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JUIF (PEUPLE)

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qu’à ses yeux le rétablissement de l’antique économie religieuse est un prélude nécessaire avant l’ieuvre de la conquête. Bref, pour que le régne de Dieu s’établisse, il faut qu’Israël renaisse et que son culte soit restauré. Or cette idée ne fut pas seulement une idée spéculative ; ce l’ut une idée-force. Si Israël a survécu à l’exil, la cause principale en est à chercher dans l’idée messianique. De telles catastrophes furent fatales non seulement à de petits Etats, mais aux plus grands empires. Si Israël fait exception à la règle ; si, après l’exil, il a tenté de se reconstituer comme nation, voire de recouvrer son indépendance ; si, après que ces enlreprises ont abouti à des échecs, il a réussi, envers et contre tout, à se maintenir comme peuple, c’est à raison de sa foi religieuse, de sa foi aux destinées universelles de sa religion. L’cdit de Cjtus (Esdr., I, 2-4 ; VI, 3-5), sa ralilication par Darius (Csrfr., VI, 6-12), le lirmand’Artaxerxès(£’s(/r., vii, i 1-26) sont sollicités et libellés en vue d’une œuvre de restauration religieuse. Dès que les premiers rapatriés — les plus fervents des exilés — sont revenus à Jérusalem, leur premier soin a été de rétablir le culte de Yahweli (Esdr., m). En toutes ces circonstances, la foi en Yahweh a eu une force et a réalisé des résultats qu’aucune aiitre foi religieuse n’a su promouvoir. — cl) Le messianisme, surtout dans les temps postexiliens, témoigne d’une foi invincible dans le lriom[)hc du droit contre la force et, par contre-coup, dans la puissance et la justice de Yalnveh. A pai’lir de 586, Israël n’a presque jamais connu l’indépendance et, à maintes reprises, le joug de ses niaitres s’est appesanti très lourdement sur ses épaules. Mais jamais il n’a renoncé à ses revendications. Il n’a jamais cessé de croire que Yalnveh régnerait un jour sur le monde, en se servant d’Israi’l pour pro[)ager sou nom. Si les iniquités dont le peuple choisi se rendait sans cesse coupable leur ont fourni l’explication des retards divins, les prophètes ont quand même toujours cru ijue les justes participeraient à ce roj’aume. Le monde entier avait beau paraître ligué contre eux, ils n’ont jamais été ébranlés dans la certitude que leur foi leur donnait touchant le triomphe délinitif de la justice. — (Test ainsi que l’idée messianique contribue à son tour à fortifier les conclusions que nous avons tirées louchant l’origine surnaturelle du monothéisme hébreu.

IV. Idée messianique et Christianisme. — I") liemarques préliminaires. — A. Il est un fait évident et incontesté : c’est que le Christianisme plonge ses racines dans le Judaïsme ; il est né du Judaïsme ; il n’est autre chose que le Judaïsme, débarrassé de certaines servitudes, enrichi de nombreux éléments nouveaux et, de religion nationale qu’il était, devenu religion universelle. Mais il y a plus. Lorsque Jésus a fondé le Christianisme, il s’est présenté comme le Messie annoncé par les prophètes ; c’est même à cause de cette prétention qu’il a été condamné à mort. Puis, quand ses disciples se sont mis à propager sa religion, ils ont été unanimes à montrer dans sa vie et dans son œuvre la réalisation de la grande espérance d’Israël ; en sorte que, par un contraste étrange, le Christianisme s’est posé comme la continuation authentique du Judaïsme ancien ; il a traité le Judaïsme qui subsistait à ses côtés comme une déviation de la religion des Pères ; il a prétendu être le véritable héritier des Pères. La question qui se pose est ainsi îles plus simples : Le Clirislianisme, cpii a le monothéisme en commun avec le Judaïsme, est-il véritablement la réalisation de l’attente des Juifs ? Avant de répondre à cette question, quelques remarcpies sont nécessaires.

