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LIBERALISME

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impuissante à empêcher tous les maux particuliers, l’autorité des houimes doit permettre et laisser impunies bien des choses qu’atteint pourtant, et à juste titre, la vindicte de la Providence divine. (S. AvG., De lit), arb., I, v, 13, /’./.., XXXII, 1228.) Néanmoins, dans ces conjonctures, si, en vue du bien commun et pour ce seul motif, la lui des liommes peut et même doit tolérer le mal, jamais pourtant elle ne peut ni ne doit l’approuver et le vouloir en lui-même ; car, étant de soi la privation du bien, le mal est opposé au bien commun, que le législateur doit vouloir et doit défendre du mieux qu’il peut. Et en cela aussi la loi humaine doit se proposer d’imiter Dieu, qui, en laissant le mal exister dans le monde, ne veut ni que le mal arrive, ni que le mal n’arrive pas, mais veut permettre que le mal arrive, et cela est bon (S. Thomas, p. I, q. 19, art. 9, ad 3). Cette sentence du docteur aiigélique contient, en une brève formule, toute la doctrine sur la tolérance du mal.

« Mais il faut reconnaître, pour que notre jugement

reste dans le vrai, que plus il est nécessaire de tolérer le mal dans un Etat, plus les conditions de cet Etat s’éloignent de la perfection ; et de plus, que la tolérance du mal, appartenant aux principes de la prudence politique, doit être rigoureusement circonscrite dans les limites exigées par sa raison d’être c’est-à-dire par le salut public. C’est pourquoi, si elle est nuisible au salut public, ou qu’elle soit pour l’Etat la cause d’un plus grand mal, la conséquence est qu’il n’est pas permis d’en user, car, dans ces conditions, la raison du bien fait défaut. Mais si, en vue d’une condition particulière de l’Etat, l’Eglise acquiesce à certaines libertés modernes, non qu’elle les préfère en elles-mêmes, mais parce qu’elle juge expédient de les permettre, et que la situation vienne ensuite à s’améliorer, elle usera évidemment de sa liberté, en employant tous les moyens, persuasions, exhortations, prières, pour remplir, comme c’est son devoir, la mission qu’elle a reçue de Dieu, à savoir de procurer aux hommes le salut éternel. Mais une chose demeure toujours vraie, c’est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n’est pas, comme nous l’avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu’il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s’éloignent de l’équité et de la prudence de l’Eglise ceux qui professent le Libéralisme. »

Et plus loin : n De ces considérations, il résulte qu’il n’est aucunement permis de demander, de défendre ou d’accorder sans discernement la liberté de la pensée, de la presse, de l’enseignement, dos religions, comme autant de droits que la nature a conférés à l’homme. Si vraiment la nature les avait conférés, on aurait le droit de se soustraire à la souveraineté de Dieu, et nulle loi ne pourrait modérer la liberté humaine. Il suit pareillement que ces diverses sortes de libertés peuvent, pour de justes causes, être tolérées, pourvu qu’un juste tenqjéramcnt les empêche de dégénérer jusqu’à la licence et au désordre. Et enfin, où les usages ont mis ces libertés en vi-iieur, les citoyens doivent s’en servir pour faire le bien, avoir à leur égard les sentiments qu’en a l’Eglise. Car une liberté ne doit être réputée légitime qu’en tant qu’elle accroît notre faculté pour le bien ; hors de là, jamais. »

Se peut-il quelque chose de plus clair que cet enseignenient ? Nous y retrouvons, avec l’afTirmation des principes, les justes tempéraments que comporte l’application. Thèse et hypothèse sont également formulées. La </if’.se consiste à alllrmer le droit, tel qu’il résulte des principes catholiques, h’hypothèse n’est pas autre chose que la constatation des réalités

auxquelles se heurte rap])lication complète de la thèse. Et quelle est la conclusion ? C’est qu’il faut savoir s’accommoder des transactions imposées par la sagesse pratique et les respecter loyalement ; mais c’est en même temps un devoir de maintenir la vérité doctrinale de la thèse, et de revendiquer l’application effective des parties de la tlièse qui, même en pleine hypothèse, peuvent être appliquées sans grave dommage.

Et c’est bi*n ce que Léon XIII fait passer en acte dans la lettre adressée par lui le 19 juillet 188g. Les ministres brésiliens avaient élaboré un projet de loi introduisant au Brésil la liberté et l’égalité des cultes. Léon XIII repousse énergiquement cette innovation. Dans un pays catholique comme est le Brésil, déclare le pape, les droits de religion d’Etat doivent être garantis à l’unique et véritable Eglise de Jésus-Christ. Les cultes dissidents, bien loin de pouvoir jouir d’une égale et commune liberté avec l’Eglise catholique, ne possèdent aucun droit intrinsèque à être reconnus. Si les circonstances actuelles réclament qu’on leur accorde l’autorisation de s’exercer sur le territoire brésilien, cette faculté légale pourra bien être concédée au nom des exigences mêmes du repos public et de la paix religieuse, mais non pas en vertu d’un droit qui appartiendrait aux cultes dissidents, ni en vertu d’une assimilation juridique avec la véritable Eglise.

Cette doctrine, enseignée par Grégoire XVI, Pie IX et Léon XIII, est confirmée par Pie X dans l’Encyclique Vehemenler nos, du ii février 1906, à propos de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en France ; dans VEncycWqueJamduduminEcclesia, du 2/i mai igi^. a propos de la séparation de 1 Eglise et de l’Etat en Portugal ; et, aussi, dans l’Encyclique Pascendi, du ^ septembre 1907, à propos des erreurs modernistes. Ainsi, pour résumer brièvement la doctrine dans les documents pontificaux précités, il est évident que le Saint-Siège revendique l’alliance traditionnelle de l’Eglise et de l’Etat, qu’il enseigne que la véritable Eglise possède un droit exclusif aux privilèges de religion d’Etat, qu’il airirme que la force des lois humaines doit, en pays catholique, être ofliciellement employée au service de la religion, dans la mesure permise par les possibilités pratiques et par la considération du plus grynd bien. Et que l’on y prenne garde, ce n’est pas là une opinion livrée aux discussions des écoles, un système théologique que l’on peut à son gré accepter ou refuser. Non, c’est la doctrine imposée par l’autorité souveraine du Pontife romain à l’adhésion de l’Eglise universelle. Beaucoup de catholiques, même instruits, de nos jours, se croient parfaitement en règle dès là qu’ils ne se mettent f)asen opposition avec une doctrine qiii n’est pas déOnie comme dogme de foi catholique. Ils se trompent gravement. A côté de l’hérésie, terme qui désigne exclusivement les doctrines contraires à un dogme de foi, il y a l’erreur théologique, terme qui désigne les doctrines contraires à une conclusion ou à une aj)-I >lieation certaine des principes dogmatiques. l’hérésie se réfère aux vérités révélées par Dieu, objet primordial de l’infaillibilité de l’Eglise. L’erreur théologique concerne les vérités connexes avec la révélation divine, et objet secondaire de la même infaillibilité. Or la doctrine catholique des rapports de l’Eglise et de l’Etat n’est pas sans doute, à proprement parler du moins dans le détail, une vérité révélée de Dieu ; mais elle est une vérité connexe avec la révélation divine ; elle peut donc donner lieu, sinon à une hérésie proprement dite, du moins à une erreur Ihéologique. Or, i)our se conserver en bonne santé, il ne suffit pas de ne point avaler de