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LANGUES

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langues les merveilles du Seigneur, en s’abandonnant à l’action de l’Esprit-Saint, qui leur suggérait et le sujet de leurs louanges et les paroles pour les exprimer. Lorsque le miracle eut été constaté parla foule, Pierre, élevant la voix au milieu de tous, prit occasion des impressions diverses des assistants pour leur expliquer, dans un discours admirable, le véritable sens des mystères qui venaient de s’accomplir. En quelle langue ce discours fut-il prononcé ? Pierre le redit-il successivement en quinze langues différentes, pour que chaque assistant l’enlendit dans son idiome propre ? Le texte sacré ne l’insinue en aucune manière, et la chose est peu vraisemblable. Les auditeurs de Pierre, quoique étrangers pour la plupart, habitaient pourtant alors la ville de Jérusalem (Act.. II, 5 et 14). Ils comprenaient donc tous, ou à peu près tous, le dialecte araméen qui avait cours dans la ville sainte. Le plus grand nombre devait aussi comprendre la langue grecque, très répandue alors à Jérusalem. Il eût donc été superflu que Pierre répétât son discours en plusieurs langues : il lui suffisait de parler la langue vulgaire de Jérusalem, ou bien le grec, pour être compris de la foule qui l’entourait.

Il ressort de notre discussion que, au jour de la Pentecôte, le don des langues se manifesta uniquement dans la célébration des merveilles de Dieu (tk jic/’jJ.ii’A-o-j Qioî), à laquelle prirent part tous les disciples que le Saint-Esprit venait de visiter. Cette même notion de la glossolalie se retrouve dans tous les endroits du N. T. où il est parlé de ce don. Partout il s’agit des louanges de Dieu et de ses œuvres. . Césarée. les compagnons de Pierre entendirent Corneille et les siens « parler en langues et glorilier Dieu » (Act., X, 46). A Ephèse. ils a parlaient en langues et prophétisaient » (Act.. xix, 6), c’est-à-dire qu’il s’énonçaient dans un langage inspiré sur les vérités de la foi.. Corinthe, il n’en était pas autrement. Ecoutons l’apôtre saint Paul : « Celui, dit-il, qui parle en une langue (étrangère) ne parle pas aux hommes, mais à Dieu » (I Cor., xiv, 2), c’est-à-dire qu’il adresse une prière à Dieu. « Car si je prie en une langue (étrangère), mon Esprit est en prière, mais mon intelligence demeure sans fruit. Que faire donc ? Je prierai par l’Esprit, mais je prierai aussi par l’intelligence ; je chanterai (nne hymne) par l’Esprit, mais je chanterai aussi par l’intelligence..utrement, si tu rends grâces par l’Esprit, comment celui qui est dans les rangs de l’homme du peuple répondra-t-il amen à ton action de grâces, puisqu’il ne sait pas ce que tu dis ? Toi, il est vrai, tu rends d’excellentes actions de grâces ; mais l’autre n’en est pas édifié… En est-il qui parlent en une langue (étrangère) ? Que deux ou trois, tout au plus, parlent, chacun à son tour, et qu’un seul interprète ; s’il n’y a point d’interprète, qu’ils se taisent dans rassemblée, et qu’ils se parlent à eux-mêmes et à Dieu. » (I Cor., iiv, 14-17. 27, 28.)

La comparaison de ces divers passages montre que l’objet de la glossolalie était, communément du moins, des formules de prières, par lesquelles le lidèle favorisé du don des langues célébrait dans un idiome étranger les louanges de Dieu et de ses œuvres. Les œuvres de la rédemption et de la sanctification des âmes y occupaient, sans doute, la première place. Les formules Ahha (Pater), Maran allia (Dominiis noster t’enit) n’auraient-elles pas leur origine dans le d<m des langues (/îom., viir, 15 ; Gal., iv, 6 ; I Cor., xvi, 22) ?

