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JESUS CHRIST

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(i Ce qui est ici révélateur, dit cxcclleiiimciit J. Lehre-TON’, ce r.’est pas une parole isolée — on en peut recueillir ailleurs d’aussi hautes — c’est l’union ou plutrtt la conipénétration intime de la doctrine et « le In vie du Christ. Des deux groupes de cl ocu nient » qu’on distingue jusque-là… les nus ont surtout décrit la vie humaine cle Jésus, les autres, le mystère de sa préexistence et de sa gloire. Ici tons les ti-aits se fondent dans l’unité d’une même figure ; elle hrille d’une clai té plus qu’humaine, et pour- la llu-eonnaitre il faut la voiler, comme firent les bourreaux de la l’a^si-’ii ; et cependant on sent bien qu’elle est humaine et iv.mle, et que ce n’est pas la spéculaticm théologique qui l’a formée, mais l’inipression laissée par un homme eomme nous sur un cœur d’homme. »

438. — L’incomparable service rendu [>ar l’évangile de Jean, du point de vue qui nous occupe, c’est il’avoir renforce, dans l’image du Christ, deux traits capitaux. L’autorité du témoignage rendu par le vieux discii)le ferma, ijuand il le fallait, les deux voies d’erreur où plusieurs commentaient de s’engager. Assurément, Jean n’a pas, le premier ni le seul, prévenu les lidèles contre les dangers des spéculations gnostitiues ou rappelé l’unité du Christ. Mais il a dit plus haut que ceux qui étaient venus avant lui, et de telle fa(, ’on que nul homme de bonne foi ne put en ignorer, que Jésus était, pendant sa vie mortelle et dès les jours de sa chair, pleinement conscient de sa dignité surhumaine et divine. Il a dit que, distinct du Père, ayant tout reçu de lui, sujet et dépendant en tant qu’homme, il ne laissait pas d’être, par voie de participation plénière, égal au Père et un avec lui. Il est dans le Père et le Père est en lui : qui le voit, voit le Père. De ces données, l’élaboration théologique restait à faire, et ce fut la tâche des grands docteurs et des Conciles. Mais ce progrès, très réel, dans la clarté des notions et la netteté des formules, ne fut pas une nouveauté : la religion de tous les chrétiens anticipait ces décisions ou, plus souvent, les supposait. Pas une seule des conséquences certaines, touchant l’adoration du Maître, sa distinction d’avec le Père, son égalité avec lui, l’ellicace et le caractère de sa rédemption, quinc ffit à l’avance justilice par le quatrième évangile. Sous l’iulluence de l’Esprit. Jean se rendit compte et, par la simple allirmation de ce qu’il avait vu de ses yeux, oui de ses oreilles, touché de ses mains en Jésus de Nazareth, persuada aux autres que cet homme d’un temps et d’un pays, cet homme de chair et d’os était, par i<lenlitc, le Fils élernel du Dieu vivant. Jean identifia à jamais le Christ de l’histoire avec le Christ de la foi.

439. — Mais pourquoi insister sur une antithèse stérile ? Jean a une autre leçon à nous donner, et cette leçon est d’autant plus nécessaire à recueillir qu’elle n’est pas nettement formulée, comme chez les Synoptiques, en quelques passages, ou exposée au long comme chez saint Paul. Conformément au caractère du quatrième évangile, cette leçon ressort de tout l’ouvrage, à la façon d’un rayonnement, d’une photosphère chaude et lumineuse. Aussi l’impression d’ensemble laissée i)ar une lecture attentive de l’évangile est-elle plus forte que celle qui pourra naitre des quelques traits relevés ici.

