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JUIFS ET CHRETIENS

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Juifs avignonnais finirent par en concevoir de l’inquiétude et par endiguer l’invasion.

Rome fut également un refuge pour les Juifs chassés d’ailleurs, en particulier de l’Esiiagne. A partir dePAi’L H (147a), les Juifs romains eurent une participation aux jeux du carnaval, qui devint assez vite fort vexatoire ; dans le principe, si elle fut contrainte, elle n’eut rien d’avilissant. Cf. les textes sur cette institution recueillis par H. Vogelstein et P. RiEGER, Geschichle der Juden in liom, t. ii, p. 137-141.

60. Après 1500. — Les rigueurs inaugurées par Paul IV atteignirent surtout les Juifs de Rome et des Etats du Saint-Siège. Seuls ils étaient en cause dans la bulle Ciim iiiinis absiirdiim {[q juillet IDÔ5), qui avait pour but d’empêcher leur domination sur les chrétiens et qui les condamnait à la réclusion du ghetto. PiK V étendit cette bulle à la chrétienté entière, et, chose nouvelle, chassa les Juifs des Etats du Saint-Siège (bulle Hebræorum gens, 26 février 1669), Rome et Ancône exceptées, Ancône à cause des relations commerciales avec l’Orient, Rome parce qu’il y avait lieu d’espérer que, dans le voisinage et sous la surveillance du pape, ils s’abstiendraient de leurs méfaits, et que des conversions étaient possibles. Clément VUI renouvela l’éditd’expulsion (bulle Cæca et obduiata, 26 février 15y3) cassé par Sixte-Quint (bulle Christiana pietas, 22 octobre 1586) ; il n’autorisait que le séjour à Rome, Ancône et Avignon. Aussitôt, le port d’Ancône fut mis en interdit par les marchands juifs des échelles du Levant, les autres ports furent menacés ; l’approvisionnement de Rome était en péril. Clément VUI annula, en grande partie, son édit du i" mars par le bref Cum superioribus niensibus du 2 juillet sui^ant, « à cause, dit-il, des avantages que leur présence peut procurer à nos sujets au point de vue du commerce)i. Il n’y eut pas d’autre tentative d’expulsion.

Après le pontilicat de Léon X, les Juifs romains avaient été dispensés d’offrir le Pentateuque lors de l’élection du pape ; mais ils furent chargés de la décoration coûteuse de l’escalier du Capitole, puis de celle de l’arc de Titus et du Colisce et de la voie qui conduisait de l’un à l’autre. Les courses du carnaval étaient devenues toujours plus odieuses aux Juifs, plus grotesques et humiliantes. Cf. le récitdu carnaval de 1580 dans le Journal du voyage de Montaigne, Paris, 1774, p.’40- Clément VIII les en exempta (1608), moyennant une contribution annuelle de trois cents écus. Le premier samedi du carnaval, une députation des Juifs de Rome prêtait hommage aux représentants de la cité. Ce vestige des traditions féodales comportait un geste expressif ; le sénateur de Rome — ou un conservateur du Capitole — plaçait le pied sur la nuque du grand rabl)in, et lui signifiait de se lever en disant : n Allez ». C’est de ce geste qu’est née, pour le populaire, « la légende que le rabbin devait subir l’outrage d’un coiip de pied. Par la suite on supprima le geste et le mot », E. Ro-DOCANAc. iii, l.e Saint-Siège et les Juifs, p. 206.

A tout prendre, les Juifs des Etals du Saint-Siège regagnèrent insensiblement, au xvii" et au xviii’siècles, la plupart des positions perdues. La pa])auté, selon une formule heureuse d’E. Rodocanachi, p. 218,

