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JESUS CHRIST

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stérile, ce rMe d’onloniiateur en chef des joies célestes, Jésus pensait il le tenir ? — On nous répond quelquefois oui, généralement non : « Comme roi uiessiunique, Jésus sera le vicaire de Dieu. Tant qu’il prêche l’avènement du rojauiue, il n’est pas encore entré dans sa fonction proMdentielle… Luiniènie, en vérité, n’était pas plus Christ dans le présent que ceux qui croyaient à sa parole n’étaient actuellement citoyens du roj’aunie céleste’. » — Rédempleur ? rançon ? victime ? — Nullement : tout ce qui semble l’insinuer provient de prédictions liclives », nées elles-mêmes de « spéculations chrislologiques ». a Le Christ a regardé sa mort comme possible, et, dans cette éventualité, curamc la condition providentielle du royaume célfsle, mais non comme un élément nécessaire de sa fonction messianique ; il l’a envisagée comme un risque à courir-’… » Au total, Jésus prêcha une morale de ville assiégée, dans l’hypolhèse d’un bouleversement qu’il ne cessa de considérer comme imminent. Thaumaturge « presque malgré lui ». étranger à toute idée de rédemption, illusionné mais noblement, il vécut jusqu’au bout avec courage « le rêve de l’Evangile ».

On voit par ces brèves indications ce que devient le Sauveur sous la plume de M. Loisy : un personnage falot, chimérique, exsangue et tellement simplilié qu’on s’étonne de ce que, dans l’hypothèse, on le laisse encore dire et faire.

158. — Les autres essais d’explication rationaliste, ébauchés dans certains commentaires (tels ceux de M. J. EsTLiN Carpenthr : The first three Cospels’, London, 1906 ; et de M. J. Wellhausen, igoS-igoS), ou précisés dans des essais, comme plusieurs de ceux que provoqua l’e nquète du Rév. R. Roberts : Jésus or Christ : ’3 donnent surtout une impression d’inconsistance. Appréciant cette enquête dans son ensemble, M. LoisY déclare qu’après l’avoir lue « on est bien tenté dépenser que la théologie contemporaine

— exception faite pour les catholiques romains, chez qui l’orthodoxie traditionnelle a toujours force de loi

— est une véritable tour de Babel où la confusion des idées est encore plus grande que la diversité des langues’». En ce qui touche la théologie « libérale «  et surtout rationaliste, aux prises avec le problème du Christ, ce verdict sévère ne paraîtra que juste.

Tous ces essais impliquent en eflet deux défauts radicaux qui %-icient l’elTort, souvent considérable, des auteurs. Leurs opinions /ihilosopliirjiies forcent en effet ceux-ci : 1) à simplifier indûment les textes évangéliques, et les données historiques du christianisme ancien ; 2) à mulliiilier parallèlement lesconjectures les moins plausibles : infiltrations païennes, pastiches littéraires, rédactions compliquées, états d’àræ chimériques des acteurs du grand drame. Tel écrivain ne veut d’aucun miracle ; tel autre laisse subsister celles (les guérisons qu’il estime « possibles » ! Celui-ci recourt à la mythologie babylonienne ; celui-là, à l’eschatologie iranienne. L’étude des documents

« sous-jacents » aux évangiles permet à la virtuosité

des exégètes de multiplier les versets contestés. les artifices rédactionnels, les interpolations : un critique signale trois « couches » documentaires sous une

1. Ibid.^ p. 164. P. 254, M. Loisy reconnaît pourtant que J^sus a « fini par s’avouer et se déclarer Messie)), mais « qu’il avait peu parlé de ta mission)i. Alors de quoi pouvait-il bien parler ?

2. Ihùl., p. li ; 8.

3. Ces essais, qui vont du Rév. R. J. Campbf.ll, au R. f". Joseph Ri’KABY, en passant par G. Ttbrei.l, Paul ScHMiPDF.L et Sir Oliver LoncE, ont été publiés en sopplément au Hibbert Journal^ London, 1909.

