Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/854

Cette page n’a pas encore été corrigée

1695

JUIFS ET CHRETIENS

1696

l’usure telle que nous l’entendons aujourd’hui, le prêt d’arg^ent à un taux illégal ou abusif, mais tout simplement le prêt à intérêt, à un taux légal. Le mot a ehanyé de sens, et c’est ce mot perpétuellemenl répété, el employé dans une acception différente de celle qu’il eut jadis, « qui a fait passer comme un axiome indiscutable que tous les Juifs de toutes les époques sont ou ont été d’affreux usuriers ». Les Juifs, à part les exceptions individuelles comme on en rencontre partout, n’ont jamais t’ait de l’usure au sens moderne du mot ; contraints de s’adonner au commerce de l’argent, ils ont été d’une « loyauté parfaite » et ont rendu un « service immense ». Sans doute, ils n’ont pas j)rêté à bon marché ; mais le pouvaient-ils ? Tolérés pour faire l’usure et uniquement pour cela, une grande partie de l’intérêt qu’ils percevaient était destinée à rentrer dans la caisse du roi ou du seigneur sous forme d’impôts écrasants. Mais, en somme, les intérêts pris par les Juifs, loin d’être excessifs, vu la rareté du numéraire et les risques extraordinaires courus par eux, étaient quelquefois même inférieurs a>ix intérêts pris par les chrétiens. Or, ce qui était arrivé pour le commerce eut lieu pour la banque ; les Juifs furent éliminés après avoir été les initiateurs et les maîtres. « Le commerce leur a été fermé par la législation ; la banque, par les émeutes, les pillages, les expulsions et les massacres… La justice la plus élémentaire aurait demandé qu’il leur fût gardé au moins quelque reconnaissance pour les services rendus ; ils n’ont recueilli que la haine, le mépris et l’insulte… Entre Juifs et chrétiens, l’exploiteur n’est pas le Juif, mais le chrétien ; l’exploité n’est pas le chrétien, mais le Juif. » On parle delà richesse juive. Les Juifs sont-ils riches ? S’il en était ainsi, il n’y aurait qu’à s’en réjouir. C’est une idée périmée que l’enrichissement des uns soit l’appauvrissement des autres, n Toute fortune est généralement (et à part les exceptions) créée par celui qui la possède (ou par ses ancêtres) ; ce n’est pas un capital qui change de mains, mais un capital de formation nouvelle qui n’existait pas auparavant, qui vient s’ajouter aux capitaux anciens et grossir la fortune publique. Si les Juifs sont riches ils le sont donc au grand avantage du pays où ils demeurent. » Mais I’enseml>le n’est pas riche. Il y a quelques grandes fortunes, quelques « sommités financières ». Elles sont exceptionnelles. « Sur sept millions de Juifs, il y en a un peu plus d’un septième, dont la situation, certainement inférieure à celle des chrétiens, est à peu près supportable ; les autres sont dans un profond dénùment. »

B. Lazarb, l’enfant terrible du judaïsme, expose une thèse sensiblement différente, f.’antisémidsme, p. 20-21, 102-118, 364-867. L’àme du juif, dit-il, est double : elle est raystiqiieetelle est positive. Parfois les deux étals d’esprit se jtixtaposent. L’amour de l’or s’est exagéré au point de devenir, pour cette race, à peu près l’unique moteur des actions ». Primitivement pasteurs et agriculteurs, les Juifs commerecrenl après leur dispersion, à l’instar de presque tous les émigrés et colons qui ne vont pas défricher une terre vierge. Les lois restrictives du droit de propriété sont postérieures à leur établissement ; s’ils ne cultivèrent pas le sol, ce n’est pas impossibilité de l’acquérir, c’est que l’exclusivisme, le tenace patriotisme et l’orgueil d’Israël ne lui permettaient pas de bêcher une terre étrangère. Us se sjiécialisèrent dans le commerce, puis dans le prêt sur gages, le change, la banque. La création des corporations aboutit à les éloigner de toute industrie et de tout commerce, autre que le bric à brac et la friperie. Ils se rabattirent sur l’exploitation de l’or. Les circonstances les y poussèrent. Le moyen âge, héritier des

