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LAICISME

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sans ressource, el n’aurait pas le moindre viatique, à offrir à la jeunesse qui demande le chemin de la vraie vie I N’y a-t-il pas eu, avant nous, des saints, des héros, des consciences délicates, de simples honnêtes gens, qui, au prix de leurs efforts, nous ont frayé la route ? N’y a-t-il rien à retenir de leurs exemples ? N’onl-ils pas, avec des variantes inévitables mais accessoires, inséré un contenu, déflnilif dans son essence, sous les mots de dévouement, de grandeur d’âme, de piété liliale, de patriotisme, de désintéressement, de pureté morale, de respect de sol-même, d’amour du prochain, de lidélité à sa parole, etc… ? Que l’homme s’exerce à revêtir de nouvelles formes toutes ces vertus, rien de mieux. Mais ce qui en est l’àme, sera demain identique à ce qu’il était hier. De toutes les manières inattendues qu’on pourra trouver d’aimer le prochain, il n’y en a pas une qui consistera à le frapper injustement, à lui voler son bien, à ternir son honneur el à lui vouloir du mal. A la frénésie d’un libre examen, qui ne veut connaître aucune barrière, qui veut appeler à sa barre toutes les notions acquises et reviser toutes les anciennes valeurs, l’univers oppose ses relations invariables.

Il ne cesse pas d’y avoir des familles et des patries, des parents et des enfants, des époux et des épouses, des propriétés, fruits du travail ou de contrats valables sous tous les cieux et dans tous les temps.

L’homme lui-même, à mi-chemin entre l’ange et la bête, ne change guère. La perfection, pour lui, consiste, non à bouleverser, mais à parachever ce qu’il est. L’univers, enOn, est en dehors des atteintes de notre critique. Par ses lois et ses contingences, ses harmonies et ses vicissitudes, il continue à proclamer qu’il n’est pas lui-même l’ouvrage de sa propre activité ni par conséquent son maître suprême. Or s’il atteste, par tout ce qu’il est, qu’il vient d’un autre, qu’y pouvons-nous ? De plus, dans cet univers il y a l’histoire qui se déroule ; il y a Jésus, il y a l’Eglise catholique, il y a des faits, des événements, qui se dérobent, dans ce qu’ilssont, aux fantaisies de nos appréciations. Toutes les dénégations, toutes les révoltes de l’esprit humain ne peuvent les faire autres qu’ils sont. Ce qui importe, ce n’est donc pas que la pensée soit libre ; c’est qu’elle corresponde à ce qui est.

.Mais alors, comment prétendre que l’homme est libre de penser et de faire tout ce qu’il veut ? L’intelligence de l’homme n’est pas supérieure à l’univers. Elle n’a qu’à reconnaître ce qu’il est. Ainsi en va-t-il de la conscience humaine. Elle n’a pas non plus à créer de toutes pièces de nouveaux devoirs, dont elle serait seule juge. Ce qui est, lui assigne ce qu’elle doit interdire ou ordonner. Elle n’a qu’à s’y conformer. Ce sont là des axiomes du plus banal bon sens.

I>) En désaccord avec les lais de la fie. — Les lois de la vie sont les principes et les méthodes d’activité en vertu desquels elle s’épanouit. Ce sont elles qui, d’une manière constante et universelle, en dehors des cas exceptionnels, produisent la joie, le succès, l’honneur, la fécondité, la gloire, tout ce qui donne du prix à notre fragile existence. Elles dérivent de la nature de l’homme et nous sont révélées par la vie elle-même. Or, s’il est un fait évident à qui n’a pas de parti pris, c’est que notre activité ici-bas doit se subordonner à un but, à un idéal, à une œuvre qui n’est pas notre vie elle-même, mais dont notre vie dépend. La loi de la vie n’est pas d’être en dehors de toute loi, libre et émancipé, c est de seivir. Les noms qui désignent les professions humaines, les plus nobles surtout, désignent aussi les tâches dont les hommes ne peuvent être que les serviteurs : rois.

