman, l. c, p. loi).

3° Constatation d’abus.

Ces remarques faites, constatons les abus : il en a existé (rappelez-vous les Collyridiennes), il en existe sans doute, et il en existera, nous n’avons pas besoin des hautaines déclamations des protestants ou des incrédules pour nous l’apprendre. Des saints et des meilleurs, des théologiens et des plus marquants les ont stigmatisés dès qu’ils les ont constatés, et même dès qu’ils les ont redoutés. Le très pieux Canisius l’accordait (Ve Maria Deipara, dans BouRAssÉ, l. c, t. VIII, 518), Petau n’en faisait pas mystère (Dogmata, éd. Vives, t. VII, p. 85),