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LAICISME

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de se comparer à un corps vivant. La comparaison date de saint Paul, ou mieux elle remonte au divin Fondateur lui-même, qui disait à ses disciples : « Je suis la vigne, vous êtes les brandies. » (Joan., xv, 5.) Les individus n’y doivent pas être considérés isolément : ils sont les membres d’un corps dont le chef invisible, mais très réel, est l’Homme-Dieu lui-même. Entre ce chef et tous les membres circule une sève de vie, qui entretient l’unité. Perpétuellement il y a échange de joies, de tristesses, de responsabilités, de mérites. Qui souffre, dit l’Apôtre, et tout chrétien peut et doit le dire pareillement, que je ne souffre avec lui ? Nul ne vit pour soi seulement. Chacun vit pour le corps, avec le corps tout entier, dont il contribue sans cesse à enrichir ou à diminuer la vie. Et ce vaste organisme est, pour tous les croyants et d’après la langue ecclésiastique, le corps mystique de Dieu sur la terre, templum Dei estis, corpus Clirisii…

b) Dii’ersité des organes pour le hien commun. — On devine que, dans un corps dont la vie est si riche et puissante, les organes doivent être complexes et diversiliés. N’en va-t-il pas ainsi dans tout l’univers ? Et n’est-il pas vrai que plus un être s’élève dans l’échelle de l’existence, plus son existence est conditionnée par de multiples diflei-enciations dans les organes ? C’est l’amibe, ce sont les animaux inférieurs, qu’on peut morceler en plusieurs tronçons semblables, et chez qui les fonctions n’arrivent point à diversifier les organes.

L’Eglise, en qui s’épand la vie divine et qui la distribue à ses membres, ne peut ressembler à ces créatures amorphes. Elle a de nombreux ministères : chez elle, les uns sont apôtres, les autres prophètes, thaumaturges, docteurs, dispensateurs des mystères ; il y a les clercs et les laïques. Il y en a qui commandent ; il y en a qui obéissent. Ces distinctions multiples dans les membres de l’organisme attestent l’opulence de la vie qui circule dans le corps tout entier, et dont chacun est appelé à bénéficier. Il est fort vrai i|u’ily a de multiples remplaçants. Mais il en va de même dans le corps humain. L’œil voit pour tous les autres membres, et à leur place ; et pareillement l’oreille entend, et ainsi en va-t-il des autres sens. Chacun ne remplit qu’une fonction et doit faire appel pour les autres au ministère de ses voisins. Outre que c’est un fait devant lequel il faut s’incliner, il n’y a pas lieu de s’en plaindre. Une étroite solidarité relie tous les membres. Elle paraît les emprisonner. Ce n’est qu’une apparence. En recevant d’autrui ce qui lui manque, chacun est libéré de sa propre détresse. Puis, quel merveilleux stimulant est-ce que la charité fraternelle ne trouve pas à ces échanges ! Il n’y a plus là ni maîtres ni esclaves. Il n’y a que des enfants de Dieu ; ils s’appellent des frères. Ils sont en service les uns auprès des autres. Là, qui perd son àme pour autrui, la sauve ; et qui la garde pour soi, la perd. Le lien de l’amour unit tous les membres, ceux d’en haut, ceux d’en bas, ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés ; in amour chaud, intelligent, généreux, qui s’alimente dans les incomparables mystères du Verbe fait chair.

c) L’idéal, c’est la vie, et la liberté par la vie. — L’idéal immédiat et aussi le but suprêuie de l’organisation ecclésiastique, c’est la vie des membres. Egoveni ut vitam hnbeanl et ahuiidnntius habeant… La vie de l’intelligence, la vie de la conscience et de la volonté, la vie ilu cœur, la vie harmonieusede tout ce qui est ca[)able de vie dans l’homme. L’Eglise ne paraît point se proposer en premier lieu de faire des hommes libres. Ce qu’elle veut tout d’aboi d, c’est faire des c/irtnïj, au sens plénierdu mot, des hommes d’accord avec eux-mêmes et avec la totalité de l’univers, des hommes en qui l’âme spirituelle discipline

toutes les énergies inférieures au service des formes les plus hautes de la vie ; des hommes qui soient, si possible, des héros, des martyrs, des saints, des images du Père inercé, du Dieu inûni, éternel, incommensurable. Et elle pense, avec son divin Fondateur, qu’agir ainsi, c’est travailler, de la manière la plus directe et la seule efficace, à façonner des hommes libres… Si vero in sermone meo manseritis, vere discipuli mei eritis, et veritas liberabit vos. (lo, vni.)

