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LOI DIVINE

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dépend même pas de la libre volonté de Dieu. Elle tient en elTet à l’essence des choses, dont la vérité est éternelle. Dieu était libre de nous créer ou de ne pas nous créer ; il était libre de nous placer dans les conditions où nous vivons, ou bien dans d’autres ; mais, du moment qu’il nous a faits ce que nous sommes, il est nécessaire que nous ayons des devoirs, surtout envers lui : car il est dans l’essence des choses que nous ayons vis-à-vis de lui les rapports qui doivent exister entre la créature et son créateur.

3) — Un autre caraclère de la loi morale, qui lui donne sa nature de loi et qui se ra])proche du caractère que nous venons d’étudier, c’est qu’elle s’impose à nous comme obligatoire. Elle est une règle connue par notre intelligence, mais elle est connue comme un devoir, auquel notre libre arl)itre doit obéir dans ses déterminations, et néanmoins l’essence de notre libre arbitre consistée pouvoir nous décider à notre gré. La loi morale n’agit donc pas sur notre libre arbitre par contrainte, comme les lois physiques agissent sur les êtres sans liberté et les lois de la logique sur l’intelligence ; elle s’impose à lui d’une autre manière. Elle lui dit : « Tu peux faire tout ce que tu voudras, mais telle action serait mauvaise et contraire à l’ordre et à la nature des choses, telle autre action serait bonne ; tu es obligé d’éviter l’action mauvaise, tu dois te décider pour l’action bonne. » On ne peut mieux faire conqirendre ce caractère de l’obligation morale, qu’en invoquant le sens intime de tous les hommes ; car tous les hommes entendent cette voix intérieure qui leur défend ce qui est mal et qui leur commande ce qui est bien, en leur laissant la liberté physique de se décider pour le mal ou pour le bien. L’obligation est donc de telle nature qu’elle ne peut porter que sur ce qui est libre. Aussi saint Thomas enseigne-t-il que notre lin dernière, le bonheur visà-vis duquel nous ne sommes point libres, s’impose à nous nécessairement (voir Tort. LiniiB Arbitre), tandis que tous les moyens d’y arriver dont le choix nous est laissé s’imposent à nous obligatoirement. Cette conception de l’obligation dillére un peu de celle des modernes ; mais elle nous paraît bien plus conforme à la vérité. — On peut aussi remarquer la différence qui distingue le devoir des autres motifs ordinaires de nos actions. Ceux-ci nous sollicitent le plus souvent à agir en vue de notre intérêt, le devoir s’impose parce qu’il est bien ; aussi l’acte moral esl-il essentiellement désintéressé.

^) — Enfin un dernier caractère de la loi morale, c’est qu’elle s’impose comme devant être suivie d’une sanction ; c’est-à-dire qu’elle impose à tous la conviction que les actions qu’elle commande sont méritoires, et que les actions qu’elle défend font démériter, en d’autres termes que son observation doit être récompensée et que sa violation doit être punie. Ce caractère de la loi morale est affirmé par la conscience de tous les hommes, aussi bien que l’obligation qui en fait le fond. En présence d’un criminel heureux, et d’un homme vertueux accablé par le malheur, chacun sent qu’il va là un désordre qui ne doit pas durer, que le crime est digne de châtiment et que les bonnes actions sont dignes de récompense. La plupart des hommes atfirment qu’en fait il en sera ainsi dans une autre vie, sinon en celle-ci (voir l’art., t. I, loi sç’/., Amb) ; tous disent qu’en droit le bien et l’ordre exigent qu’il en soit ainsi. C’est que, le bien étant conforme à l’ordre et à l’essence des choses, tandis que le mal y est contraire, le bien, d’après notre raison, doit mener l’homme à sa (in, pendant que le mal l’en doit détourner ; or la lin de l’homme, c’est le bonheur. Il

est donc dans l’essence des choses, en d’autres termes il est juste, que celui qui fait le bien soit heureux et que celui qui l’ait le mal n’arrive pas au bonheur. Le raisonnement s’accorde ainsi avec le témoignage du sens commun, pour affirmer qu’il doit y avoir une sanction à la loi morale.

Voici donc en résumé les caractères principaux de la loi morale : elle est universelle et immuable, absolue et indépendante de notre volonté ; elle engendre une obligation qui s’impose à notre libre arbitre en dehors de tout motif d’intérêt ; enfin les actions qu’elle commande ou qu’elle défend doivent être suivies d’une sanction, pour que les règles de la justice soient gardées.

Après ce qui précède, il sera facile de résoudre deux objections qu’on fait assez souvent.

i) — On dit que les règles de la morale ont changé, qu’elles changent sans cesse suivant les temps et les régions. En effet, les sauvages ne regardent-ils pas comme une œuvre excellente ce qui est traité de crime par les hommes civilisés ? Voilà l’objection, voici notre réponse :

Avec les préjugés les plus opposés, sauvages et Européens s’accordent à admettre qu’il y a des crimes et des actes de vertu. S’ils ne s’accordent pas à regarder telle action comme bonne ou comme mauvaise, cela tient parfois à une perversion de leur sens moral, mais cela tient aussi au changement des circonstances. Ce qui a été bien, en un temps, peut devenir mal en un autre, parce que les circonstances ont changé. Chez les peuples nomades, la terre appartient à tout le monde, et chacun fait bien de s’en emparer pour la cultiver ; chez nous, au contraire, elle est une propriété individuelle, et c’est un vol d’en dépouiller celui qui la possède. Ainsi en est-il pour bien des choses. Faut-il en conclure que la loi morale change ? Non ! Ses principes restent immuables ; ils s’appliquent de la même manière partout oii les conditions sont les mêmes ; mais ils doivent s’appliquer d’une manière différente, et qiielquefois d’une façon opposée, quand les circonstances ont varié. C’est donc à tort qu’on nierait le caractère immuable et universel de la loi morale, parce que les législations et les mœurs des peuples se sont transformées. Alitant nier le caractère immuable etuniversel de la géométrie, parce que l’eau, qui occupait un centimètre carré d’espace à l’état liquide, occupera un volume bien plus considérable à l’état gazeux.

2) — On accuse aussi la morale chrétienne d’être une morale intéressée, parce qu’elle excite au bien par la perspective des récompenses et détourne du mal par la menace des châtiments de l’autre vie. Celte objection peut revêtir deux formes. On peut nous reprocher d’admettre que la loi morale doit avoir une sanction ; ou bien nous accuser de proposer les récompenses et les châtiments de Dieu comme le seul motif qui doive faire observer la loi morale.

Si l’on nous reproche d’admettre que la loi morale doit avoir une sanction, cette accusation retombe sur la raison elle-même et sur la nature des choses. La justice veut que le crime soit puni et que la vertu soil récompensée. Nous ne faisons qu’allirmerceque la justice exige.

Si l’on reproche à l’Église de porter les hommes au bien ou do les éloigner du mal par des motifs intéressés qui détruisent le mérite, voici ce que nous répondrons : i" L’Église s’adressant à la masse des hommes, parmi lesquels il y a plus de pécheurs â arrachera leurs vices que de saints à pousser à la perfection, doit se servir de tous les moyens qui sont en son pouvoir pour empêcher le mal. Ceux qui connaissent l’humanité savent qu’il est bien des âmes que