4 /( « lis ou le Christ ? dans Hibbert journal, april 1910, p. 486.

parole évangélique : soyez sur que le suivant en réclamera une de plus. Aheurtés au détail, ils perdent de vue le certain et les grandes lignes ; les arbres les empêchent de voir la foret.

Pour nous bornericià unexeraple, M Alfred LoisY a déclaré guerre ouverte au texte cajiital cité dans la section précédente : « Nul ne connaît le Fils, hormis le Père, etc. » Il est revenu dix fois sur ces iiaroles pour montrer qu’elles n’ont pas été, (jii’elles n’ont IHis pu t’Ire prononcées par le Christ. Une tentative pour les expliquer par des réminiscences de textes de l’Ecclésiastique ayant échoué, M. Loisy l’abandonne tacitement, mais il imagine d’autres raisons. Il est vrai que ce texte est présent dans tous les manuscrits, que toute-, les versions l’ont maintenu. Deux évangiles le rapportent en termes à peu près identiques : le quatrième évangile tout entier lui fait écho. Une tradition patristique le commente depuis saint Justin, au milieu du second siècle Saint Irénée conteste l’interprétation qu’en donnaient, au début de ce siècle, les anciens gnosliipies. Les exégètes les plus exigeants l’attribuent à la fameuse (et conjecturale ) source Q, commune aux évangilesdeMatthieu et de l.uc ; « l’identité des deux rédactions nous force (en elfet) à remonter à une source commune, et le détail de l’expression nous indique une source araméenne’  «.L’accent des paroles enûn est le plus personnel et le plus touchant. Aucune raison critique valable de les mettre en suspicion. — Mais non. Le passage doit tomber, il tomliera. « Cette déclaration a le caractère supra historique des assertions analogues qu’on trouve dans le quatrième évangile ; … elle est libellée comme un petit symbole doctrinal [ ?]. Ce symbole aurait-il été le dire d’un prophète chrétien - ? » Deux ans après, l’hypothèse est devenue thèse : « Cet emploi des expressions ci Père » et « Fils » convient mieux aux premières spéculations sur le Christ qu’à Jésus lui-même, et l’assertion est une profession de foi chrétienne, non une parole de Jésus 3. » Bien exigeant celui qui ne se contenterait pas de ces ])rononcés sommaires 1

159. — Cet embarras, ces simpliOcations exécutées a priori et justifiées ensuite, vaille que vaille, par une critique complaisante. ne résolvent pourtant pas toute la difficulté. Même après ces mutilations, il en reste trop. Et l’on voit les exégètes rationalistes recourir, pour éliminer ce reliquat de surnaturel, aux conjectures les plus extravagantes, les plus irrespectueuses, les plus incompatibles avec la grandeur morale qu’ils sont bien forcés de reconnaître en Jésus.

De cette faillite du naturalisme (le mot est de M. Frédéric LooFS’, et le fait sous nos yeux) la solution chrétienne reçoit un surcroit de proliahilité qui n’est pas méprisable. Mais la force de cette solution est avant tout dans sa cohérence, et dans la lumière qu’elle projettesur les documents. En abordant celle étude directe, on serait tenté de se dérober, de répéter après Carlyle : ’i qu’un silence sacré médite ce mystère » ! Le croyant qui s’en prend à l’image traditionnelle du Christ se fait à lui-même l’elTet d’un Vandale, et sa main tremble.

B. — Le Christ des Evangiles

160. — Il faut renoncer d’emblée, pour expliquer

1 Dans.1. Lebrfïon, Origines, p. 447. Depuis, cette opinion est celle qu’ont adoptée entre autres MM. W. Ueit-Miii i.EK et Ed. NoRDEN.

2. A. LoisT. /.es Efangiles synopliijues, I, p. 909-910.

3. Ji’sus et ta tradition ei-aiif-rtii/ue, 1910, p. Ififi.

4. F. LooFS, Hhat is the Truth about Jésus Christ } Edinburgh, 1913, lectures II et III.