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LOI ECCLÉSIASTIQUE

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mettre à l’essai telle ou telle mesure. Or, l’étude de ces décrets montre que leurs auteurs, tout en perfectionnant le droit canon par ses niétbodes propres, n’ont pas dédaigné de cliercher du côté des institutions civiles ce qu’elles pouvaient leur suggérer en fait de progrès de bon aloi.

Ainsi l’Eglise reste fidèle à sa méthode traditionnelle : prenant son bien partout où elle le ti’ouve, elle butine parmi les civilisations profanes, je ne dis pas toute sa technique juridique, mais une partie des éléments à l’aide desquels elle élabore cette technique. Seulement — et c’est ici qu’apparaît la note spécifique du droit canon — elle adapte ces emprunts à sa nature et à son but ; elle les anime de son esprit et leur imprime son cachet divin.

II. Transcendance du droit canon. — Le concile du Vatican (Sess. iri, cap. 3, Denzinger-Bannwarl, n. 1794) énumère les traits qui distinguent l’Eglise catliolique : immutabilité, sainteté, fécondité en toutes sortes de biens… Inhérentes à sa vie, ces propriétés pénètrent son action et en caractérisent toutes les manifestations, à des degrés et avec des nuances variables selon les terrains où elle opère. Quoi qu’elle entreprenne, son œuvre traliit toujours quelque chose de ses perfections intimes. Le droit canon en porte donc, lui aussi, le reflet, tantôt plus obscur et tantôt plus brillant, mais toujours reoonnaissable. Quiconque étudie sérieusement le développement de cette discipline, y découvre les signes de la véritable Eglise, traduits en langage technique, visibles dans la mesure et sous la forme qui conviennent aux constructions juridiques.

1° — C’est d’abord l’immutahilité. Lorsqu’une institution n’est que l’expression d’un dogme ou la réalisation concrète des lois fondamentales imposées par Noire-Seigneur à son Eglise, il est clair que l’institution gardera à travers les siècles, sous des modilieations accidentelles, une permanence essentielle, et ce phénomène prend un relief saisissant, si on lui oppose les vicissitudes dont se compose l’histoire des sociétés temporelles.

Depuis le début de notre ère, l’organisation politique de l’Europe fut plusieurs fois bouleversée. Après la chute de l’Empire romain, l’Occident se morcelle en une multitude de domaines indépendants : chaque baronie devient une souveraineté. Puis, peu à peu, de la réunion de ces seigneuries se forment les Etats modernes, où domine un pouvoir central devant qui toutes les autorités féodales finissent par disparaître. Au milieu de ces sociétés qui passent, seule l’Eglise demeure et garde intacte sa constitution. Sans doute, elle connut des fluctuations superlicielles, qui tirent varier chez elle l’exercice réel et concret du pouvoir : aux origines et pendant tout le moyen âge, lesévêques, au moins en général, jouissaient pratiquement d’une indépendance assez large, et quelques-uns ne subissaient que peu l’influence de Rome ; plus tard, un mouvement de centralisation se dessinant dans l’Eglise comme dans les Etats, l’intervention du pape fut plus fréquente et plus eflicace à l’intérieur des diocèses [Cf. Wbrnz, loc. cil., t. II, n. ^ijo sqq. (désignation des évoques) ; n. 853 (conciles provinciaux) ; n. 760 (voyage ad limina) ; n. 829 s^ry. (réserves) ; n. SgS, etc.]. Mais ces variations de fait n’empêchent pas que le régime organique de l’Eglise ne soit resté identique en substance ; môme aux heures les plus féodales, je veux dire les plus favorables au démembrement de la souveraineté, on reconnaissait au Pape le primat, non seulement d’honneur, mais aussi de juridiction, qui fait de lui le juge d’appel de toute la chrétienté, le pasteur des pasteurs et l’évêque des évêques.

