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KABBALE

aux taxes qui pesaient sur ceux de sa nation et diminuait d’autant les ressources de son seigneur. Dès le commencement du moyen âge, cette coutume s’introduisit dans presque tous les pays de l’Europe. Jean XXII (bulle Cum sit absurdum, 19 juin 1320) et d’autres papes protestèrent. Quelques rois, tel Charles VI en France, lancèrent des édits contre cet usage. Ce fut en vain. Paul III (bulle Cupientes Judæos, 21 mars 1542) nous apprend que de son temps il existait presque partout.

b) Le peuple. — L’Église n’est pas davantage responsable de tout ce qu’a fait le peuple, soit qu’il ait maltraité les Juifs pour des raisons non confessionnelles, soit qu’il ait poursuivi en eux les ennemis de sa foi. Toujours mobile, allant d’un bond aux extrêmes, le peuple était emporté alors par la fougue d’un sang barbare. D’une part, son tempérament superstitieux subissait le prestige des opérations magiques où les Juifs étaient passés maîtres. D’autre part, le moindre incident l’entraînait aux colères irréfléchies, aux pires violences. L’antichristianisme des Juifs était notoire. Leur loyalisme envers la nation était suspect. Le bruit circulait-il qu’ils avaient trahi un royaume, une ville, qu’ils avaient insulté la religion chrétienne, ses rites, ses ministres ? L’indignation populaire montait vite à son paroxysme. Sans plus ample informé, c’était un déchaînement de fureur. Les méfaits certains disposaient à croire aux méfaits douteux ou imaginaires. L’accusation de meurtre rituel aggrava une situation déjà fâcheuse. Mais ce que le peuple vit surtout dans le Juif, ce fut l’usurier, et celui-là, dit B. Lazare, L’antisémitisme, p. 21, fut haï du monde entier ».

B. L’Église. — Les partisans les plus convaincus de la tolérance religieuse ne sauraient exiger que nos ancêtres aient jugé d’après leurs idées et que l’Église ait pratiqué la tolérance au sens moderne du mot. Se disant, se croyant l’Église véritable, la seule, se prenant au sérieux, l’Église ne pouvait professer l’indifférence religieuse ; elle réclamait pour tous le droit d’embrasser le christianisme ; elle ne supportait pas que la doctrine chrétienne fût combattue, entravée, mise en péril. Par là s’explique toute sa législation relative aux Juifs.

Elle entend qu’ils ne soient pas un obstacle à la diffusion de l’Évangile, qu’ils ne constituent pas un danger pour la foi des chrétiens. Or, cet obstacle, ce danger, ils l’étaient, naturellement et de toutes leurs forces.

Mais, tout en les empêchant de nuire aux chrétiens et au christianisme, l’Église garantit aux Juifs la libre pratique de leur religion. Elle condamna toute violence, toute vexation, toute injustice, chez les princes et chez le peuple. Elle protégea les Juifs alors que tous les malmenaient. Et, chassés de partout, les Juifs jouirent toujours d’une tranquillité relative dans les États du Saint-Siège. Surveillés de plus près, moins libres, pendant la seconde moitié du xvie siècle, ils n’y furent pas l’objet d’une proscription générale.

Même quand elle sévit, l’Église aima les Juifs, distinguant des actes les personnes. Dans les textes les plus durs des pontifes romains, des Pères, des polémistes, çà et là un mot apparaît qui révèle le fond d’une pensée dévouée, affectueuse.

Dira-t-on, avec l. Loeb, Réflexions sur les Juifs, p. 27, que tout, dans l’Église, nourrit la haine contre les Juifs ? » Il est impossible, même aujourd’hui, que la lecture publique des Évangiles, le développement de certains textes en chaire, les récits de la Passion, n’entretiennent pas, jusqu’à un certain point, la haine contre les Juifs et n’assurent la persistance des sentiments antisémitiques. » La remarque est juste. Est-ce la faute de l’Église ? Si les Juifs, pendant l’ère des persécutions, n’avaient été les ennemis implacables du christianisme que nous avons vus, aux Juifs les chrétiens n’auraient pas montré de l’hostilité ou de la méfiance. Mais comment désarmer ? Les Juifs étant aussi acharnés contre les chrétiens que leurs ancêtres l’avaient été contre le Christ et les apôtres, comment le culte public, la lecture de l’Évangile, de la Passion, n’auraient-ils pas contribué à entretenir et à perpétuer les dispositions malveillantes ?

L’importance des commencements est extrême. Les Juifs commencèrent mal. Tout s’ensuivit. Les Juifs furent agresseurs ; les chrétiens ripostèrent. Les Juifs, ne voulant pas avoir le dessous, reprirent la bataille. Ils s’affirmèrent la « nation très ennemie ». Durant la période des origines, ils le pouvaient sans péril. Après 313, en revanche, il y avait pour eux des dangers, qui ne les arrêtèrent point. Les chefs d’État, le peuple, l’Église, chacun dans sa note et selon son tempérament, réprimèrent les excès des Juifs. Du côté des princes et du peuple, on répondit parfois à des excès par d’autres excès. C’est regrettable. L’Église fut plus modérée. L’Église ne pratiqua pas envers les Juifs la tolérance religieuse, telle que la proclament, surtout en théorie, nos contemporains. L’Église ne souffrit pas que les Juifs fussent un obstacle à la foi chrétienne. À la condition qu’ils n’entravassent pas le christianisme, l’Église respecta leur liberté et maintint leurs droits. Le mot d’Agobard, De insolentia Judæorum, iv, résume sa conduite : Observemus modum ab Ecclesia ordinatum, non utique obscurum sed manifeste expositum, qualiter erga eos cauti vel humani esse debeamus. Et le mot de saint Augustin. Adversus Judæos, x, révèle l’esprit de l’Église : Hæc, carissimi, sive gratanter sive indignanter audiant Judæi, nos tamen, ubi possumus cum eorum dilectione prædicemus.

Félix Vernet.


K

KABBALE. — Le mot néo-hébreu qabbala (de qibbel « recevoir ») signifie « réception ». Il est employé au sens de « réception » d’un enseignement donné, livré par un autre ; il équivaut donc pratiquement à « tradition ». Dans son plus ancien usage, le mot qabbala désigne, par opposition à la Loi de Moïse (Tora), les deux autres parties de la Bible hébraïque, les Prophètes et les Hagiographes, parce que ces deux catégories d’auteurs ont consigné par écrit une « tradition » dont l’origine est Moïse. Ce sens ancien a été complètement supplanté à partir du xiiie siècle environ, par un autre sens devenu seul usuel : on désigna par qabbala l’ensemble des doctrines ésotériques, soit théoriques soit pratiques, du judaïsme. Les auteurs varient du reste dans l’extension donnée au terme kabbale, mais la question n’a pas d’intérêt ici.

La désignation de la « gnose » juive par le mot kabbale (tradition) est assez heureuse : elle marque la prétention des kabbalistes à n’être que les transmetteurs d’une doctrine remontant à une haute antiquité. Une autre désignation de la kabbale ḥokma nistara « sagesse occulte » exprime une autre particularité caractéristique de la kabbale : c’est une