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JUIFS ET CHRETIENS

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haine du Christ », « en haine de la foi chrétienne ». Dans la bulle du 22 février, il parle de déterminer ce qu’il y aura à faire ciim se hujusmodi obtulerit casas, qui plerumqiie proponi coitsiiei-it, de piiero aliquo majori hebdomada ah Hehræis in contumelia Christi necato, taies namque sunt B. Simonis et Andreue, nec non bene muttoruin e.r iis qiios auctores commémorant, puerornm neces. Meurtres d’enfants par les Juifs, pendant la semaine sainte, pour l’afl’ront du Christ, voilà bien le meurtre rituel. Sans doute cette adirmation est proposée, en passant, par mode d’incidente. Sans doute aussi, Benoit XIV semble avoir accepté ces faits de conliance, tels qu’il les lisait dans divers auteurs, surtout dans les Bollandistes, non à la suite de recherches personnelles. Sans doute enlin, quand Benoît XIV fut en face d’une accusation de meurtre rituel contemporaine, loin d’y ajouter foi au plus vite, il la lit étudier par !e Saint-Ollice qui la repoussa. Malgré tovit, le sentiment de Benoit XIV a son importance ; on n’a jamais taxé ce pape de faiblesse d’esprit ni de fanatisme.

Plus signilicative que l’incidente citée est, comme manifestation ofiicielle de la pensée de l’Eglise, l’approbation par Benoit XIV du culte du b"* André de Uinn. Elle succédait à l’approbation du culte par Sixte V, pour le diocèse de Trente (8 juin 1588) et à l’inscription dans le martyrologe, de par l’autorité de Grégoire XIII (1084), du nom du b Simon de Trente. Elle fut suivie de l’approbation, par Pie VII, du culte du b Dominique de Val, pour le diocèse de Saragosse, et de celui du saint enfant de la Guardia, pour le diocèse de Tolède ; de l’approbation, par la congrégation des Rites, du culte du petit Laurent, de Marostica, pour le diocèse de Vicence (1867), et de celui de Rodolphe, de Berne, pour le diocèse deBàle (1869). On a dit que l’Eglise a béatifié ou canonisé des enfants tués par les Juifs. Non ; mais il y a eu pour ces six petits bienheureux, à défaut d’une béatification formelle, une l)éatification équivalente, consistant dans la reconnaissance du culte. Les décrets de béatification formelle, à plus forte raison équivalente, ne i)articipent pas au privilège de l’infaillibilité. Leur autorité est cependant considérable.

Du reste, pas plus qu’elle n’a engagé son infaillibilité, l’Eglise, dans ces reconnaissances de culte, n’a affirmé l’existence du meurtre rituel strict chez les Juifs. Elle a cru que des Juifs ont tué ces enfants dans un but religieux (encore Sixte-tjuint ne parlet-il pas du meurtre du petit Simon par les Juifs mais uniquement des miracles dus à son intercession). Elle n’a pas dit que tes Juifs aient agi de la sorte, à titre ofiiciel, au nom de la communauté ou d’une secte juive, pour obéir aux prescriptions de la liturgie. Elle n’a pas fait rejaillir sur la nation juive comme telle la responsabilité de ces horreurs commises par des Juifs.

48 Documents favorables aux Juifs. — Ils se divisent en deux catégories.

Dans la première, nous avons des documents qui laissent entendre plus qu’ils n’expriment la fausseté de l’accusation de sang, soit qu’elle portât sur un cas isolé (deux bulles d’iNxocRNT IV, a8 mai iii"), sur l’alTaire de Valréas), soit qu’elle circulât, rumeur vague et excitante, contre les Juifs en général (bulles d’iN.Nor.FNTiV,.T juillet 12^7, et de Martin V, 20 février i./,..2). La bulledu 5juillet 1247 est donnée par la plu[)art des historiens comme la pleine justification des Juifs. C’est aller trop loin. Elle ne proclame pas directement l’innocence des Juifs ; elle suppose que le pape incline à l’admettre. Cf. lieiiie prntiqued’apolo^étique.l. XVII, p. /(20-42I. Martin V révoqua, le i’^ février i/)23, la bulle du 20 février

1422, pour cette raison qu’elle avait été extorquée. Cette révocation ne fut pas motivée par le passage sur le meurtre rituel. Ibid., p. 424.