On peut se <lemander si le don des langues, communiqué une fois à des (idèles, leur devenait permanent, et si, en possession de ce don, il leur était loisible de parler à chaque instant en telle langue qu’ils

désiraient. La sainte Ecriture ne fournit aucun élément de solution certaine à cette double question. A notre avis pourtant, l’expression prout S/)" i/ » s suiicliis dahat eloqtii illis indique que la formule en langue étrangère était directement suggérée par l’Esprit-Saint, etque, parconséquent, niletexte de la formule, ni la langue dans laquelle elle était énoncée, ne dépendaient du libre choix des lidèles. On peut supposer, toutefois, que le don des langues conférait une certaine habitude de prier ou de louer Dieu en langues étrangères.

Faut-il croire que les apôtres se sont servis du don des langues pour prêcher l’Evangile aux peuplesbarbares ! L’Ecriture ne le dit pas. Mais on ne peut guère en douter, car c’est de cette manière que le don des langues devenait particulièrement utile à l’œuvre de l’Esprit-Saint, qui est la propagation et la sanctification de l’Eglise. L’histoire nous apprend que le don des langues l’ut accordé, sous cette forme, à plusieurs saints missionnaires catholiques, notamment à saint Vincent Ferrier et à saint François-Xavier. Or il n’est pas croyalile que les apôtres fussent moins favorisés sous ce rapport, lorsqu’ils allèrent annoncer l’Evangile à toutes les nations delà terre. Telle est, du reste, l’opinion communément reçue chez les saints Pères et chez les docteurs catholiques. Elle a jeté chez les fidèles de si profondes racines, que plusieurs ne conçoivent pas autrement le don des langues qu’en vue de la prédication de l’Evangile aux nations étrangères. Xtms avons vu que cette notion est inexacte ; elle est, du moins, trop restreinte. La notion complète nous paraît être celle-ci : le don de s’énoncer en langues étrangères sur les choses divines, soit dans un état extatique mettant l’àme en communication avec Dieu seul (ce qui se rencontrait indistinctement chez les fidèles croyants et enseignants), soit dans l’état de pleine conscience, dans l’acte même de l’enseignement évangéliqiie (ce qui ne fut accordé qu’aux apôtres, envoyés immédiatement par le Saint-Esprit).

Objections. — Parmi ceux qui assistèrent à la scène du Cénacle au jour de la Pentecôte, il y en eut qui s’écrièrent en entendant les voix émues des disciples et en voj’ant les saints transports dont ils étaient animés : « Ces gens-là sont pleins de vin nouveau ! » {Act., II, 13.) Saint Paul écrit aux Corinthiens :

« Si toute l’Eglise se réunit en un même lieu, et que

tous parlent en langues, et que des gens non initiés (l’JiciTfzc) ou des infidèles entrent dans l’assemblée, ne diront-ils pas que vous êtes des insensés ? » (I Cor., XIX, 28.) Tel est à peu près le jugement que porte sur le don des langues l’incrédulité moderne. Qu’on lise, par exemple, les insanités qu’écrit à ce sujet Renan, dans son ouvrage Les Apôtres (p. 6472). a-t-il vraiment, dans la manifestation et l’usage de ce don, quelque chose d’extravagant, qui conline à la folie ? Ce n’était certainement pas la pensée de saint Paul, puisque, dans cette même exhortation aux Corinthiens, il leur souhaite à tous de posséder ce don (5) ; il rend grâces à Dieu de ce que lui-même en est investi dans une plus large mesure qu’eux tous (-ayrow Û//SV jiH/yi, 18) ; il défend que l’on empêche ce don de se produire dans les assemblées (89). Ce que l’apôtre blâme, c’est l’abus d’une chose excellenteen elle-même. Il corrige d’abord l’estime exagérée que les Corinthiens avaient de ce don : ils devaient lui jn’èfércr celui ile prophétie, comme bien plus apte à édifier les fidèles ; il ne veut pas que l’on fasse ostentation d’une faveur accordée surtout pour mettre l’âme en rapport plus intime avec Dieu. Ce qui, selon saint Paul, devait avoir pour un non-initié l’apparence de la folie, ce n’était pas l’usage même du don des langues, mais la confusion, la cacophonie