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JESUS CHRIST

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Non souleiiKiil le Maître exerce, mais il dëlèy : ue le double pouvoir de guérir et d’exorciser (Vf., iii, 15, VI, ), cf. Mc, VI, ia-13. XVI, 15-18). Que si, dans le ([uatrième évangile, ce dernier pouvoir est compris généralement danscc les œuvres » du Cbrist(rà ipyu), il en fait partie intégrante : « C’est maintenant, déclare Jésus sur la lin de sa vie, le jugement de ce monde-ci : maintenant le prince de ce monde-ci sera jeté deliors » par le fort armé qui s’emparera de ses dépouilles, en « tirant tout à soi » (/o., xii, 31-33). Ue ce jugement et de cette victoire, les délivrances de possédés sont à la fois l’annonce et le début.

387. — A côté des faits avérés, il faut noter l’enseignement positif et formel du Maître, soit qu’il porte sur la i)uissance du démon et la façon de combattre et de vaincre celle puissance, soit qu’il décrive plus généralement l’œuvre entière du Messie comme la contre-partie triomphante de 1 œuvre du malin ; le Règne de Dieu se substituant au Règne du « prince de ce monde-ci ».

Cette dernière série de textes (quelques-uns seront cités plus bas) ne laisse aucune vraisemblance à l’opinion qui tend à voir, dans toute l’attitude de Jésus sur ce point, une accommodation volontaire, pédagogique, à des erreurs inoU’ensives répandues en son temps. Il ne s’agit nullement ici d’erreurs populaires, si l’on veut donner ce nom à des notations selon les apparences. Dire que le soleil se lève, se couche, etc., n’a rien à voir avec la religion : aux conventions de ce genre, Jésus s’est prêté, comme tout homme. Nos contemporains les mieux instruits continuent de les employer, et ils ont bien raison. Mais entre ces énonciations de faits naturels correctement décrits et la tolérance, ou plutôt l’enseignement d’une erreur attribuant à desêtres surhumains et spirituels certains maux physiques, et l’organisation dans le monde humain du mal moral, il y a un abîme, et qui ne le voit ? Nous sommes là sur le terrain religieux, bien plus, spécitiquenient messianique. La formule johannique, selon laquelle a c’est pour détruire les œuvres du diable que le I^ils de Dieu s’est manifesté o (I Jo., iii, g), n’est en effet que l’écho de la prédication la plus authentique du Maître.

« Quand un fort armé garde l’entrée [de sa demeure], 

tout ce qu’il possède est en sûreté : mais si un plus fort que lui survient, et l’emporte sur lui, il s’empare de toutes les armes [du premier], où celui-ci mettait sa confiance, et il distribue ses dépouilles. » Le,.i, 21, 22.

338- — Cette parabole saisissante, elce qui l’amène on l’explique, résume au mieux l’œuvre de Jésus, telle qu’il la concevait. Jean lui-même, qui applique à cette œuvre les catégories générales de « lumière » et de « ténèbres », ne parle pas en termes moins clairs que les Synoptiques de la lutte avec le « prince du monde », de la défaite et de l’expulsion de celui-ci {Jo.. xii, 31 ; xvi, 1 1). Non seulement le Maître donne son merveilleux pouvoir sur les démons pour un signe décisif de l’avènement du Règne de Dieu(ic., XI, 20), mais il décrit celui-ci comme un combat, une sorte de duel gigantesque, au cours duquel le malin sera vaincu, débouté de ses droits prétendus, affaibli dans lepouvoir défait qu’il exerce, finalement évincé et mis en déroute. Au chef du royaume messianique et à ses serviteurs sont opposés le chef et les serviteurs de « ce monde-ci ", pervers et condamné’. Réduire cette doctrine à une métaphore littéraire, à une sorte d’antithèse grandiose personnillant les puissances de mal pour les rendre plus concrètes,

