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FRÈRES DU SEIGNEUR

que doit s’entendre le jugement porté par Baronius : « Hujus (opinionis) fortissimus stipulator seu potius auctor Hieronymus.  »

Saint Chrysostome, In Matth. hom., v, 3. et saint Augustin, Quæst. XVII in Matth., iii, 2, s’étaient tout d’abord montrés favorables à l’opinion de saint Epiphane ; mais ils ne tardèrent pas à se ranger à celle de saint Jérôme. Cf. Aug., ln Joan. tract, x, Cap. 2 ; tract. xxxviii, 3 ; Chrys., In epist. ad Gal., i fin. Dans son commentaire sur l’épître aux Galates, i, 19, Saint Augustin joint les deux opinions. Suivirent bientôt après, chez Les Grecs : Théodoret, In epist. ad Gal., x, in fin, et Théophylacte. In Matth, xiii, 55 ; in Galat., i, 19 ; quant aux Latins, ils ne font mention de l’hypothèse d’un premier mariage de saint Joseph que pour la déclarer inacceptable.

b) L’opinion de saint Jérôme ne tarda pas à s’enrichir d’explications complémentaires. A l’identité de Jacques le frère du Seigneur avec l’apôtre Jacques, fils d’Alphée, on en ajouta une autre : Alphée lui-même était confondu avec Clopas. Dès lors, l’appellation « Marie, celle de Clopas » serait à traduire par « Marie, femme d’Alphée ». Ἀλφαῖος et Κλωπᾶς ne devaient être que deux transcriptions grecques d’un seul et même nom hébreu חלפּי. Cette hypothèse jouira longtemps d’un grand succès. De nos jours, le nombre de ceux qui la contestent va croissant. Cf. 'Dict. de la Bible (Vigouroux). I, 419.

On a poussé plus avant dans la voie des identifications. Dans le collège apostolique, à côté de Jacques, prit place un autre frère du Seigneur : Jude, l’auteur de l’épître, devint l’apôtre Thaddée ou Lebbée. Bien plus, des auteurs se sont demandé si Simon, ou Siméon, le second évêque de Jérusalem, est distinct de l’autre Simon dit le Cananéen ou Zélote, que saint Jérôme appelle trinomius. Ces identifications figurent plus ou moins dans toutes les liturgies occidentales, y compris la liturgie romaine ; mais elles sont inconnues des orientaux. Le concile de Trente lui-même identifie, en passant, Jacques l’auteur de l’épître catholique avec le frère du Seigneur. Denz. 10, 908 (586). De la sorte, Joseph serait le seul des Frères du Seigneur qui n’aurait pas eu l’honneur de compter parmi les Douze.

c) Il s’en faut pourtant que ce sentiment soit reçu de tous. Sur le point de savoir s’il y a eu des apôtres parmi les Frères de Jésus, deux écoles sont en présence. Le P. Corluy (dans les Etudes religieuses, 1898. t. I, p. 145) a fidèlement exposé et discuté les arguments qu’on a fait valoir de parler d’autre. Ces deux écoles, écrit-il, « nous les appellerons : l’une, l’école patristique, l’autre, l’école exégétique. La première, appuyée surtout sur l’autorité des Pères, dénie absolument aux cousins de Jésus la qualité d’apôtres ; la seconde croit trouver dans les textes de l’Ecriture des éléments suffisants pour pouvoir affirmer, malgré le sentiment contraire de plusieurs saints Pères, que deux, ou peut-être trois des « frères » de Jésus firent partie du collège apostolique. Chacune des deux écoles compte dans son sein des savants distingués. La première est surtout représentée par les Bollandistes Henschenius, Stiltinck, et Van Hecke ; dans la seconde se réunissent au célèbre critique Le Nain de Tillemont, les interprètes les plus autorisés : Patrizi, Tolet, Lucas de Bruges, Maldonat, Beelen, Liagre, Adalbert Maier, Drach, Windischmann, Hengstenberg, etc. »

Au contraire, la virginité de saint Joseph, soutenue par saint Jérôme, n’a pas tardé à devenir un sentiment commun dans l’Eglise latine : tellement que saint Pierre Damien (P. L., CXLV, 384) pouvait écrire, au xi° siècle. « qu’il était l’expression de la foi de l’Eglise ». Saint Thomas, Comment. in epist.ad Gal., cap. 1, lect. v, rejette positivement comme « fausse » l’exégèse qui fait des Frères du Seigneur des enfants de saint Joseph.

