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LOI DIVINE

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la justice. Son expression la plus clcmenlaire, c’est l’équité, la liberté se respectant elle-même et respectantautrviisous la garantie juridique, commandement impérieux qui n’a pas de mesure, n’admet pas de plus et de moins, est absolu de sa nalvireet rigoureusement exigible. Ce commandement estlefondemenl de toute morale individuelle ou collective ; il précède toutes les autres vertus, il en est la base ; toutefois, ce quiledistingueducommandement métaphysique, c’est qu’il ne vient pas du dehors.

La liberté, « en créant le droit et l’obligation individuels, suppose l’identité de tous les droits parmi les membres de la race humaine et la mutualité de toutes les obligations. L’égalité, le droit commun est donc le premier principe de la morale, et la mutualité du respect en est la première expression. La société comme l’individu se constitue sur cette base, et la contrainte juridique vient conlirracr dans la loi l’allirmalion primitive de la conscience ».

Un second degré de la justice, c’est le dévouement, qiil consiste, non seulement à reconnaître le droit, mais à le faire prévaloir, en réparant les inégalités que la nature et le hasard produisent. « C’est en son nom que le fort aide le faible, que le riche partage avec le pauvre, que l’audacieux soutient le timide, que l’homme défend la femme, et il se présente si bien à la conscience sous la forme de l’obligation que, d’une part, il interdit l’orgueil à celui qui donne, et, de l’autre, il sauve de l’abaissement celui qui reçoit, tous deux ne faisant que satisfaire, dans des positions diverses, aune loi commune, la jiistice…Il y a donc des devoirs de dévouement qui, sans être passibles de contrainte, sont néanmoins des devoirs, et dont l’infraction entraînerait la honte et le remords. » Le dévouement peut aller jusqu’à l’héroïsme, mais a l’héroïsme n’a aucune garantie extérieure, parce qu’il dépasse la verlu de ceux qui le jugent ». La morale sociale doit faire pratiquer l’équité, elle doit faire respecter tous les droits, n Dans un second degré, lecommanderænt moral se rapporte aux institutions et s’attache à supprimer les privilèges de classes, les monopoles, les hiérarchies factices, les démarcations imaginaires, et à mettre à la portée de touscertains biens, qui, en suivantle cours naturel des choses, seraient l’apanage exclusif de quelques-uns : l’instruction élémentaire, la science, la propriété, le crédit, etc. Il consiste à établir de plus enplus l’égalité des conditions sociales. Rousseau a dit : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. » Renversant la formule de Rousseau, nous dirons : « L’homme naît enchaîné, et doit se rendre libre. ï

Il La morale apparaît donc dans la nature comme un principe indépendant… Quanta son origine, elle nous échappe, comme toutes les origines de la science. »

Telle est la théorie de la morale indépendante. Nousavonstranscrit textuellement les formulesdont se servent ses représentants ; car il est difficile de les remplacer, sans s’exposer à les interpréter mal.

Réfutation. Ce qui fait l’essence de cette théorie, ce ne sont pas les devoirs qu’elle impose, mais plutôt la prétention qu’elle a de les imposer sans recourir à aucun principe métaphysique. Or : i » cette prétention est mal fondée ; 2" elle entraîne la mutilation de la morale, soit dans ses applications, soit dans ses principes.

1° Cette prétention est mal fondée. Ce système dit que la conscience allirme la loi morale. Nous le disonsaussi, maislàn’est pas laquestion. Il s’agit de savoir de quel droit la loi morale s’impose, pourquoi elle a ce caractère de loi immuable, absolue, qui oblige, et entraînant à sa suite une sanction. Les

moralistes indépendants ne veulent pas répondre à cette question. S’ensuit-il qu’il n’y a pas de réponse à donner ? Us croient le montrer d’une certaine manière, en démolissant les solutions des spirilualistes catholiipies et celles des matérialistes. Nous sommes d’accord avec eux pour affirmer que la morale matérialiste sacrilie le droit à la force ; mais, quant à la morale catholique, les reproches qu’ils lui ad ressent sont absolument immérités. Ils représentent notre Dieu comme un tyran qui nous ùte la liberté et commande impérieusement et arbitrairement, sans tenir compte de notre personnalité et de notre raison. Mais la morale catholique enseigne tout le contraire. Notre liberté, notre conscience, notre sens moral, c’est Dieu qui les a mis dans notre nature. C’est par la voix intérieure de notre raison et de notre conscience que Dieu nous manifeste la loi naturelle et cette loi n’est pas arbitraire, elle est fondée sur la nature des choses. Quant aux lois positives, pourquoi Dieu n’aurait-il pas le droit de nous en imposer ? Vu surtout qu’il ne le fait qu’en vue de notre plus grand bien. En dehors de cette critique injuste de la morale catholique, nous ne voyons pas de preuves de la morale indépendante. Pour l’établir, il ne suffit pas de dire que la liberté est un fait, aussi bien que la conscience morale, il faudrait en outre montrer que ce sont desdonsque nousn’avons pas reçus de Dieu, il faudrait prouver l’athéisme (voir l’art. Dieu, pour les preuves de son existence), car si Dieu existe, c’est de lui que viennent la liberté et la loi morale, comme nous l’avons démontré plus haut. Enlin, sous prétexte de faire abstraction de toute métaphysique, la morale indépendante ne fait que recourir à une foule de pétitions de principes et de confusions. — Signalons-en quelques-unes. — Le libre arbitre estun fait ; oui, mais le droit que nous avons qu’on le respecte est très différent de ce fait ; or la morale indépendante confond ces deux choses. — Pourquoi la liberté de l’homme est-elle un plus grand bien que la nécessité qui se manifeste non seulement dans le monde physique, mais encore dans nos raisonnements ? — Pourquoi ce bien, qui tout à l’heure était un fait réalisé, devient-il un idéal dont il faut poursuivre la réalisation, et qui, par conséquent, n’est plus un fait, mais un devenir d’ordre métaphysique ? — Pourquoi est-il moral de donner à nos semblables ce qu’ils n’ont pas et de faire disparaître ainsi certaines inégalités ? — Si noire volonté est supposée indépendante de toute autorité, elle est à elle-même sa propre règle, et tout acte libre qu’elle fait est essentiellement bon. Agir contre la voix de la conscience sera même pour elle agir plus parfaitement que de lui obéir, puisque ce sera faire plus complètement acte d’indépendance. Toute obligation est essentiellement une loi, or l’homme ne peut par lui-même s’imposer une loi véritable, car chaque fois qu’il le voudra, c’est-à-dire quand il agira contre cette prétendue loi, il la détruira par le fait même.

a" Ce système mutile la morale.

II la mutile dans ses applications ; car il supprime une partie de nos devoirs : tous ceux que nous avons envers Dieu, d’abord, puis un certain nombre de ceux que nous avons envers nous-mêmes ou envers notre prochain ; car plusieurs de ces derniers devoirs ne rentrent pas dans l’exercice d’un droit. Indiquons quelques exemples. Les enfants ont-ils des devoirs spéciaux envers leurs parents ? La pro[)riété doit-elle être respectée ? Oui, d’après la morale ; non, d’après le principe d’égalité des moralistes indépendants. Du reste, si l’on prenait réellement pour point de départ de la morale le respect de la liberté considérée comme fait psychologique, c’est-à-dire