princes, présidents de république, ministres, membres des parlements, il n est personne parmi les détenteurs d’une parcelle de l’autorité (lublique, qui ne s’appelle le serviteur de la nation, et dont la vraie gloire ne soit de l’être en réalité. Ainsi en va-t-il du soldat, du magistrat, du fonctionnaire de tout rang et de tout grade. Le prêtre est au service de Dieu et de l’Eglise. Il est un saint dans la mesure où il oublie ses propres intérêts pour défendre ceux dont il a la charge. Quiconque s’immole, souffre ou meurt pour une cause juste et grande, est un héros. Etre audacieux dans le danger, courir des risques, braver la mort, peut être le propre du héros et du malfaiteur hardi. Ce qui distingue l’un de l’autre, c’est que le malfaiteur se bat pour ses propres intérêts, le héros pour une cause qui le dépasse. La conscience universelle a consacré ces distinctions : elle a réservé à l’un des lauriers ; à l’autre, le gibet. Ce qui fait la valeur des individus, ce n’est donc point la quantité d’énergie déployée : c’est l’objet, placé en dehors deux, auquel ils en fontl’application. Le courage, l’entrain, l’endurance, tout ce que l’individu apporte de son propre fonds, est en déhnitive mesuré à une norme qui lui est extérieure. Seule, cette norme détermine en dernière analyse la valeur des actes de l’individu. Les partisans les plus effrénés de l’idéal laïque sont obligés d’en tenir compte. Quand ils louent leurs amis, ils les félicitent, non de s’être appartenus, mais de s’être donnés, de s’être dévoués à la République, à la Démocratie, à la Vérité, à la Justice, à la Science, etc. Nul n’oserait, pour faire l’éloge de quelqu’un, le vanter d’avoir vécu uniquement pour lui et de n’avoir eu d’autre préoccupation que sa liberté individuelle. Telle est la loi qui s’impose dans la vie courante. El ce code de la morale populaire rejoint les préceptes de l’Evangile. Celui qui s’est appelé la Vie et qui a été en effet le Maître de la vraie vie, n’a cessé de répéter sous mille formes : Il Ne soyez pas en peine de ce qui vous concerne. Cherchez d’abord la justice de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît… Voulez vous avoir la vie parfaite, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres… Celui qui perd son âme pour moi, est celui qui la sauve… »’Toute la doctrine du Maître peut se résumer en ces quelques mots : « Oubliez-vous pour Dieu et pour le prochain. »

N’est-ce pas là, d’ailleurs, ce que réclame aussi l’àme humaine dans ses aspirations les plus profondes ? Avide de bonheur, elle a conscience de sa propre indigence ; un pressentiment secret l’avertit que, le vrai bonheur, elle ne peut le trouver en elle-même.

« Nos méditations, comme nos soulfrances, sont faites

du désir de quelque chose qui nous compléterait », dit un personnage du Jardin de Bérénice. El ailleurs ;

« Ce que je veux, c’est collaborer à quelque chose

qui me survive, u Et l’auteur ajoute avec raison :

« Telle est la loi de la vie. » Colette Baudoche a l’instinct

qu’elle est vraiment elle-même, quand elle se dépasse pour ne plus voir que la vieille patrie ; elle réalise ce qu’elle doit être, à l’instant où elle meurt à un amour ardent mais trop égoïste. C’est en songeant à la race, que le descendant des Koquevillard trou>e les accents qui le sauvent el l’honneur de sa famille avec lui. C’est le < démonde midi », au contraire, qui saccage la vie et le foyer de Savignan, en substituant au culte des traditions, du passé, le culte de la passion individuelle. Tous les héros de roman où nos écrivains modernes ont eu à cœur de noter, avec un anxieux souci du réel, le fruit de leurs observations, répèlent à leur manière i|ue la loi de la vie n’est pas de s’appartenir mais de s’oublier, et qu’il faut, pourétre grand, suivant la parole d’un contemporain. Il mesurer ce que l’on peut, non à ce que l’on