Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/834

Cette page n’a pas encore été corrigée

1655

JUIFS ET CHRETIENS

16E6

il avait choisi ses apôtres parmi les Juifs, et juifs furent les premiers chrétiens. Les apôtres évangélisèrenl d’aborJ la Judée, puis, en dehors de la Judée, les villes où il y avait des Juifs, et les premières églises chrétiennes furent des juiveries. Le christianisme primitif conserva les observances mosaïques : il sullit de se rappeler la prière quotidienne des apôtres et des Odèles de Jérusalem dans le temple. Les traditions du prosélytisme juif allaient dans la même direction.

Il y avait à craindre que les premiers chrétiens, juifs d’origine, ne voulussent calquer sur le judaïsme l’Eglise chrétienne, demandant aux [leuples et aux individus à qui ils portaient l’Evangile de s’allilier, par la circoncision, à la nation juive cl donc de renoncer à leur nationalité en même temps qu’à leur culte, — ou, s’ils acceptaient des prosélytes qui ne deviendraient pas juifs, leur attribuant une infériorité véritable dans l’ordre du salut. Si le christianisme avait suivi cette voie, le « mur de séparation » entre chrétiens et gentils, Eph., ii, 14, ne serait jamais tombé. Le christianisme demeurait une religion semblal)le au judaïsme ; il n’aurait pas été une religion universelle.

C’est clair pour nous modernes. Mais pour les premiers chrétiens, juifs, patriotes et fidèles observateurs de la Loi, quel problème ! Comment comprendre la nécessité de rompre le lien qui rattachait à la Synagogue l’Eglise naissante ?

Le judéo-christianisme ne le comprit pas. Il s’obstina, malgré tout, à tenir la Loi pour non abrogée. De là le grand débat des observances légales.

4. Comment la séparation entre le chrittianismc et le judaïsme s’accomplit. — Nous ne pouvons entrer dans le détail des questions chronologiques assez complexes et des discussions de textes que soulèvent les récits des Actes des Apôtres et de saint Paul. Il ne nous est loisible que d’ellleurer le sujet. Le débat se compose de quatre épisodes principaux.

A. — Le haptcme du centurion Corneille. Act., x.

— Il y a, de par l’ordre du Seigneur, dans l’Eglise, un gentil qui n’a point passé parla Synagogue. Donc on peut être chrétien sans être juif ; l’ancienne Loi n’est ])lus obligatoire, le « mur de séparation » est renversé et l’Eglise est ouverte à tous. Juifs ou gentils, sans distinction de rite ni de race.

B. — La réunion de Jérusalem. Act., xv ; Gal., II, i-io. — La conclusion ne plut pas à tous. « Certains )., Ti>- : , Act., -s.v, I, virent d’un mauvais œil les conversions opérées par saint Paul parmi les gentils, parce que les convertis n’étaient pas soumis aux observances légales ; ils décdarèrent que sans la circoncision il n’y a pas de salut. Le concile de Jérusalem reconnut la liberté des gentils impliquée dans le baptême de Corneille. Il maintint, pour les nouveaux convertis, les quatre prescriptions que l’on imposait aux prosélytes au sens large : al)stention des idolotliyles, du sang, des viandes étoufTées, de la fornication. Mais rien ne fut délini sur la durée et la valeur morale île ces observances ; mais surtout, le reste de la Loi, principalement la circoncision, ne fut pas exigé, et ni les nouveaux convertis ne furent bannis du salut ni ils n’occupèrent dans l’Kglise un rang secondaire. Notons que, si le vrai texte du décret du concile était celui de la version occidentale, la liberté des gentils serait ftroclamée plus explicitt ; menl encore : il contiendrait seulement l’obligation d’éviter l’idolâtrie, l’Iioinicide et la fornication.