dogmes financiers du droit romain, considérait l’or et l’argent comme ayant une valeur imaginaire, variable au gré du souverain, et non comme une marchandise. Le prêt à intérêt était défendu par la loi ecclésiastique. D’autre part, le patronat et le salariat se constituèrent, la bourgeoisie se développa, la puissance capitaliste naquit. Le capital ne se résigna point à être improductif ; pour produire, il devait être commerçant ou prêteur. Les Juifs, qui appartenaient en majorité à la catégorie des commerçants et des capitalistes, exclus du commerce, se tirent , manieurs d’or, d’autant que les guerres, les famines, et tonte la situation économique des peuples au milieu desquels ils vivaient, rendaient l’or de plus en plus nécessaire, les emprunts de plus en plus fréquents, et que, le prêt à intérêt n’étant pratiqué, parmi les chrétiens, que par une « classe de réprouvés », Lombards, Caorsins, Toscans, usuriers de terroir, en révolte contre l’Eglise, les Juifs échappaient aux entraves de la législation canonique, et leurs dominateurs, les nobles dont ils dépendaient, et les gens d’Eglise eux-mêmes, leur réclamaient cet or dont ils avaient besoin. Au surplus, menacés perpétuellement par l’expulsion, les Juifs se préoccupèrent de transformer leur avoir de façon à le rendre aisément réalisable, de lui donner par conséquent une forme mobilière. ( Aussi furent-ils les plus actifs à développer la valeur argent, à la considérer comme marchandise : d’où le prêt, et, pour remédier aux confiscations périodiques et inévitables, l’usure ». Ainsi le Juif fut dirigé vers l’or. « Conduit, par ses docteurs d’une part, par les légistes étrangers de l’autre, par maintes causes sociales aussi, à l’exclusive pratique du commerce et de l’usure, le Juif fut avili ; la recherche de l’or, recherche poursuivie sans trêve, le dégrada, elle affaiblit en lui la conscience, elle l’abaissa… Pour lui le vol, la mauvaise foi, devinrent des armes, les seules armes dont il lui fut possible de se servir ; aussi il s’ingénia à les aiguiser, à les compliquer et à les dissimuler. » Sommes-nous loin d’Isidore Loeb ?

Que penser de ces deux thèses ? Les Juifs ont-ils été vraiment contraints de s’adonner à l’usure ? L’ont-ils exercéemodérément et l’impopularité qu’elle leur a valu fut-elle et reste-t-elle injuste ?

39. Les Juifs ont-ils été contraints de s’adonner à l’usure ? — II ne paraît pas que les Juifs aient eu un penchant naturel, immémorial, incoercible, au commerce et à la finance. Ils furent longtemps un peuple agricole. Sur leur activité agricole en Arabie avant Mahomet, cf. H. Lammens, Le herceau de l’Islam, Rome, 191/1, p. lô^-iS^. Ils firent du commerce à partir des deux captivités. Ils } montrèrent des aptitudes remarquables ; leur cosmopolitisme facilitait la tâche. Ils rendirent des services par leurs entreprises commerciales et, une fois leur rôle commercial fini, par le commerce d’argent, ne serait-ce que par l’invention ou la vulgarisation de la lettre de change. On peut ajouterque tous les Juifs ne sont pas fabuleusement riches, que la masse fut pauvre au moyen âge el l’est demeurée de nos jours. Telle est la part de la thèse de Loeb qui ne soulève aucune objection.

Mais il est inexact que les Juifs aient élé contraints de se réfugier dans l’usure. Le régime féodal rendait rares les terres disponibles et permettait malaisément aux Juifs de devenir de grands propriétaires, non de devenir propriétaires. Les restrictions au droit de propriété n’existaient pas encore ou n’existaient guère quand ils se mirent au commerce de l’or. Le régime des corporations ne leur interdit l’accès de certaines professions qu’assez tard. En France, jusqu’à la fin du moyen