d) Les laïques subordonnés aux clercs ; les clercs, ministres des laïques. — En conséquence, la subordination des laïques aux clercs, qui est essentielle au point de vue de la constitution de l’Eglise, est, relativement au but final, d’ordre relatif et secondaire. Ce n’est qu’un moment du siècle qui passe, disait l’apôtre saint Paul aux Corinthiens, prælerit figura hujus mundi. Il est visible que les plus hauts dignitaires ne sont considérés dans l’Eglise qu’à l’instar de ministres et de figurants sur la scène. La mèche d’étoupe, qu’on fait flamber devant chaque nouveau Pape le jour de son couronnement à Saint-Pierre, n’est pas un vain symbole, et le deposuit potenles de sede, qu’elle chante au Mugnificat, y a chaque jour son application. Perpétuellement elle va chercher en bas, en haut, ici et là, ceux qu’elle veut mettre au premier rang pour être les dispensateurs de ses piystères. Elle fait violenceaux plusmodestes ; elle oublie les ambitieux. Partout — sans y réussir d’ailleurs toujours, car elle est humaine — elle est en quête des plus dignes. C’est par des suffrages épurés à plusieurs reprises qu’on parvient chez elle aux charges honorables. Elles y sont données, d’ailleurs, non au profit de ceux qui en sont revêtus, mais pour le bien de tous. Si Dieu assiste les docteurs de l’Eglise et spécialement le Docteur suprême, c’est afin que la communauté tout entière soit préservée de l’erreur. Les prêtres ont pour mission de distribuer au peuple les dons sacrés, le pain de vie, la rémission des péchés, la grâce de l’Esprit multiforme. Ils sont les canaux de la vie. Le sacerdoce est un ministère, c’est-à-dire un service. Les dons même les plus individuels ne sont pas l’apanage exclusif de leurs bénéficiaires. En vertu de la solidarité qui règne dans l’Eglise, ce sont des biens de famille, qui enrichissent et honorent tous les membres.

e) Les droits de l’individu. Eminence des petits.

— L’humaine infirmité a sans doute empêché ces principes de sortir tous leurs effets. Néanmoins, celui qui cherche loyalement à connaître l’Eglise, telle qu’elle a existé dans le passé et telle qu’elle se présente auj(Uird’hui, demeure émerveillé. Nulle part l’individu n’est plus exalté. Tout en définitive y est pour lui…, les sacrements, les basiliques, les hiérarchies sacerdotales… Omnia vestra sunt, tout est à vous, disait saint Paul aux fidèles de Corinthe.., et il parlait de lui-même et des apôtres… La constitution de l’Eglise est éphémère ; les saints sont pour l’éternité. Faire éclore des saints, tout, dans l’Eglise, est subordonné à cette tâche sublime. Tout le monde est appelé à y travailler. Ainsi se rétablit une magnifique et très réel le égalité entre les croyants. La liberté de chacun n’a plus ici de limite. Elle dépend moins d’un code rigoureux que de la sincérité des convictions et de la violence de l’amour pour la défense des justes causes. Dès les premiers temps, un Justin, un Quadrat, un Athénagore, peut-être simples laïques, se sont fait une place par leurs apologies de la religion chrétienne à côté des Pères de l’Eglise. De nos jours, un O’Connell, un Windthorst, un Montalembert, un Ozanam, un Veuillot, un de Mun, et combien d’autres ont paru plus grands dans