Le P. Petau, De Incarn., XIV, iii, 13, se montre moins catégorique ; à ses yeux, la virginité de saint Joseph est seulement une doctrine plus vraisemblable. Après la confirmation de deux siècles donnée par la piété des fidèles à cette pieuse croyance, le sentiment du docte théologien paraît timide à l’excès, et, tranchons le mot, insuffisant. Aussi bien, le P. Corluy, l. c., p. 16, va plus loin, quand il écrit : « Le sens catholique s’est définitivement prononcé pour l’idée du grand interprète (saint Jérome). Il serait désormais téméraire de révoquer en doute la perpétuelle virginité de l’époux de Marie. »

III. Critique et conclusion.

1. Au sujet des textes qui concernent les Frères du Seigneur, il y a une tradition dogmatique d’un caractère négatif ; elle porte sur le sens qu’il ne faut pas leur donner. L’exégèse qui fait de ces personnages les frères de Jésus, nés de la même mère, est incompatible avec le dogme de la perpétuelle virginité de Marie, Aussi bien, c’est au nom de la foi traditionnelle qu’on s’est invariablement opposé aux Antidicomarianites, à Helvidius, à Bonose et à Jovinien,

D’autre part, le sentiment d’Helvidius n’a pas un point d’appui suffisant dans les textes, ni dans la tradition purement historique. Certes, elle supprime la difficulté soulevée par l’expression de « frères du Seigneur » ; mais, en revanche, elle introduit dans les textes des invraisemblances, des incohérences qu’une exégèse correcte ne réussit pas à surmonter. Ce sont précisément ces circonstances du récit des Evangiles que saint Jérôme a fait valoir en faveur du sentiment opposé et que les exégètes venus après lui ont trouvées persuasives.

Quant à la tradition des trois premiers siècles, elle élait si peu dans le sens d’Helvidius que celui-ci n’avait osé se réclamer que de Tertullien et de Victorin de Pettau. Nous avons dit que saint Jérôme lui contesta ce dernier. Bien plus, la foi en la perpétuelle virginité de Marie s’affirme implicitement dans le nom de Vierge que les apologistes du second siècle donnent, par antonomase, à Marie ; et elle ne tarde pas à devenir explicite dans l’appellation de ἀειπάρθενος qui se rencontre dans les anciens formulaires de foi.

On a vite dit que le sentiment religieux, en se développant et en s’exaltant, d’après une loi fatale, a dépassé le sens primitif des textes ; on ajoute que, à la longue, la conscience chrétienne est devenue insensible à la protestation de l’histoire. C’est là une affirmation injustifiée. Qu’on se l’avoue ou non, elle s’appuie, du moins en partie, au préjugé d’un évolutionnisme religieux radical. Aux yeux de la plupart des tenants modernes de l’exégèse d’Helvidius, toute croyance au surnaturel doit avoir son point de départ dans un fait naturel, que la foi a transfiguré par voie de sublimation allégorique ou mythique.

Et puis, de quel droit affirme-t-on que la conscience des premières générations chrétiennes n’avait, vis-à-vis des faits primordiaux, ni intelligence, ni probité ? L’étude de la littérature d’alors, en commençant par les épîtres de saint Paul, donne un démenti éclatant à cette manière de voir. Le respect des limites posées par les données primitives de la doctrine chrétienne se laisse toucher au doigt dans la lutte longue et pénible que l’orthodoxie eut à soutenir contre les Gnostiques docètes. Quelque attrayant que fut pour les âmes un Christ fait au ciel et tombé sur terre, à la manière d’une manne, l’Eglise est restée invinciblement attachée au Jésus des Evangiles, dont la vie est tellement solidaire des faiblesses de notre nature que