Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/14

Cette page n’a pas encore été corrigée

15

LOI ECCLÉSIASTIQUE

16

terre, dégagé des préoccupations temporelles, chaste comme la Vierge mère, parce que, comme elle, il rend présent et donne au monde l’Hostie sans tache. L’Ecriture I sainte suggérait les traits qui conviennent au sacerdoce : « Celui qui n’est i)as marié a souci des choses du Seigneur, il cherche à plaire au Seigneur ; celui qui est marié a souci des choses du monde s (I Cor., vii, 3-2-33). » Le soldat de Dieu ne s’embarrasse pas d’affaires séculières » (II Tim., ii, 4). Je traduis d’après la Vulgale, et non d’après l’original grec, parce que c’est sous sa forme latine que ce texte exerça son influence sur la discipline occidentale. Le Saint-Esprit lit en sorte que, dans la conscience du peuple et surtout des pasteurs, le type du vrai prêtre devint très net et ne subît plus de déformations. De là, dans la législation canonique, la persistance d’ordonnances périodiquement renouvelées, se répétant d’âge en âge comme un écho qui se prolonge et rebondit sans lin. Au total, la discipline ecclésiastique est en général plus fidèle à elle-même, moins sujette à de brusques volte-face, que ne le sont la plupart des législations profanes.

a*" — Plus encore que l’immutabilité, la sainteté de la société chrétienne se manifeste dans son droit, à telle enseigne que cette note de la véritable Eglise ne peut être bien comprise qu’après une étude de ses lois et de leurs effets.

Négativement, d’abord, jamais les Papes, les conciles ni la coutume n’imposèrent au monde catholique aucune mesure contraire à la morale. Si des déviations ont pu se produire dans les règlements locaux, elles n’ont pas fait fféchir la discipline universelle. Il est à peine besoin de rappeler que les législateurs laïques ne sont pas toujours aussi scrupuleux, et c’est pourquoi l’Eglise, avant de leur emprunter leurs créations, a soin de les vérifier et de les choisir. Elle ne permet aux sources profanes de mêler leurs eaux au fleuve canonique qu’après épuration et filtrage. Ainsi l’admiration naïve et entliousiaste des clercs pour le droit romain ne les entraîne jamais jusqu’à canoniser la notion antique de l’esclavage, d’après laquelle les servi et les mancipia étaient des choses, non des personnes (Gaius, ii, 14 : Est etiam alia rerum divisio : nam aut mancipi sunt aut nec mancipi. Mancipi sunt… servi et ea animalia quae coUo dorsove domari soient… Cf. Dig., IV, v, fr. 3,

i ; L, XVII, fr, 32). L’Eglise, au contraire, a toujours reconnu que les esclaves, sujets de droits, étaient capables de contracter un mariage valide (cf. Pltilosophumena, IX, xii, P. G., XVI, 3386 ; G. xxix, qu. 2, c. I, 2, 6 ; Paul Allard, Les Esctæs chrétiens, 1. ii, chap. IV ; Dict. apol., v" Esclavage, col. 1477, i, ’186 ; DuTiLLEUL, Dict. de théol. cathol., v° Esclavage, col. 468), et l’on sait assez que ce fut en grande partie grâce à son influence que s’opéra leur émancipation progressive. (Paul Allard, Les Esclaves chrétiens, Résumé et Conclusion. Dict. apol., passini ; DuTiLLEUL, loc. cit., col. 470 sqq).

Le régime des contrats, tel que l’avaient organisé les jurisconsultes classiques, était dans l’ensemble une œuvre de justice ; tout n’y était cependant pas irréprochable ; aussi l’Eglise, en l’adoptant, prit-elle soin de l’amender : elle prohiba l’usure, et même la stipulation d’intérêts à quelque taux que ce fût (D. XLVii, c. 2, 5 ; C. XIV, qu. 4. c. 2, c. 8 ; X. v, ig, etc.), alors que la République et l’Empire avaient admis le prêt à 12 p. 100 (Cf. F. Baudry, Dictionnaire des antiquités, o Foenas, p. 1226 ; Cco, Institutions juridiques des Ilomains, t. II, p. 387) ; elle s’affranchit du formalisme, trait essentiel de la technique romaine qui, en principe, refusait de sanctionner les conventions non revêtues des solennités légales ou ne rentrant pas dans certains cadres

(Dig. II, XIV, fr. 7, § 4 : Nuda paclio obligationem non parit. Cf. XIX, v, fr. 15), et elle reconnut la force obligatoire des simples pactes, « si nus qu’ils fussent .) (X. I, 35, c. I : Pacta quantumcumque nuda servanda sunt ; c. 3. Cf. Viollet, loc. cit., p. 600).

