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MARIE — INTERCESSION UNIVERSELLE

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jour <le la Pentecôte ; mais qu’est-ce que cela fait à la Rédemption et à notre salut ? Saint Paul n’exclut-il pas expressément tout autre médiateur que Jésus ; saint Pierre ne dit-il pas en propres termes qu’il n’y a pas pour nous d’autre nom de salut que celui de Jésus ; Jésus lui-même n’a-t-il pas assez fait entendre à sa mère, en plus d’une circonstance, qu’elle n’avait pas à se mêler de ses affaires dans les choses de son Père, dans son œuvre de thaumaturge ou de rabbi ? Us concluent à lui faire le moins de part qu’il est possible, comme si donner à Marie c'était ôlcr à Jésus.

Tout autre est l’enseignement de l’Eglise depuis ses origines jusqu'à nos jours, tout autrement signilicatives les indications que sait trouver dans l’Ecriture, à la lumière de la vérité vivante qu’elle porte en elle-même, la dépositaire infaillible de la vérité chrétienne.

Voici en quels termes le cardinal Billot formule cet enseignement :

« De la Vierge mère. il faut dire, en général, qu’elle

tient dans l’ordre de la réparation la même place qu’Eve dans l’ordre de la ruine ; car, comme nous l’enseigne la prophétie insigne de la Genèse, toute l'œuvre rcdemplriceest une sorte de revanche contre le démon, et tout ce que Satan avait imaginé pour nous perdre. Dieu l’a retourné pour notre salut ; ainsi, au nouvel Adam qui est le Christ, il fallait tque fût inséparablement unie, pour ruiner l'œuvre du diable, une nouvelle Eve, qui est Marie. » (De Verbo incarnato, 3' édition, th. xxxix, p. 350, Rome, 1900.)

Je ne m’attarderai pas à prouver cette thèse. Le P. Billot le fait très bien par l’Ecriture, et le P. Terrien par la tradition chrétienne. D’ailleurs, quiconque s’est occupé de la question sait assez que, s’il y a une doctrine claire dans l’Eglise, c’est celle de la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam. Mais on peut chercher à savoir ce que contient exactement cette idée, et comment on peut rattachera la maternité divine des prérogatives qui n’ont rien d’analogue dans les maternités ordinaires.

Admettons donc le fait comme donné par la tradition chrétienne :.Marie a eu sa part avec Jésus dans l'œuvre de notre rédemption, et son action est regardée par l’Eglise comme se prolongeant à travers les siècles dans la distribution des grâces, dans la sanctification et le salut de tous ceux qui se sancliUent et qui se sauvent. Mais comment s’explique cette tradition'.' Comment a-t-on entendu cette action et son prolongement dans l’histoire surnaturelle de l’humanité? Comment les Pères, partant de la coopération de Marie à l’Incarnation de Jésus, arrivent-ils à la médiation de Marie dans la distribution des grâces et dans notre salut ? Xe semble-t-il pas qu’il y ail là un sophisme inconscient, une fausse application de l’axiome : Causa causæ est causa causati ?

Pour nous rendre compte de la difficulté, relisons dans un bréviaire, d’avant igiS, à l’octave de la Nati%'ito, quelques fragments d’une homélie qui, si elle n’est pas textuellement de saint Cyrille, reproduit cependant sa pensée : « A vous aussi, sainte Mère de Dieu, louange. Car vous êtes la perle précieuse de l’univers ; vous êtes le flambeau qui ne s'éteint pas, la couronne de la virginité, le sceptre de la foi orthodoxe, le temple qui ne croule pas. contenant celui que rien ne saurait contenir ; Mère et Vierge par qui est béni, dans l’Evangile, celui qui vient au nom du Seigneur. Par vous est glorifiée la sainte Trinité, par vous célébrée la croix précieuse, et adorée dans tout l’univers. Par vous le ciel tressaille, les anges et les archanges sont dans la joie, les démons tremblent et l’homme lui-même est