« s’efforçait d’allier l’amour de l’équité à la défiance

que lui inspiraient des hôtes si suspects ». Basnagiî enviait le sort des Juifs. « De tons les souverains, dit-il, Histoire des Juifs, t. V, p. 1702. il n’y en a presque point eu dont la domination ait été plus douce aux circoncis que celle des papes, et. pendant qu’ils persécutent le reste des ehréliens (on enlend ici le calviniste réfugié en Hollande à cause de la révocation de l’cdit de Nantes) qui ne sont pas soumis à

leurs lois, ils favorisent cette nation ; ils en tirent les intendants de leurs finances ; ils lui accordent des privilèges, et lui laissent une pleine liberté de conscience. Quelques papes ont été leurs ennemis ; mais il est impossible que, dans une si longue suite d’évêques de Rome, ils aient été tous du même tempérament et suivi les mêmes principes. Ils vivent encore aujourd’hui plus tranquillement sous la domination de ces chefs de l’Eglise que partout ailleurs. « 

Quand la Révolution française et Napoléon commandèrent à Rome, l’émancipation civile des Juifs fut décrétée. Emancipation éjihémère, puisqu’elle cessa avec la restauration pontificale. Les barrières du ghetto furent détruites, non point jiar la « révolution triomphante » de 1848, quoique prétende T. Reinach, Histoire des Israélites, p. 32(3, mais par PiH IX. « Ce ne fut pas la révolution de Rome, dit F. Gregorovius, Promenades en Italie, trad., Paris, 1894, p. 4’-42, qui provoqua cet acte libéral. Ainsi que quelques Juifs me l’ont fait eux-mêmes remarquer, la réforme s’est accomplie un an auparavant. Elle a été due aux réclamations de l’opinion publique, et enfin à l’esprit large et libéral du pape, trop intelligent pour ne pas comprendre les besoins de sou siècle. I) Aujourd’hui le ghetto n’existe plus et Victor-Emmanuel a assimilé aux autres citoyens les Israélites.

Le même Gregorovius résume, p. 17, de la sorte l’histoire des Juifs de Rome et des Etats du Saint-Siège :

« A l’exception de quelques éclats de la haine

populaire, les Juifs n’ont pas subi à Rome d’aussi cruelles persécutions que dans les autres villes de l’Europe. Rome n’a jamais été un terrain propice au fanatisme religieux, l’ancienne tradition de tolérance s’y étant toujours conservée. »

§ III. L’esprit oui anime l’Eglisb

61. Les duretés contre les Juifs. — A. L’objection juive. — A lire des écrivains juifs, on croirait que les mobiles de l’Eglise ont été uniquement intéressés et dépourvus de toute noblesse. Grætz, trad., t. IV, p. ir)i-162, p.irlant des mesures d’Innocent III favorables aux Juifs, dit que « ce n’est pas un sentiment d’humanité et de justice qui provoquaitl’intervention du pape, mais cette pensée singulière que les Juifs doivent vivre, et vivre dans l’abjection et la misère, pour la plus grande gloire du christianisme ». i. LoKB, HéfJejiiins sur les Juifs, p. 28-24, veut bien supposer qu’à l’origine l’Eglise n’avait d’autre but que de marquer, aux yeu." : des païens fraîchement convertis, la dilTêrence entre la religion chrétienne et la religion juive. Mais de là seraient venues, « par habitude, entraincment, abus de la force et ivresse du triomphe, les insultes contre les Juifs, les reproches, les déclamations, les calomnies oflicielles. Bientôt l’Eglise ne prononce ])lus le nom des Juifs sans y joindre une épithête injurieuse : la perfidie des Juifs, la perversité des Juifs, l’ingratitude des Juifs envers les chrétiens, leur prétendue insolence, leur aveuglement, reviennent à chaque instant dans les écrits des papes et les procès-verbaux des conciles ; nombre de bulles papales sur les Juifs débutent par quelque aménité de ce genre, placée en vedette pour mieux la graver dans les esprits. L’une coinmenée par » l’impie perfidie des Juifs », l’autre par (I l’antique perversité des Juifs » ou par « In perfidie aveugle et endurcie des Juifs » ou " la malice des Hébreux ». Les Juifs sont maudits et réprouvés, ils ne subsistent que par la tolérance et la miséricorde de l’Eglise, laquelle veut bien les laisser végéter afin qu’ils soient comme un éternel témoin de la vérité chrétienne, et dans l’espoir qu’ils finiront par se