N’exagérons rien cependant, et n’allons pas nous imaginer l’Eglise, dès les premières années de son existence, fulminant l’anathème contre tous les abus. Ellle y eût inutilement compromis son autorité naissante. Elle prit donc souvent le parti de se taire, et s’inclina parfois devant des situations étranges, qu’elle n’était pas encore à même de réformer. Mais les textes montrent que jamais ses canons universels n’approuvèrent la moindre infraction au droit naturel, et qu’elle s’efforça peu à peu de ramener les peuples au strict respect de la morale.

Il y a plus : le droit canon, considéré dans son ensemble et surtout dans ses statuts les plus originaux, les plus spécifiquement ecclésiastiques, représente un immense effort pour promouvoir la vertu, disons mieux, la sainteté, et parfois l’héroïsme. Ce n’est en définitive qu’un des instruments dont se sert l’Eglise pour faire son œuvre au milieu du monde, c’est-à-dire pour le sanctifier et le sauver. Cette action est efficace, et si elle ne réussit pas à supprimer tous les vices, elle contribue du moins à élever sensiblement le niveau moral de l’humanité.

Voici, en premier lieu, les empêchements de mariage. L’énumération en est longue, la casuistique compliquée, et de nombreux évoques, au concile du Vatican demandèrent des simplifications (CoH. Lac, t. VII, col. 842, 873, 877, 880 sqq., 882, etc.). N’empêche que cette législation procède de pensées très hautes, et qu’elle concourut à donner aux fidèles une grande idée du contrat matrimonial. On respecte davantage un acte que l’Eglise entoure de précautions si multipliées ; une retenue salutaire préside aux relations de famille, quand les jeunes gens que rapproche la parenté ou l’alliance n’ont plus l’espoir de réparer par une union légitime les fautes que leur suggérerait la passion (Cf. Instr. Card. Rauscher, 4 mai l885, § 81, Coll. Lac, t.V. col. 1297).

La discipline à laquelle est soumis le clergé mérite une attention spéciale. J’en ai dit un mot déjà pour en indiquer la stabilité ; il est temps d’en remarquer la sainteté. Tous les Etats donnent des instructions à leurs agents ; mais que leur demandent-ils ? L’exactitude à bien remplir leurs devoirs professionnels, peut-être une certaine tenue extérieure, un décorum de bon ton, et c’est tout. Aucun gouvernement ne pénètre dans la vie privée de ses fonctionnaires ; aucun n’ose leur prescrire d’être des saints. L’Eglise a cette audace. Elle impose à ses ministres un statut légal qui les saisit dans le détail intime de l’existence ; elle exige d’eux des vertus très supérieures à celles du commun : chasteté parfaite, fidélité à la prière quotidienne prolongée, charité qui distribue en bonnes œuvres tout le superflu des revenus du bénéfice, sans jamais thésauriser (Conc Trid., Sess. xxv, de Réf., c. i). Pour fixer ce régime, des Dccrétales sont insérées au Corpus juris sous des rubriques significatives : De vita et honestate clericorum (X. III, i), De cohahitatione clericorum et muUerum’(X. iii, 2), A’eclerici vel monachi sæcularihus negotiis se immisceant (X. iii, 50)… Ces titres sont mêlés à ceux qui règlent les contrats ou la procédure en s’inspirant des antécédents romains : De pactis, (X. I, 35), De litis contestatione (X. 11, 5), De testamentis (X. m. 26)… On y retrouve la langue des jurisconsultes païens, presque leur style ; au premier abord, on pourrait croire tous ces fragments signés de Gaïus ou de Papinien ; mais dès qu’on s’y arrête, on y reconnaît, coulée dans le moule juridique.