La notion de l’Eglise, de l’Eglise universelle et catholique en droit et en puissance, mais aussi discriminative, exclusive de toute opinion particulière non traditionnelle, jalouse de son unité, et par cela même réduite en fait au troupeau choisi de ceux qui acceptent intégralement sa doctrine et ses autorités, combattue des autres et en opposition aigui’avec eux — cette notion allleiire partout dans noire évangile. Elle est constamment supposée, clairement

1. Les Origine) du dogme de lu Trinilr, p. 375.

suggérée par les épisodes qui permettaient de lui faire une place plus large’. Toute l’histoire, éternelle et temporelle, de Jésus, est ramenée en fait, par Jean, à l’histoire de la vocation, de l’adhésion au Maître et de la formation, (lar celui-ci, du groupe privilégié qui est le germe, le raccourci et, pourrait on dire, le piinctum saliens de la grande Eglise. C’est à la lin du livre, dans cette prière sacerdotale qui couronne l’admirable Discours, où se résume tout l’évangile et où son application à l’avenir est faite, que s’exprime laconception ci-dessus esquissée. Maison peut dire que depuis l’appel des premiers disciples tout y tendait. Dans cette perspective, le développement antérieur s’illumine, ainsi que l’intention profonde de l’évangéliste : il a voulu décrire et il a décrit en elTet <c l’histoire de la fondation de l’Eglise — la formation du groupe élu auquel le Christ s’est révélé et auquel il a imparti son don de vie-. »

440. — Ici comme ailleurs, à qui sait voir, le grand mystique de l’évangile spirituel se manifeste homme de tradition, défenseur de l’autorité, homme d’Eglise. La Lumière, la Vérité, la’Vie, le Pain du ciel, l’Eau dans laquelle on renaît à une vie nouvelle et enlln le don qui résume les autres, l’Esprit de vérité, le Promis du Père, le Consolateur et l’Avocat qui expliquera, glorifiera, maintiendra l’œuvre du’Verbe, tout cela appartiendra aux seuls disciples fidèles, au petit cercle d’intimes derrière lesquels Jésus, à la dernière heure, voyait et bénissait o ceux qui croiront par eux », « ceux qui garderont sa parole », les agneaux et les brebis de l’unique bercail, les sarments animés par la sève de l’unique Vigne, les élus appelés par le Père, les <i siens » ; — à l’Eglise. Cette équivalence ne pouvait faire doute pour ceux qui lisaient, vers la lin du premier siècle, les divines paroles, consignées par Jean. Et dans ces paroles, quelle prédication d’unité, quelle leçon pour les sectaires de tout genre, quelle interpénétration miraculeuse des deux éléments religieux fondamentaux : le conservateur et l’inspirateur, l’autoritaire et le mystique, l’appel intérieur de l’Esprit et la communion visible de tous dans une même vérité, sous un seul Maître I

« Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais encore

pour’ceux qui croir-onl en moi sur leur parole, afin (pie tous soient un comme vous, Père, en moi et moi en ous — afin rpr’ils soient, eux aussi, en nous — afin fque lo monde croie que vous m’avez envoyé. Et moi, la gloire que vous m’avez donnée, je la leur ai donnée, aiin qu’ils soient un, comme nous, nous sommes un ; moi en eux et vous en moi, irfin qu’ils soient consommés en unité — afin que le monde sache que vous m’avez envoyé et que vous les avez aimés comme vous m’avez aimé…

« PiTe juste, le monde ne vous a pas connu, mais moi je

vous ai connu, et eux aussi ont connu que vous m’avez envoyé. Et je leur ai fait connaître votre nom et je le leur ferai connaître [par l’Esprit sainl], afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et moi aussi en eux. H Jo.. XTii, 20-ii ;.

441. — « Et moi en eux ! » C’est qu’en elfet pour Jean, comme pour Paul et pour les Synoptiques,

1..insi l’épisode des Samaritains iv, 35-43 ; du Bon Pasteur, x, f-[l ; des Grecs introduits près de Jésus par Philippe et André, xii, 20 sqq., etc.

2. J’eniprunle ces paroles au pins pénétrant des commentateurs libéraux du quati’ième évangile en ces d(’rniei s lemijs, M. K. 1’", Scott, T/te Fourtlt Gospel : i’s purpo^e and Iheology, Edinburgli, l’.IOG, p. 109. Tout le chapilie iv, EccUsictstical airiis, est le développement d© cette formule. Il va sans dir-e que, même dans ce chapitre, les opinions de l’auteur ne sont pas à accepter sans contrôle.

3. Sur le texte, voir A. Durand. Je Dtscnurs de la Cène, dans Reclicrehei de science religieuse, 1911, p. 539 sqq.