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LOI DIVINE

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postulai d’une autre vie. Mais cette liarmonie, dit M. Renouvier, n’est pas exigée à titre de justice, ou de conformité à l’ordre essentiel des choses. « Le refus du postulat emporte cet aveu qu’il peut exister une antinomie entre la loi du devoir et la loi naturelle de la recherche du bonheur. De là un affaiblissement du sentiment de l’obligation et de l’empire de la raison pratique. » C’est comme « un postulat des passions, nécessaire pour les légitimer et les faire entrer dans la science n. (Science Je la murale, t. I, p. 175-177)… Quant au mode de l’immortalité, M. Renouvier s’en met peu en peine. A cet égard, l’argumentation de la doctrine criticiste, dit-il, « est toute morale ; elle ne souffre pas qu’on mène ses conclusions à dépasser ses prémisses ; elle ignore le mode et les moyens de l’immortalité personnelle ; tous lui sont bons, les intermittences, la palingénésie à longs intervalles, la continuité physiologique latente, la vie poursuivie ourenouvelée avec des sens nouveaux, sous des formes actuellement insensibles, etc., etc. Les hypothèses les plusélonnantesne lui répugnent pas plus que les plus banales, parce qu’elle n’en embrasse aucune, faute d’apercevoir des motifs suffisants pour se décider en faveur de quelqu’une. .. En elle-même, en sa qualité de doctrine rationnelle morale, elle réclame l’immorlalité comme condition d’ordre des phénomènes humainsau jugement de la conscience. C’est là son postulat, qui ne sort pas des termes généraux » (La Critique pliilosopliique, 1873, t. I, p. 178). On touche ici du doigt un des vices de la méthode morale : le vague de ses conclusions… L’immortalité personnelle est elle-même étrangement compromise dans une doctrine qui admet le phénoménisme. Qu’y devient en effet, le moi ? C’est une série, une chaîne de représentations qui se déroulent, un « mobile assemblage r> de phénomènes (le mot est de M. Renouvier) qui se succèdent comme les tableaux instantanés d’une scène de théâtre ou les figures changeantes d’un kaléidoscope. De fond commun où s’impriment ces représentations, oii prennent. corps ces phénomènes, il ne saurait être question, a La loi que les doctrines substantialistes appellent identité personnelle et permanence du moi, déclarc-t-on, est la représentation même, en tant que divisée, unie et ordonnée selon la durée. » (Essais, 2 » essai, t. I, p. 115.) L’esprit est

« un théâtre de phénomènes » ; ou mieux « il est la

loi elle-même, par laquelle sont représentés en une conscience les phénomènes que l’harmonie préétablie réunit dans l’œuvre d’une organisation individuelle » (f.a niiuielle Monadologie, pp. 96-97). Il n’y a plus de facultés Le mot lui-même est proscrit. Il rappellerait toujours la doctrine de la substance et des modalistes, plutôt que la coordination des phénomènes à l’aide des catégories d’acte et de puissance. Un terme général, celui de /’qnction (au sens mathématique), en tient suffisamment lieu. La volonté devient « l’ensemble des rapports de vouloir ; la mémoire, l’ensemble des rapports de souvenir ; la conscience, le rapport commun desiihénomènes dans l’homme »…

3) «.Vprès la liberté, dit M. Renouvier, après la vie future, qui sont des conséquences inductives de la croyance à la loi morale, vient le postulat de la divinité, motivé dans notre conscience par le besoin logique d’une garantie supérieure et universelle de l’ordre moral, des uns morales du mon<le. » Quel est le rôle, quelle est la nature de ce Dieu ? Kant en faisait un justicier, chargé de sanctionner par la récompense l’accomplissenienl (le l’ordre, par lech.iliment sa violation. Cette conception, sans doute, est trop antliropomorpliique pour M. Renouvier… Qu’on presse sa pensée, qu’on lui demande plus que des