Quand ensuite s’évanouit la féodalité terrienne, elle n’entraîna pas dans sa ruine l’épiscopat, qui garda sa dignité et ses droits, en sorte que, seule en Europe depuis dix-neuf siècles, l’Eglise a conservé sa constitution : c’est toujours une monarchie absolue, tempérée toutefois par l’existence nécessaire de l’aristocratie épiscopale.

La mèiue stabilité se retrouve dans les institutions qui sont en connexion intime avec le dogme : tel surtout le mariage. Quand le pouvoir civil s’avise de légiférer sur ces matières, des revirements incessants détruisent l’une après l’autre ses pauvres élucnbrations. Qu’il me suffise d’énumérer les lois qui, en France, depuis 1789, ont successivement réglé la question du divorce (Cf. Viollkt, Histoire du droit civil français, 20 éd., p. 447 sqq.). Le décret des 20-25 septembre 1792 admit le divorce par consentement mutuel, ou même à la requête d’un seul époux, pour incompatibilité d’humeur. Le décret du 4 floréal an II rendit le divorce plus facile encore, puis celui du 15 thermidor an III en revint au régime de 1792. Une loi de l’an V imposa quelques délais à l’époux trop pressé de quitter son conjoint. Le code de 1804 permit le divorce, mais moins largement que les textes antérieurs : l’incompatibilité d’humeur ne suffisait plus à y donner droit. La loi du 8 mai 1816 supprima le divorce ; celle du 27 juillet 1884 le rétablit ; celle du 18 avril 1886 en modifia la procédure ; les deux lois du 15 décembre 1904 et du 13 juillet 1907 favorisèrent le second mariage des époux divorcés… Et pendant ce temps, l’Eglise reste fidèle à son inflexible tradition : le mariage est toujours à ses yeux ce qu’il était pour Notre-Seigneur (jl/ « (<., v, 82 ; xix, 9 ; Marc, s., 11, 12 ; /.hc, xvi, 18) et pour saint Paul (I Cor., VII, io sqq) : l’union indissoluble d’un seul homme et d’une seule femme. Jamais sa législation universelle ne s’est écartée de cette conception [Cf. EsMEiN, le Mariage en droit canonique, t. I, p. 64 sqq. : t. II, p. 45 sqq. (érudit, parfois inexact) ; Wi : rnz, loc. cit., t. IV, n. 696, p. 605 sqq."] ; elle en maintient constamment toutes les conséquences, quelque prière qu’on lui adresse en sens contraire, quelque intérêt qu’elle ait parfois à se montrer complaisante.

Lorsque l’immutabilité du dogme ne commande pas directement la permanence delà discipline, l’histoire de celle-ci ne présente évidemment pas la même fixité ; elle révèle toutefois un esprit de suite dont on trouverait diflîcilement l’équivalent ailleurs. Certains chapitres du droit canon confondent leur origine avec celle du christianisme ; dès les premiers siècles, l’esquisse en fut ébauchée ; puis les contours se sont précisés, ils ont subi quelques retouches de détail, mais l’ensemble du dessin garde l’aspect primitif. Ainsi en est-il des règles relatives à la vie privée des prêtres. De très bonne heure, en Occident, on tend à leur demander deux choses : le célibat et l’abstention des afl’aires séculières. Autour de ces prescriptions fondamentales, se développe un réseau de mesures secondaires, qui appliquent les principes et en facilitent l’observation : formation précoce et prolongée des candidats aux Ordres, obligation pour le clergé de porter des vêtements modestes comme forme et discrets comme couleur, interdiction de se mêler aux divertissements trop profanes, de fréquenter les tavernes, de porter les armes, de faire du commerce, etc. Ces dispositions se transmettent, à travers les âges, de concile en concile et de pontife en pontife ; il y a là comme une tradition disciplinaire, une pars tralatitia de l’édit canonique que les pasteurs confirment les uns à la suite des autres, presque dans les mêmes termes. C’est que l’idéal du prêtre ne varie pas : à toute époque, ce doit être l’homme de Dieu, intermédiaire entre le ciel et la