rappelé au ciel. Par vous toute créature, captive dans l’erreur idolâtrique, a été amenée à la connaissance de la vérité, et les fidèles sont arrivés au saint baptême, et dans tout l’univers ont été fondées des églises. Avec votre aide les nations viennent à la pénitence. Bref, par vous, le Fils unique de Dieu, la lumière véritable, a brillé pour ceux qui étaient assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Par vous les prophètes ont annoncé l’avenir, par vous les apôtres ont prêché le salut aux gentils. Qui pourra célébrer vos louanges, ô Marie, Mère et Vierge ? » Cyrille et les autres Pères avec lui ne confondent-ils pas la coopération lointaine avec la coopération directe et prochaine, ne passent-ils pas trop facilement de l’Incarnation aux effets de l’Incarnation ?

On peut répondre que les Pères avaient l’idée, au moins implicite, delà coopération de Marie à l'œuvre rédemptrice tout entière, à notre salut et aux grâces par lesquelles nous nous sauvons, non moins qu'à l’Incarnation qui est le commencement du salut ; l’idée aussi du lien entre sa coopération à l’Incarnation et sa coopération à toute l'œuvre surnaturelle de Dieu dans le monde. Ainsi s’explique tout naturellement leur langage ; et d’ailleurs, ils s’en sont expliqués eux-mêmes en termes qui ne laissent aucune place au doute. Mais on peut répondre plus directement, en entrant avec eux dans l’intime du plan divin.

Avec nos habitudes d’analyse, si utiles d’ailleurs et parfois nécessaires, nous sommes portés à regarder comme choses distinctes l’Incarnation, les différents mj’stères de Jésus, la Rédemption, les grâces qui nous préviennent et nous sanctifient, le salut enfin. Et ce sont choses distinctes, en effet, à ne regarder que l’exécution et les causes secondes. Mais, dans le plan divin, ce ne sont là que des par ties d’un même tout, qui est l'œuvre rédcinpirice. L'œuvre rédemptrice est une dans l’intention divine, notre salut par Jésus ; l’Incarnation et les dilférenls mystères du Christ ne sont que pour la Rédemption, la Rédemption n’est que pour notre salut. Œuvre unique en partie double. Il y a l’Incarnation, la vie et la mort de Jésus pour nous racheter, nous réconcilier, nous mériter toutes les grâces qui seront départies à chacun de nous quand viendra notre tour de défiler devant Dieu sur la scène du monde ; et il y a toutes les grâces particulières qui nous sont préparées en vue des mérites de Jésus pour nous amener du péché, où nous sommes conçus, jusqu’au ciel, où nous devons appartenir éternellement à la plénitude du Christ : grâces multiples et infiniment variées qui forment la trame de la vie surnaturelle et de l’action divine dans les âmes.

On ne saurait trop insister sur cette unité de l'œuvre rédemptrice. Il y a là notamment une grande lumière pour comprendre le langage des Pères qui nous étonnait tout à l’heure, et pour nous faire une idée exacte du rôle de Marie dans la Rédemption.

S’il est acquis, en effet, que Marie a sa part à côté de Jésus dans Vieuvre rédemptrice, elle a, par là même, sa part dans notre sanctification et dans notre salut, donc aussi dans toutes les grâces qui nous sont données eu vue du Rédempteur : tout cela, c’est Vceuvre rédem/jlrice.

Et tout cela se rattache immédiatement à la maternité divine. Pour tout expliquer, il suffit de nous reporter au moment de l’Incarnation. Qu’est-ce que Dieu propose à Marie par l’ange Gabriel ?.'^ur quoi porleleoui’de Marie aux propositions divines ? Quelle affaire se négocie entre l’envoyé céleste et l’humble fille de David ? Est-ce chose d’ordre privé, si je puis dire, laquelle d’ailleurs aura son contre-coup sur l’humanité tout entière ? Demande-t-on uniquement