Les documents de la seconde catégorie nient ouvertement le bien fondé de l’accusation. Le rapport que le cardinal G.*.>ganeli.i, le futur Clément XIV, présenta, le 21 mars i ; 58, au Saint-Ollice, et que le cardinal Merrv del Val (lettre du 18 octobre igiS à lord Rothschild) a déclaré authentique, ne retint pour avérés, parmi tous les cas de meurtre rituelqui avaient agité les esprits au cours des âges, que ceux de Simon de Trente et d’.

dré de Rinn,

égorgés « en haine de la foi chrétienne » ; les autres accusations étaient rejetées. Paul III, dans une bulle du 12 mai 1540, témoigna son déplaisir d’avoir appris, par la plainte des Juifs de Hongrie, de Bohême et de Pologne, que leurs ennemis, pour colorer d’un prétexte leur mainmise sur les biens des Juifs, leur prêtaient à faux des crimes énormes, en particulier celui de tuer des enfants et de boire leur sang. Innocent IV (26 septembre 1 253), Gré GoiRK X (7 octobre 1272), Nicolas V (2 novembre 1447) et le cardinal Corsini, écrivant au nom de Clément XIII (7 février 1760), spécifièrent que les Juifs ne versent pas le sang chrétien pour s’en servir dans leurs rites religieux. Et ce ne sont ]>as des Juifs, tel ou tel en particulier, dans un cas donné, que ces documents disent étrangers à la pratique du meurtre rituel ; ce sont les Juifs en général. C’est de l’ensemble des Juifs, des Juifs en tant que collectivité, qu’il est dit qu’ils n’usent pas de sang humain dans leurs rites (Innocent IV), qu’ils n’emploient pas le cœur et le sang des enfants chrétiens dans leurs sacrifices (Grégoire X). qu’ils sont accusés à tort de ne pouvoir se passer et de ne pas se passer, dans certaines fêtes, du foie ou du cœur d’un chrétien (Nicolas V), qu’ils ne répandent pas du sang humain dans la pâte de leurs pains azymes (Clément XIII).

Remarquons, par ailleurs, que les papes ont écrit une foule de bulles relatives aux Juifs. Très souvent ils ont dénoncé leurs excès contre les chrétiens et le christianisme.. certains moments, la réi>ressir>n a été vigoureuse, mais jamais autant qu’au xvi’siècle : Paul IV, saint Pin V. Clément VIII, etc., ont multiplié les récriminations et les mesures restrictives à leur endroit. Dans la bulle Hebræorum pens (26 février 1569), saint Pis V résume les méfaits qu’on leur reproche : usure, vol, recel, proxénétisme, sortilèges et magie. Il finit par ce trait : Postremo cognituin satis et exploralum habemus quant indigne Christi nomen hæc penersa progenies ferai, qiiam infesta omnibus sit qui hoc nomine censentur, quibus denique dotis illorum vitæ insidietur. Peu de temps après (1585). l’édition officielle du martyrologe romain, publiée par ordre de Grégoire XIII, enregistrait cinq noms de martyrs — non comjiris celui du b’" Simon de Trente — mis à mort par les Juifs : ceux des saints Clcopljas (26 septembre), Timon (ig avril), Joseph le Juste (20 juillet), de sainte Matrone (1 5 mars), de saint Anastase II le Sinaite (ai décembre). Si Pie V. si les autres papes avaient cru au meurtre rituel strict, ils l’auraient stigmatisé de belle sorte, et Pie V ne se serait pas contenté de mentionner les embûches contre la vie des chrétiens. Or, pas une fois, dans des centaines de bulles dirigées contre les Juifs, le meurtre rituel strict n’est l’objet d’une allusion. L’argumente sitentio est d’un maniement délicat. Ici, il vaut sûrement. Le silence de tant de papes, dans tant de conjonctures où ils auraient pu et dû parler, prouve qu’à leurs yeux l’accusation de meurtre rituel strict n’était pas établie.