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1833

LIBERALISME

1834

Oieu est le maître des sociétés comme des individus, et les gouvernants, comme les gouvernés, sont soumis à la loi morale et naturelle dont Dieu est l’auteur. Les chefs des peuples sont sous sa dépendance, aussi bien que leurs sujets. La loi naturelle a des préceptes qui lient les princes comme les sujets, et il n’est pas plus permis aux premiers de donner des ordres injustes, qu’il n’est permis aux seconds de se soustraire aux justes commandements de leurs chefs. La raison elle-même ne sullit-elle pas à démontrer que le prince, non seulement comme individu, mais encore comme prince, est assujetti à Dieu et aux ordres qu’il lui intime par la voix de la nature dont Dieu est l’auteur ? S’il en était autrement, il faudrait dire qu’un souverain peut, en conscience, commander des actes que le sujet ne peut en conscience accomplir.

Mais n’a-t-il pas existé, et n’existe-t-il pas encore des catholiques qui allirment volontiers que le souverain temporel (un ou collectif) est assujetti à la loi naturelle dans ses actes de souverain, mais que, comme tel, il n’est pas lié par la loi chrétienne ou surnaturelle, sous ce prétexte que le pouvoir civil, étant une institution d’ordre purement naturel, est totalement séparé de l’ordre surnaturel, et en est complètement indépendant ? A l’Etat, dira-t-on, le domaine de la raison et de la nature : à l’Eglise, le domaine de la foi et de la grâce. Aucun souverain n est obligé, dans ses actes de souverain, de tenir compte de la révélation : il peut légiférer, non seulement sans jamais avoir l’œil fixé sur les lois surnaturelles, énoncées de Dieu, mais encorecontrairement à ces lois, qui, si elles obligent le souverain comme individu, ne le lient nullement en sa qualité de souverain ; de sorte que — chose absurde — un prince ne pourrait pas légitimement se soustraire individuellement à un précepte surnaturel, mais serait en droit d’édicter une loi en opposition avec ce même précepte. Au fond, c’est bien là la conséquence qui suit de cette espèce de libéralisme très bien défini par l’illustre cardinal Dechamps : « C’est, dit-il, l’école politique qui prétend asseoir tout l’ordre social sur la Déclaration des droits de l’homme, sans se soucier le moins du monde de savoir s’il existe pour le genre humain une loi positive. » Ou bien encore :

« C’est l’école politique de ceux qui ne reconnaissent

pour tout l’ordre social qu’une seule loi suprême, la raison. »

Il suffit d’exposer une telle théorie pour en faire justice. Gomment admettre que Dieu, auteur de la loi naturelle et auteur en même temps d’une loi surajoutée à la loi naturelle, n’ait pas voulu que cette seconde loi, sulTisamment promulguée, obligeât rois et peuples, comme la loi naturelle elle-même ? Gomment Dieu n’aurail-il pas intimé à un prince l’obligation de ne commander à ses sujets rien de contraire â ce qui leur est interdit par la loi chrétienne, et de ne rien leur défendre de ce que cette même loi leur commande ? La loi naturelle elle-même ne prescrit-elle pas aux peuples et à leurs chefs, comme aux individus, l’obligation de se soumettre aux ordres positifs donnés par Dieu, si ces ordres sont certains ? Il est dillicile de comprendre comment des catholiques pourraient nier la dépendance dupouvoir civil à l’égard de Jésus-Glirist et de sa loi, comme si cette dépendance n’était pas fondée surla cohésion nécessaire établie librement parDieu entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel : necesstiriam illam cohærentiam qiiæ Dei voltintate intercedit inter iiirumque ordînem qui lam in natura, ttim supra naturani est. (Allocut., Pie IX, g juin

! 86a.)

Affirmer que les nations ne sont pas tenues, au

même titre que les particuliers, de professer les principes de la vérité chrétienne, que des peuples incorporés à l’Eglise dès le jour de leur naissance peuvent légitimement, après une profession quatorze fois séculaire du christianisme, abdi(]uer le baj)tème national, éliminer de leur sein tout élément surnaturel, et se replacer dans les conditions de ce qu’ils croient être le droit naturel, enfin que les générations suivantes peuvent accepter en tout ou en partie cette œuvre de déchristianisation légale et sociale, non pas seulement comme une nécessité, mais comme un progrès réel des temps nouveaux, c’est là une théorie contre laquelle se dresse et le bon sens, nous venons de le voir, car le Créateur, qui a fait l’homme essentiellement social, n’a pu vouloir que la société humaine fût indépendante de lui, et la tradition la plus ferme et la plus suivie.

Saint Augustin écrivait à un dignitaire de l’empire romain : u Sachant que vous êtes un homme sincèrement désireux de la prospérité de lEtat, je vous prie d’observer combien il est certain par l’enseignement des saintes Lettres que les sociétés publiques participent au devoir des simples particuliers et ne peuvent trouver la félicité qu’à la même source… Bienheureux, a dit le roi prophète, le peuple dont Dieu est le Seigneur : Beatus populus cujus dominus Deus ejus : voilà le vœu que nous devons former dans notre intérêt et dans l’intérêt de la société dont nous sommes les citoyens ; car la patrie ne saurait être heureuse à une autre condition que le citoyen individuel, puisque la cité n’est autre chose qu’un certain nombre d’hommes rangés sous une même loi. » (Epist., r.Lv, Jd Macedonium, 7 et 9., P. /.., XXXIU, 669-670) Lorsqu’aprcs trois siècles de persécutions les princes, et avec eux les pouvoirs publics, sont entrés dans l’Eglise, ils se sont aussitôt appliqués à purifier la loi des souillures païennes, dit Saint.u( ; usTiN : « Comme ils avaient fait servir leur autorité au triomphe de l’erreur, ils ont reconnu qu’elledevait être désormais l’auxiliaire de la vérité. » Plusieurs d’entre eux, sans doute, trop habitués aux allures du césarisme païen, ont, dès l’origine, trop souvent changé en oppression leur protection légitime, et parfois (ordinairement en faveur de l’hérésie et sur la demande d’évêques hérétiques) ont procédé avec une rigueur qui n’est passelon l’esprit du christianisme ; il s’est alors trouvé dans l’Eglise des hommes de foi et de courage, tels que les Hilaire, les Martin, les Athanase, les Ambroise, pour lesrappeler â l’esprit de mansuétude chrétienne, pour répudier l’apostolat du glaive, pour afiirmer hautement que la conviction religieuse ne s’impose jamais par la force, pour proclamer enfin que le christianisme, qui s’était propagé malgré la persécution des princes, pouvait encore se passer de leur faveur, et ne devait s’inféoder à aucune tyrannie. Mais en protestant contre les excès et les abus, en blâmant des recours intempestifs et inintelligents, parfois même attentatoires aux règles de ladiscipUne sacerdotale, jamais aucun de ces grands docteurs n’a douté que ce ne fût le devoir des nations et de leurs chefs de faire profession publique de la vérité chrétienne, d’y conformer leurs actes et leurs institutions, et d’interdire même par des lois soit préventives, soit ré|)ressives, selon les temps et létat des esprits, les atteintes qui revêtaient un caractère d’impiété patente, ou qui portaient le trouble et le désordre au sein de la société civile et religieuse. Ecoutons ce que saint Augustin disait à ceux qui réclamaient le régime pur et simple de la liberté :

« Les rois, entant que rois, obéissent au précepte

de servir Dieu, s’ils commandent le bien et s’ils interdisent le mal dans leurs Etats, non seulement quant