C. — Le différend d’Antinclie. GaL. ii, ii-ai. — Après la question des gentils, la question juive. Les gentils étaient sauvés sans la Loi. Les.luifs l’étaient-ils aussi, on, du moins, la pratique de la Loi ne leur assur.iitelle pas une situation ])rivilégiée, et, en

outre, l’obligation de pratiquer la Loi, subsistant pour eux, ne les em|iêchait-elle pas de communiquer avec les païens, même convertis, ce qui était une autre façon de tenir les païens convertis pour inférieurs aux chrétiens d’origine juive ? En cessant, par crainte de « certains ii, ti » k4, qui étaient venus de Jérusalem, d’auprès de Jacques, de vivre en communion avec les convertis de la gentilité, saint Pierre entrait en apparence dans les vues de gens qui s’attachaient à un principe faux : la nécessité de la Loi pour le salut chez les Juifs. Saint Paul signala les eonséquencesd’une pareille conduite. Il n’enseigne pas, d’une façon générale, que les Juifs doivent rompre avec les observances. Il admet qu’on les maintienne, ’< pourvu qu’on ne les regarde pas comme nécessaires pour le salut et qu’on se dise que par elles-mêmes elles ne sont rien et n’ont aucune valeur en Jésus-Christ ». Cf. J. Thomas, Mélanges d’histoire et de littérature religieuse, p. loo-iii. La liberté des gentils avait été reconnue au concile de Jérusalem ; l’incident d’Antioche permit d’affirmer l’affranchissement des Juifs chrétiens.

D. — Lejitdéo-chrtstiantsme rejeté hors de l’Eglise.

— Il y eut des judéo-chrétiens pour accepter ce principe, tout en ne renonçant pas à leurs usages traditionnels. Ce furent les orthodoxes. La ruine de Jérusalem (70) éclaira bon nombre d’entre eux et les détacha du mosaïsrae. D’antres persistèrent dans une lidélité respectable, gardant la Loi sans méconnaître la vérité de l’Evangile. Ils disparurent lentement.

Beaucoup de judéo-chrétiens répudièrent l’idée de l’alfranchissement des Juifs. Des missionnaires judaïsants suivirent saint Paul, pas à pas, dans ses courses apostoliques, pour discréditer sa ])ersonne, contredire son enseignement, et même convertir les pagano-chrétiens aux pratiques juives. Saint Paul mena résolument la lutte. La lettre aux Galates condamne sans détour l’erreur judaïsante. « La circoncision n’est rien, dit-il, ni l’incirconcision, mais la nouvelle création », par quoi il faut entendre, comme il s’en est expliqué plus haut. « la foi qui agit par la charité », vi, 15 ; v, 6. Telle est la règle, zkvcvi, à laquelle on doit se conformer, conclut-il, vi, 16 ; à ceux qui s’y tiendront paix et miséricorde !

Dans l’épître aux Romains, saint Paul va plus loin encore. Il déclare que, en fait, le rôle d’israél est présentement lini. DicM, irrité de sa conduite, l’a délaissé. Un temps viendra où ses restes se sauveront. Maintenant, c’est aux gentils que vont les promesses divines.

Ainsi les judéo-chrétiens obstinés furent rejetés hors du christianisme. L’Eglise « venait de séparer hardiment sa cause de la destinée précaire d’une nation. Elle avait refuse de se rendre solidaire des petites contingences historiques pour ne pas manquer à sa ni’ssion universelle. La chaloupe de Pierre coupait l’amarre qui la tenait attachée au port, et elle gagnait les hautes mers où l’attendaient les tempêtes sans dinile, mais aussi les pèches miraculeuses ». G. KnnTii, L’Eglise aux tournants de l’histoire, 190.").

p. 31.

Il n’y a pas à retracer les destinées ultérieures du judéo-christianisme hétérodoxe. Il mêla, à doses inégales, le mosaïsme, l’Evangile et des rêveries étrangères à l’un et à l’autre, et se ])erdit dans le gnosticisme et l’ébionisme. Son état d’ànie se traduisit, au II’et au ni" siècles, par une série d’apocr)i)hes « clémentins », dans lesquels il ]irésenla saint Paul en opposition avec saint Pierre. On sait la thèse, aujourd’hui complètement démodée, que Baur et Renan ont écliafaudée là-dessus pour expliquer les origines chrétiennes.