U. —.insi que nous l’avons remarqué, lesprophètes

n’ont eu de l’avenir messianique que des vues partielles ; ils ont spécialement ignoré les rapports et distances chronologiques qui devaient exister entre les divers tableaux qu’ils esquissaient. Ce n’est pas à dire que l’introduction de divisions entre ces plans et ces perspectives soit exclusivement notre fait, que pour les établir novis bénéUciions uniquement des leçons de l’expérience. Sans doute, lesprophètes n’ont BU ni plus ni moins qu’ils ne disent. Mais Dieu a veillé à écarter les méprises. Si, en eiîet, il n’a révélé à chaque voyant qu’une partie seulement — tantôt l’une, tantôt l’autre — de ce qu’il se proposait d’accomplir, c’est que ces divers éléments se devaient en réalité distinguer, qu’ils n’étaient, ni logiquement ni chronologiquement, inséparables les uns des autres.

C. — Les divers éléments de l’espérance messianique ont prévalu à des époques dillérentes et en des mesures inégales. Le rétablissement national a toujours compté parmi les données les plus populaires de l’attente. D’une pari, en elTet, Dieu paraît se faire une règle d’accommoder la révélation aux contingences et à la mentalité de ses premiers destinataires ; d’autre part, les Juifs ne pouvaient, à ces é|)oques lointaines, concevoir, en dehors du contexte de leur restauration nationale, le rôle qu’ils devaient jouer pour ladiffusion de la connaissance de Yahweh. Mais ces perspectives temporelles n’absorbent jamais toute l’attention des voyants : la restauration religieuse et spirituelle est toujours, elle aussi, une idée de tout premier plan. Quant aux diverses mo-’dalitcs de ces conceptions fondamentales, elles sont loin d’occuper une place aussi constante et aussi universelle. Le royaume messianique terrestre est l’objet le plus ordinaire de la prédiction prophétique ; en revanche, le royaume eschatologique, si cher aux auteurs d’apocalypses, n’est guère représenté, dans la prophétie, que par Kz., xxxviii, xxxix et y.ach., xiv ; d’ailleurs la distinction des deux phases ne s’allirme que dans Ez., xxxviii.xxxix et, au livre d’Ilénoch, dans l’Apocalypse des Semaines. Le Messie personnel tient une place secondaire relativement au royaume ; encore n’est-il d’ordinaire question que du Messie glorieux (/s., i-xxxix, Mi., Jer., Ez., Zach., i-viii et ix-xiv, diverses sections de Hénoch, l’s. Sal.. xvii, xviii). La vision du Serviteur de’Yahweh, conlinée dans /s., xl-lxvi (cf. Zach. xii, 9, io[ ?|)et l’s. XXII, ne paraît avoir trouve aucun écho dans la littérature apocalyptique ; le Targum d’Isaïe (in loc.) ne s’y est attaché que d’une manière fugitive.

D. — On est enclin à estimer que la diffusion des idées constitutives de l’espérance messianique n’est pas toujours en raison de leur importance. Parmi ces idées, en elTet, il en est qui nous paraissent essentielles, tandis que nous traiterions volontiers les autres comme secondaires, comme caduques, les considérant comme une sorte d’enveloppe et de gaine provisoires destinées à tomber quand la graine sera mfire ; or, à nos yeux, les éléments secondaires sont ceux qui se rattachent à l’attente de la rcslauration nationale. — a) Il va de soi qu’une telle distinction n’est pas formulée dans l’.Ancien Testa ment ; la ision du Serviteur de Yahweh elle-même n’est pas débarrassée de toute perspective matérielle (cf. /.>., Mil, 1 2). Jusqvi’au bout, les Juifs ont étroitement uni l’attente messianique à celle de leur rétablissement terrestre ; l’Evangile porte souvent l’écho de cette double espérance, et elle se manifeste encore d.ins la dernière question que les Apôtres adressent ici-bas à leur Maître (.-iit., i, 6). — h) Toutefois serait-il téméraire de chercher à relever, dans les prophéties elles-mêmes, des indices attestant le caractère secondaire des espérances temporelles ? Elles ne tiennent aucune