mots vides, on arrive à ceci : Dieu est un devenir, c’est le bien que nous accomplissons et qui tend à former un ordre parfait. Dieu n’est pas « une nature éternelle et nécessaire ». — » Nous sommes des consciences, il est laconscience » (Nouvelle Monadologie, pp. 4^9-463)… Ni l’éternité, ni l’immutabilité dans la perfection ne sauraient convenir à Dieu, n L’éternité phénoménale du monde se trouvant exclue de nos spéculations par le principe de contradiction, ce qu’on appelait en théologie la nature <f((i « e, et qui renfermait les inûnis, les contradictoires, doit en être bannie également. Il est clair… que si la conscience, la personnalité et la vie appartiennent à Dieu… la succession et les autres relations doivent entrer dans la pensée divine ; car la pensée n’atteint que le relatif. Il faut donc convenir que les idées appartenant à la vie divine… sont… semblahles à des phé’tomènes. Par conséquent, la vie divine, pasplus que le monde phénoménal, ne peut logiquement s’étendre dans une éternité antécédente » (Les principes de la nature, t. II, pp. 337-33g)… A l’égard de Dieu, le crilicisme ne nous reconnaît aucun devoir, et il ne faut pas s’en étonner… Le principe de causalité, réduit à une succession… dépourvu du caractère de force transitive, n’entraîne point (de) subordination… Aussi est-il naturel que (M. Renouvier) condamne l’adoration et la soumission. L’adoration n’est-elle pas l’hommage de la créature qui déclare tenir tout de son Créateur ? Et dans la doctrine criticiste, on ne peut dire que l’homme soit redevable de ([uelque bien à Dieu ; le phénomène humain vient après le phénomène divin, c’est tout ; l’être n’a pas été, à proprement parler, communiqué de l’un à l’autre. M. Renouvier consacre douze cents pages à nous entretenir de la science de la morale. Il y traite par le menu des devoirs des hommes entre eux et des hommes envers eux-mêmes. Droit de propriété, impôt progressif, assurances sur la vie et contre les accidents, duel, régime cellulaire, tout est passé en revue. Il disserte subtilement pour faire taire ses scrupules à se nourrir de la chair des animaux : n’ont-ils pas une sorte de moi qui s’oppose à ce ijue nous en fassions des moyens ?… Mais quand il s’agit de Dieu, on ne se demande plus si l’on n’aurait pas vis-à-vis de lui quelque devoir à remplir. On lui concède l’existence, et quelle existence ? Cela suffît ; à ce prix, on se tient quitte à son égard. C’est là qu’en arrive une doctrine qui fait de Dieu un postulat, un appendice de la moralité, un président honoraire du monde des consciences phénoménalesl… »

liéfutation. — « L’absence de la divinité et de ses droits souverains se fait sentir dans toute la morale M. Renouvier. L’homme s’y meut comme un être qui ne reconnaît nul pouvoir au-dessus de sa tête. S il trouve trop pesant le poids de l’adversité, pourquoi ne chercherait-il pas une délivrance dans la mort ? En vain lui objectera-t-on que la résignation, l’effort moral sont chose meilleure. « Ce jugement, répond M. Renouvier, n’aura jamais une valeur absolue pour l’agent, et demeurera subordonné à ses sentiments, pnisqu il rapporte tous les biens possibles à lui. » (Science de la morale, t. I, p. 82.) Le domaine divin supprimé, la vie cesse d’être un poste dont Dieu seul a le droit de nous relever…

Ce qui est i>lus grave encore, c’est le doute que le criticisme laisse planer sur l’ordre moral tout entier. Selon le criticisme, la science morale ne eom[)orte que des « éléments proltables ». Au sentiment moral, quelque objet réel répond-il ? F.xiste-t-il vraiment un ordre que nous devons garder, un bien que nous devons praliquer ? La raison pratique ne fournit là-dessus que des’i hypothèses vraisemblables. >i — « Il en est… de l’obligation du devoir, ce