1. On peut voir les textes accumulés par J. Smit, De Dafmnniaci$ in hiftoria evani ; ilica. 1013, p. 20 : i sqq.

c’est prêter au Sauveur un état d’esprit romantique, moderne, en opposition avec tout ce qu’ou pensait alors, et totalement inintelligible aux contemporains. C’est là une de ces vues superlicielles, qui peuvent plaire au lecteur pressé, mais que ni l’historien consciencieux ni l’homme religieux ne sauraient accepter. En réalité, Jésus a agi constamment dans l’hypothèse — il a implicitement enseigné, explicitement déclaré — que des puissances personnelles très réelles, des a esprits » (les évangélistes les appellent indistinctement, j>our les discerner des bons esprits,

« esprits malins’» ou « esprits impurs ») s’opposaient

à l’expansion du Règne de Dieu, exerçaient dans et par des corps d’hommes une activité visible, exprimaient par la voix de ces mêmes hommes certains jugements, etc.

339. — Assurément la façon, très générale à cette époque, de concevoir tout mal comme diabolique et d’attribuer en conséquence aux esprits malins toute sorte d’infirmité, se reflétait dans les expressions et les façons de parler. On avait là le pendant des expressions encore plus répandues d’après lesquelles toute sorte de bien — même celui qui s’opérait par l’intermédiaire d’hommes ou de moyens naturels, comme la guérison normale d’une maladie — était attribué directement à Dieu, en excluant la mention de tout intermédiaire humain, de toute « causalité seconde » (comme nous disons à présent). Que les évangélistes aient pu, usant de la terminologie universellement reçue alors, ranger parmi les « démoniaques i), les « lunatiques », les a énergumènes ii, d’un mot parmi les possédés, des malades qui offraient avec ceux-ci des symptômes extérieurs tout à fait semblables, il n’y a pas à le nier a priori. La fréquence de ces possessions, réelles ou apparentes, était alors telle qu’elle avait donné lieu à une thérapeutique spéciale, tenant à la fois de la religion, de la magie et du charlatanisme. Jésus y fit allusion (Ml., XII, 2-)) et les païens eux-mêmes s’efforçaient de l’employer^. Le caractère général de ces exorcismes est l’extrême complication des formules, la bizarrerie des rites, l’irrationalité des adjurations et conjurations.

330. — Denombreux spécimensdecettelittérature rebutante nous ont été conservés, presque toujours aussi pauvres de pensée que prolixes et puérils, quand il ne faut pas dire pis 3. Particulièrement célèbres alors étaient les grimoires fabriqués à Ephèse (ifhtx /pxf)./j.y.ra.), dont saint Luc nous raconte qu’à la suite des prédications de saint Paul, les habitants d’Ephèse li^Tèrent au feu une masse représentant une valeur énorme (Act., xix, 19). Chez les Juifs, on attribuait au roi Salomon les formules les plus efBcaces, et Josèpuh rapporte également à lui l’indication de certaine racine dont l’usage secondait

1. rivsû/jLa 7Tov>3/50’y, 6 fois ; 7Cvsûfj.v. ùxdOv.fizov, 2.3 fois. Sur les autres termes, oxiy.c-jic’-', 52 fois, oai ; i.*jiv, 3 fois, etc. ; voir J. S.MIT, lih. cil., p. 172 sqq.

2. Parmi les récits de « miracles n antiques, juifs ou l)aïens, recueillis par P. Fiebig, et qu’il est ti-ès instructif de comparer aux miracles du Nouveau Testament, les exorcismes heureux, les expulsions <le démons tiennent une place considérable : P. FiKnir, , Jiidischi’Wunders ; escfnc /iten des neutrslamentlichen Zeiialii’rs : Antihe Wunder^eschicliten z. St. der Wttnder des A’. T’., Bonn, 1911. Voir en particulier, dans ce dernier opuscule, les numéros 6, 18, 20, 22.

3. L’obscénité est, dans tous les temps, un des traits de cette triste littérature, sur laquelle on peut consulter .. A u DO L LENT, Defij-iontmi iabrttne qnotqttot innotiterunt,.., Paris, 1904 ; J Tambornino, fltf antiqttnrum dacmonismo, Giessen, 19P9 [RW.. Vit, 3). Bibliographie exhaustive justju’en 1910dans ^d.Sv.HiMKV.K, Geiclïiclitcilesjiid. Volkes^, III, p. 41’i-’120.